Depuis une trentaine d'années, historiens et archéologues étudient les groupes épiscopaux dans toutes leurs composantes matérielles et fonctionnelles. Les enquêtes portant aussi bien sur le haut Moyen Âge, comme la Topographie chrétienne des cités de la Gaule des origines au milieu du VIIIe siècle et les Actes du XIe congrès international d'archéologie chrétienne, que sur des périodes plus tardives, montrent ainsi que si le couple cathédrale-baptistère reste au cœur des quartiers épiscopaux, il s'accompagne d'une multitude de structures périphériques. Celles-ci se destinent à l'accueil des pauvres et des malades, la mise en scène du pouvoir épiscopal, l'hébergement des clercs, la gestion matérielle du quotidien et le stockage de marchandises diverses. Les quatorze contributions au colloque tenu à Autun en novembre 2009 s'inscrivent dans cette approche et concentrent leur attention sur la maison épiscopale et sa transformation progressive en palais.
L'espace gaulois fait l'objet de l'attention la plus soutenue et bénéficie de huit monographies concernant essentiellement des cités comprises entre la Loire, les Alpes et la Méditerranée, qui ont beaucoup profité de l'essor de l'archéologie préventive, de la relecture de dossiers anciens et de politiques patrimoniales favorables. Charles Bonnet (115-117) souligne ainsi une nouvelle fois la multifonctionnalité du groupe épiscopal de Genève. Quant à Jean-François Reynaud (15-27), il s'appuie sur l'archéologie, des textes souvent précis et une riche documentation iconographique pour retracer l'évolution du palais épiscopal de Lyon. Il montre que l'emprise du groupe épiscopal ne cesse de s'accroître et acquiert progressivement l'allure d'un complexe palatial. En ce qui concerne Grenoble (63-71), l'évolution du baptistère est désormais bien connue grâce à des fouilles récentes. Il reste toutefois périlleux de restituer l'allure du groupe épiscopal avant le XIIIe siècle et d'envisager l'existence d'une cathédrale double au haut Moyen Âge.
L'enquête d'Yves Esquieu sur Viviers (89-97), même si elle se heurte aux mêmes difficultés documentaires, fait apparaître la pluralité des résidences épiscopales vers 1300. Les évêques résident alors de plus en plus souvent à Bourg-Saint-Andéol, dans une demeure dont les sources écrites et archéologiques permettent une restitution très précise. Cette prise de distance vis-à-vis du groupe épiscopal primitif existe aussi à Poitiers (75-87) et à Marseille (99-114) où les prélats s'éloignent physiquement de leur cathédrale à compter de l'époque carolingienne. Celle-ci constitue une rupture également au nord de la Loire. À Autun, Sylvie Balcon-Berry et Water Berry (43-62) constatent ainsi une stricte séparation entre le domaine de l'évêque et celui des chanoines à partir du IXe siècle. Ils pointent, en outre, deux éléments originaux: une zone d'inhumations précoce et un cloître à galerie antérieur au Xe siècle. À Reims (29-41), le groupe épiscopal conserve pendant longtemps une physionomie héritée de l'Antiquité tardive jusque dans les années 820.
Les contributions qui ne portent ni sur la France ni sur la Suisse actuelles s'intéressent au sud de l'Europe. Celle qui concerne le Latran (119-131) souligne les discordances entre les enseignements de textes assez nombreux et les informations issues des fouilles. Celle qui analyse le dossier de Ravenne (133-145) révèle qu'un large complexe se développe dès le début du Ve siècle en relation avec la promotion politique de la cité. Le palais épiscopal, construit au sud de la cathédrale, bénéficie de reconstructions et d'embellissements jusqu'au IXe siècle. Ce bâtiment d'exception richement décoré, destiné à rivaliser en magnificence avec les palais impériaux, abrite aussi bien des pièces de réception et des oratoires que des thermes. L'étude de Poreč (164-172) revient sur l'inscription du quartier épiscopal dans la trame urbaine romaine et la relation entre la cathédrale et la résidence épiscopale construite au milieu du VIe siècle. Celle-ci présente plusieurs niveaux diversement aménagés et de multiples annexes qui attestent de fonctions variées malheureusement non documentées par les textes.
Au total, seules quelques contributions s'affranchissent du cadre local. Celle de Jean-Pierre Caillet (149-162) montre, à partir de sites de Méditerranée orientale et d'Afrique du nord, que le corpus archéologique demeure lacunaire et incertain. Cela invite à approfondir la réflexion sur les spécificités des palais épiscopaux par rapport aux grandes constructions civiles, voire à remettre radicalement en cause l'identification de certains édifices. François Baratte (173-184) parvient à des conclusions similaires dans son étude consacrée à l'Afrique de la période romaine à la domination byzantine. Il note, par ailleurs, l'absence de grands ensembles résidentiels autour des cathédrales, même si les textes et les restitutions laissent apparaître des complexes d'une certaine importance. Sveva Gai (185-208) se livre elle aussi à une relecture critique et invite à réviser la chronologie des palais épiscopaux de Saxe occidentale. Les évêques, en effet, ne font élever de véritables complexes qu'à partir de la période ottonienne, soit au moment où ils disposent de pouvoirs étendus leur permettant d'intervenir concrètement sur le développement topographique de leurs cités.
Dans leurs conclusions (209-215), Jean Guyon et Christian Sapin relèvent que les demeures épiscopales occupent longtemps dans le paysage mental une place presque aussi importante que celle des cathédrales. Leur identification pose pourtant problème en dehors des sites exceptionnellement conservés comme Poreč ou intégralement fouillés comme Genève. En conséquence, il existe pour les périodes hautes un risque élevé de contre-sens. À partir du IXe siècle, des sources plus nombreuses et plus variées témoignent des modifications et des constructions qui s'opèrent généralement dans un cadre qui diffère peu de celui de l'Antiquité tardive. Les résidences épiscopales apparaissent désormais comme des fondements de l'identité et de la présence épiscopale dans le paysage urbain. La recherche de l'ostentation et du confort et la spécialisation progressive de leur espace interne, souvent organisé verticalement, témoignent de leur transformation en palais dans la seconde partie du Moyen Âge.
Sylvie Balcon-Berry / François Baratte / Jean-Pierre Caillet: Des domus ecclesiae aux palais épiscopaux. Actes du colloque tenu à Autun du 26 au 28 novembre 2009 (= Bibliothèque de l'Antiquité tardive; 23), Turnhout: Brepols 2012, 216 S., ISBN 978-2-503-54402-1, EUR 70,00
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