Longtemps inespéré mais attendu par les critiques, historiens et enseignants, cet ouvrage en sept volumes fera date. Nous disposons en cette précieuse série d'un travail moderne et monumental d'édition, de recension minutieuse, d'annotation et d'interprétation (quasi) intégrale des lettres écrites par Madame de Maintenon. Françoise d'Aubigné, il faut l'avouer, tend à continuer à avoir mauvaise presse et à asseoir la mauvaise réputation que lui avaient donnée Saint-Simon et la Palatine, et à laquelle Laurent Angliviel de La Beaumelle avait également largement contribué dès sa publication contestable des Mémoires et des Lettres entre 1755 et 1756. Ne serait-ce qu'assez récemment, le film de Patricia Mazuy, Saint-Cyr, sorti en salle en 2000, la montre tyranique, cruelle, délirante de mysticisme. Dans le domaine de la critique littéraire, dès la fin des années soixante-dix, le travail de Carolyn Lougee et de Carlo François privilégia l'interprétation de l'effort antiféministe de confinement au domaine domestique auquel s'attacha la créatrice de la Maison Royale de Saint-Louis, à Saint-Cyr, tout en illustrant la place prépondérante que Madame de Maintenon doit avoir dans notre compréhension du débat idéologique et de l'histoire intellectuelle des femmes dans le monde occidental.
Lentement, néanmoins, la seconde épouse de Louis XIV commence à trouver plus de grâces aux yeux des critiques, la disponibilité des sources primaires n'y étant pas étrangère. Françoise Chandernagor, dans son roman historique à énorme succès L'Allée du Roi (1981) qui fut plus tard adapté pour la télévision en 1995, avait déjà tenté de réhabiliter l'image publique de cette reine secrète longtemps vilipendée et de lui donner un visage humain, modérément ambitieux, calme. Plus récemment, en 2010, Veronica Buckley s'est attelée à la même tâche dans The Secret Wife of Louis XIV: Françoise d'Aubigné, Madame de Maintenon. Il y a un an paraissait aux Presses Universitaires de Rennes une belle collection d'articles intitulée Madame de Maintenon, une femme de lettres et établie sous la direction de Christine Mongenot et Marie-Emmanuelle Plagnol-Dieval, un ouvrage se donnant pour but l'exploration rhétorique et esthétique des textes de Françoise d'Aubigné et qui démontre que l'écriture de la reine secrète est beaucoup moins spontanée qu'elle n'est maîtrisée, précise, exacte et délibérée. Enfin, soulignons les commentaires de John Conley, S.J., aux Etats-Unis, dont le travail monumental de traduction des Dialogues [1] et d'étude de la complexité du regard moral de Madame de Maintenon réinterprète son travail éducatif et nuance grandement la portée de propos plus communément taxés d'antiféminisme. Or, sans outil moderne, sans cette édition en sept volumes, la collection d'articles des PUR n'aurait pas vu le jour et la traduction de Conley aurait moins de poids. Rappelons que les dernières éditions exhaustives des lettres de Madame de Maintenon remontent aux recueils établis par Théophile Lavallée entre 1854 et 1866, ainsi qu'aux volumes édités par Marcel Langlois de 1935 à 1939.
Honoré Champion vient donc d'achever la publication de l'édition des Lettres de Madame de Maintenon, entamée dès 2009, à laquelle ont successivement travaillé Hans Bots et Eugénie Bots-Estourgie, Marcel Loyau, Christine Mongenot, Jan Schillings et Catherine Hémon-Fabre. Nous disposons désormais d'un précieux et superbe outil qui saura renouveler les directions de recherches, que ce soit en histoire, en histoire des idées, en histoire littéraire. Ces sept volumes de lettres écrites par Madame de Maintenon nous offrent une perspective unique sur la vie à la Cour, sur les querelles et combats théologiques qui ébranlèrent la pratique et le débat religieux, sur la guerre de succession d'Espagne, et sur la vision éducative et pédagogique de celle qui fonda la maison royale de Saint-Cyr. La tranche d'histoire que ces lettres nous font traverser est large: de 1650 à 1719. Dans le tourbillon qui l'entoure, le regard qu'elles dénotent peut s'avérer solitaire, lucide, complexe. La réflexion est délibérée et intentionnée, souple, même si le style ne rappelle jamais le langage enjoué et prolixe des lettres de Madame de Sévigné.
Nous savons que la marquise avait brûlé ou fait détruire un grand nombre de lettres, y compris tout l'échange épistolaire avec Louis XIV. Le corpus exclut par la force des choses certaines lettres toujours détenues par des chasseurs d'autographes, mais comprend environ 4450 lettres qui se trouvent aujourd'hui dans différents fonds d'archives du monde entier, soit quatre fois plus que le nombre de lettres recensées par l'édition Lavallée (1864-1865). Cette édition est tout ce dont un chercheur peut rêver. Les textes sont parfaitement présentés et annotés. Une liste d'Incipit des lettres complète le travail d'édition, comprenant les premiers mots de chaque lettre, le destinataire et plus encore. Le dernier volume présente également une liste des correspondants, une liste d'archives, une bibliographie détaillée de toutes les éditions, un index des noms de personnes, de lieux et de thèmes, des tableaux généalogiques. Soulignons enfin le travail d'introduction à chaque volume, détaillé, innovateur, présentant un regard intellectuel poussé mais surtout forçant la réflexion et un effort critique soutenu de la part du chercheur et du lecteur.
Note:
[1] Madame de Maintenon, Dialogues and Addresses, translated by John J. Conley, S.J. University of Chicago Press 2004.
Christine Mongenot (éd.): Lettres de Madame de Maintenon. Volume V. 1711-1713 (= Bibliothèque des Correspondances, Mémoires et Journaux; 74), Paris: Editions Honoré Champion 2013, 769 S., ISBN 978-2-7453-2514-3, EUR 117,88
Hans Bots / Eugénie Bots-Estourgie / Catherine Hémon-Fabre (éds.): Lettres de Madame de Maintenon. Volume VII (= Bibliothèque des Correspondances, Mémoires et Journaux; 77), Paris: Editions Honoré Champion 2013, 595 S., ISBN 978-2-7453-2607-2, EUR 92,25
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