L'étude de l'iconographie représente un des nouveaux enjeux de l'histoire de la famille romaine. Comme N. B. Kampen le définit dans sa préface, les notions de domus et familia fluctuent dans l'espace et le temps. La famille romaine est une construction culturelle dont les enjeux socio-politiques peuvent aussi être analysés au travers des représentations figurées. L'iconographie de la famille romaine fait régulièrement l'objet d'études ponctuelles, notamment dans la série des Roman Family Conferences [1], mais les recherches plus développées sont encore rares et se concentrent généralement sur un type de figure, comme l'enfant, la nourrice ou l'affranchi. [2]
Familière avec les questions de genre et de représentation [3], N. B. Kampen apporte dans Family Fictions in Roman Art une contribution importante à ces nouveaux développements en s'attachant à analyser les différents modes de mise en scène de familles de l'élite. Dans son introduction, l'auteure précise ses ambitions: son but n'est pas d'écrire une Histoire générale de la famille dans l'art romain, mais de saisir au travers d'une série de cas exemplaires ou "microhistoires" (21) différentes formes de familles et de relations familiales mises en œuvre dans l'iconographie. Son objectif est d'explorer comment le pouvoir des images a été utilisé afin de promouvoir l'autorité et la légitimité dynastique.
L'ouvrage se compose de six chapitres basés sur des documents qui s'échelonnent de l'époque augustéenne à l'Antiquité tardive et proviennent de différentes régions de l'empire. Les supports sont variés, parfois de format miniature, comme le camée de Vienne, ou de taille monumentale, comme la colonne trajanne ou l'arc des Sévères de Leptis Magna.
Le premier chapitre analyse un camée qui représente l'impératrice Livie avec le buste de son époux déifié dont elle est la prêtresse. L'auteure lit les références à Cybèle, Cérès et Vénus Genitrix comme autant de signes de la dimension de mater patriae de Livie qui se donne à voir comme la garante de la continuité dynastique de la domus Augusta. La taille délibérément disproportionnée de ses mains souligne sa force et son autorité.
Quant à Trajan, empereur sans enfant, d'autres jeux de références le font apparaître comme le pater patriae de l'empire pacifié: le deuxième chapitre s'intéresse à l'iconographie de la colonne trajane où se multiplient les représentations de femmes et d'enfants barbares qui semblent s'adresser à l'empereur et aux soldats comme à des sauveurs et non comme à des ennemis. [4] L'arc de Bénévent reproduit une idéologie similaire en accord avec le message du panégyrique de Pline le Jeune qui fait de Trajan un parens publicus.
Le troisième chapitre s'éloigne de la cour impériale et examine la nature des relations familiales entre un homme fortuné, le rhéteur Hérode Atticus, et Polydeukion, un de ses fils adoptifs. L'auteure passe en revue la série de portraits réalisés pour commémorer le garçon prématurément disparu. Les témoignages littéraires et iconographiques de ce deuil traduisent cependant davantage la posture d'un patron qu'un chagrin authentique.
L'importance idéologique de la famille et du rôle dynastique que jouent les femmes dans l'art sévérien est manifeste sur l'arc de Leptis Magna, analysé dans le quatrième chapitre. Septime Sévère, nommé empereur ni par naissance, ni par adoption, mais par les guerres civiles, se construit une légitimité en se reliant visuellement aux familles impériales antonines. Mater castrorum comme Faustine la Jeune, Julia Domna permet de construire une filiation fictive tout en affirmant l'existence d'une continuité dynastique en tant que mère de deux fils, Caracalla et Géta, dont le vécu sera bien éloigné de la propagande.
L'importance de la valeur dynastique de la famille s'efface sous les tétrarques dont les portraits construisent une véritable fiction familiale (ch. 6). Les deux célèbres groupes statuaires en porphyre représentent l'étreinte des souverains qui exprime la force des liens affectifs entre individus non apparentés. Leurs similarités physiques se substituent aux ressemblances familiales et créent une image novatrice.
Le dernier chapitre concerne le diptyque en ivoire de Flavius Stilicho (fin du IVe siècle) où se mêlent tradition et innovation. Une face présente le général romain d'origine vandale en armes et habits militaires, l'autre son épouse, Serena, nièce et fille adoptive de l'empereur Théodose, avec leur fils, Eucheris. Cette représentation de groupe familial, à une époque où ce genre s'est raréfié, permet à Stilicho de visibiliser ses liens avec le pouvoir impérial grâce à son mariage. La mise en évidence de son fils (alors qu'il a aussi deux filles) suggère son ambition, qui sera vaine, de créer un lignage. La posture de Serena est inspirée par l'iconographie de Spes sous le règne de Constantin, et souligne l'espoir de fonder une nouvelle dynastie impériale.
La démarche interdisciplinaire de N. B. Kampen est particulièrement fructueuse. Elle démontre de manière claire au moyen de quelques exemples bien choisis l'importance de la famille dans le vocabulaire visuel romain et sa valeur idéologique au service du pouvoir. L'auteure mêle de manière pertinente des documents célèbres et moins connus. L'ouvrage, accompagné d'une utile bibliographie et d'indices, est illustré de 26 photos couleurs et 46 noir-blanc; on regrettera seulement, dans notre exemplaire, la mauvaise qualité de certaines images noir-blanc en raison d'un problème d'impression.
Notes :
[1] Voir p. ex. M. T. Boatwright: Children and parents on the tombstones of Pannonia, in: M. George (ed.): The Roman Family in the Empire. Rome, Italy and Beyond, Oxford 2005, 287-318; M. George: Family Imagery and Family Values in Roman Italy, ibid., 37-66. En dernier lieu V. Dasen: Wax and Plaster Memories. Children in Elite and non-Elite Strategies, in: V. Dasen / T. Späth (eds.): Children, Memory, and Family Identity in Roman Culture, Oxford 2010, 109-145; M. Fuchs: Women and Children in Ancient Landscape, ibid., 95-107.
[2] Parmi les ouvrages et articles récents, signalons par exemple H. Schulze: Ammen und Pädogogen, Sklavinnen und Sklaven als Erzieher in der antiken Kunst und Gesellschaft, Mainz 1998; A. Backe-Dahmen: Innocentissima aetas - Römische Kindheit im Spiegel literarischer, rechtlicher und archäologischer Quellen des 1. bis 4. Jahrhunderts n.Chr., Mainz 2006; L. H. Petersen: The Freedman in Roman Art and Art History, Cambridge 2006; J. Huskinson: Constructing Childhood on Roman Funerary Memorials, in: A. Cohen / J. Rutter (eds.): Constructions of Childhood in Ancient Greece and Italy, Princeton, N.J. 2007, 323-38; J. Huskinson: Picturing the Roman family, in: B. Rawson: A Companion to Families in the Greek and Roman Worlds, Oxford 2011, 521-541; J. H. Tulloch: Devotional Visuality in Family Funerary Monuments in the Roman World, ibid., 542-563.
[3] P. ex. Image and Status: Roman Working Women in Ostia, Berlin 1981; Gender Theory in Roman Art, in: D.E.E. Kleiner / S.B. Matheson: I Claudia, Women in Ancient Rome, New Haven 1996, 14-25; The family in Late Antique Art, in: L. Larsson Lovén / A. Strömberg (eds.): Public Roles and Personal Status. Men and Women in Antiquity, Sävedalen 2007, 123-142.
[4] Des réflexions que l'on retrouve dans J. D. Uzzi: Children in the Visual Arts of Imperial Rome, Cambridge 2005.
Natalie Boymel Kampen: Family Fictions in Roman Art. Essays on the Representation of Powerful People, Cambridge: Cambridge University Press 2009, XVIII + 208 S., ISBN 978-0-521-58447-0, GBP 45,00
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