Depuis le Saint Louis de Jacques Le Goff [1], le retour de la biographie à l'avant scène de la recherche historique n'est plus une nouveauté. Après de longues années de déchéance, le succès des biographies Fayard illustre parfaitement cette résurrection. La nouveauté du livre de Caroline Bitsch consiste dans le fait qu'elle a choisi délibérément comme sujet de son livre - et de sa thèse - un personnage de second plan, Henri II de Condé, fils d'Henri I de Bourbon, prince de Condé, l'un des principaux chefs du parti protestant et père de Louis II, le Grand Condé.
La naissance d'Henri II en 1588 se place sous de mauvais auspices. Sa mère, Charlotte de la Trémoille est accusée du meurtre de son père, Henri I, et est condamnée à mort. Un jugement jamais exécuté et une accusation jamais prouvée qui pèsent néanmoins lourdement sur son fils. En tant qu'héritier du trône après Henri de Navarre, Henri II reçoit une éducation catholique méticuleuse et soignée. Pour sa part, le jeune prince fait preuve de qualités intellectuelles remarquables. Cependant, ses relations avec le roi qui le méprise sont franchement mauvaises. Ces relations se dégradent encore avec son mariage arrangé avec Charlotte Marguerite de Montmorency, dont Henri IV tombe follement amoureux. La situation mène à la fuite du prince et sa jeune épouse, et c'est la raison de sa première révolte. Pourtant, ce n'est pas l'amour à l'égard de sa femme, mais l'honneur qui est la cause de cette fuite, car Henri II de Condé est homosexuel, et comme le dit Caroline Bitsch, citant les mauvaises langues de l'époque: "[...] qu'il n'avait donné à sa femme que deux beaux jours dans sa vie, celui de son mariage par le rang qu'il lui avait assuré et celui de sa mort par les grands biens dont il lui avait laissé la jouissance" (350).
L'auteur place fermement cette petite histoire dans un contexte historique précis et bien étudié: le statut du premier prince du sang en tant qu'héritier du trône dans la constitution française, au cas où le roi régnant meurt sans descendant male direct. Autre aspect: l'évolution de cette constitution vers un absolutisme de mieux en mieux défini et circonscrit, qui prive la haute noblesse de son "rôle historique" de conseillers naturels du roi dans son conseil, voire, comme participants attitrés au pouvoir. De là, le "devoir de révolte" pour reprendre l'analyse d'Arlette Jouanna dès que l'équilibre de cette participation au pouvoir est rompue. [2]
Le sujet principal du livre de Bitsch consiste dans l'analyse de l'évolution politique d'Henri II Condé qui le mène du devoir de la révolte à son accommodation avec le nouveau régime absolutiste, voire, sa soumission totale à Richelieu (et au roi).
La division du livre en quatre grands chapitres correspond à cette évolution. Le premier, "Jeunesse d'un prince" va jusqu'à l'assassinat d'Henri IV, le deuxième, "Une carrière politique prometteuse (1610-1623)" relate la première "soumission" de Condé à la régente, tout en l'exploitant pour lui extorquer des dons et des biens non négligeables et pour augmenter ses revenus et son patrimoine. C'est aussi une période parsemée de révoltes et des rébellions dans lesquels Condé joue un rôle actif. Il est embastillé et en même temps, il déploie une intense activité de pamphlétaire. Ses pamphlets et écrits politiques présentent un réel intérêt et aident à mieux pénétrer les motifs et les intérêts des révoltés.
Le troisième chapitre, "Exil, soumission et rachat (1623-1646)" traite de la conversion politique de Condé, son retour en grâce et son rôle politique dans l'affermissement du régime absolutiste. En récompense, il est nommé consécutivement gouverneur du Berry et du Bourbonnais et de la Bourgogne, puis chef de campagne du Languedoc.
Le dernier chapitre, "Condé l'homme", récapitule et analyse l'évolution du prince sur le plan religieux et intellectuel et son action administrative, financière et politique dans ses dernières années. Là, nous découvrons un Condé complexe à multiples facettes, dans ses relations avec sa femme et son fils vénéré Louis, le Grand Condé, dans l'éducation et formation intellectuelle et militaire il investit le meilleur de ses dons. Des pages substantielles analysent la religion d'Henri II qui au début de sa carrière et malgré son éducation catholique - héritage oblige - et considéré comme le chef des huguenots et dont il devient ennemi juré, non seulement par "intolérance", mais aussi, parce qu'il ne leur pardonne pas ce qu'il considère leur infidélité à son égard. Bien plus proche des milieux dévots, il devient un représentant typique de la renaissance catholique et un ferme soutien, aussi financier, des jésuites. Grand noble relativement appauvri, Condé construit avec beaucoup de talent l'une des plus grandes fortunes foncières et financières de la France: dons, achats, rassemblement de terres, investissements financiers et administration méticuleuse de ses biens convergent dans cette réussite exceptionnelle. Cet enrichissement poursuivi avec acharnement témoigne aussi d'un profond changement de mentalité chez Condé. Cause ou résultat de sa conversion politique à l'absolutisme? Difficile à préciser.
Cette dernière partie du livre est aussi la partie la moins convaincante: pourquoi cette conversion politique, voire capitulation sans condition de Condé, sinon par pur opportunisme? Or, l'auteur elle-même souligne tout au long de son livre les multiples facteurs qui jouent un rôle dans la formation psychologique et intellectuelle de Condé. Un caractère infiniment plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord, et comme il ressort aussi de l'analyse patiente et compétente de l'auteur. Dans nos termes d'aujourd'hui, il s'agit d'un businessman et d'un intellectuel en même temps: un théoricien non négligeable de la pensée politique de son temps, surtout dans les différentes phases de ses révoltes et rebellions de jeunesse, quand il complète ses actions politiques et militaires avec une activité fiévreuse et intelligente de pamphlétaire - théoricien de la noblesse mécontente.
Ce qui distingue le volume de Caroline Bitsch des autre livres consacrés au Condé, notamment la monumentale et bien vieillie Histoire des Princes de Condé du duc d'Aumale au XIXe siècle et le livre plus récent de Katia Béguin [3] c'est qu'il laisse parler beaucoup plus que ses prédécesseurs les documents: mémoires, journaux, pamphlets, actes administratifs, lois et bien d'autres sont cités in extenso, parfois au long de plusieurs pages. Avec cela, ces documents s'intègrent harmonieusement, on pourra dire même naturellement dans le texte de Bitsch. Signe de modestie, mais aussi de sagesse: au lieu de paraphraser les sources, elle les laisse parler par elles-mêmes. Par là, elle reconstruit habilement l'ambiance d'une époque révolue depuis longtemps dans un livre d'histoire bâti sur des critères scientifiques rigoureux.
Notes:
[1] Jacques LeGoff: Saint Louis, Paris 1995.
[2] Arlette Jouanna: Le devoir de revolte. La noblesse francaise et la gestation de l'Etat moderne, 1559-1661, Paris 1989.
[3] Katia Béguin: Les Princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand siècle, Seyssel 1999.
Caroline Bitsch: Vie et carrière d'Henri II de Bourbon, prince de Condé (1588-1646). Exemple de comportement et d'idées politiques au début du XVIIe siècle (= Bibliothèque d'Histoire Moderne et Contemporaine; 27), Paris: Editions Honoré Champion 2008, 541 S., ISBN 978-2-7453-1620-2, EUR 95,00
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