Spécialiste des paroisses médiévales au prisme du genre, Katherine L. French rassemble dans ce volume des réflexions disséminées dans plusieurs de ses articles et nous offre une incursion dans Londres après la peste noire au travers de la question de la consommation de biens. Reprenant une problématique désormais classique sur les répercussions de la peste dans les sociétés occidentales, l'auteure explore la culture matérielle des populations londoniennes - plus spécifiquement celle des milieux artisans et commerçants - dans une période économique délicate qui se caractérise par une phase de récession du milieu du XIVe au milieu du XVe siècle, puis par une reprise économique et commerciale significative à partir de 1540, afin de préciser quelles ont été les modalités de consommation domestique conduisant graduellement à l'émergence de nouveaux modes de vie et à l'élaboration d'une identité sociale distincte.
L'introduction (1-16) justifie le choix du Londres post-épidémique. Centre économique de l'Angleterre concentrant marchands et artisans, la cité offre en effet à l'enquête historique de nombreuses données après le pic de mortalité de 1348-1349. Ici, l'auteure s'intéresse non seulement aux éléments archéologiques, mais s'appuie également sur un corpus abondant mais peu exploité de sources juridiques - présentées en détail en annexe (221-230) - consistant en plus de trois cents testaments et inventaires dressés au cœur des différentes cours de justice de Londres entre 1334 et 1540.
Le premier chapitre (17-41) commence par brosser un rapide portrait de la consommation domestique à Londres avant la peste de manière à mieux cerner les permanences et les mutations après l'épidémie. Si avant le milieu du XIVe siècle, la cité est densément peuplée et fait face à une pénurie de logement, elle est ensuite durement touchée par les phases épidémiques et les famines. Ainsi, elle perd entre un tiers à la moitié de sa population, ce qui génère l'abandon de nombreux bâtiments, un déficit de main-d'œuvre et une explosion des salaires et des prix. Mais ce vide est progressivement comblé par l'arrivée de marchands venus d'autres cités : ils connaissent alors une rapide ascension économique qui stimule leur consommation et in fine améliore leur confort domestique.
Les chapitres suivants se focalisent véritablement sur la culture matérielle et les pratiques de consommation domestique après la peste. Le chapitre 2 (42-72) est consacré aux différentes manières dont sont estimés les biens par leurs propriétaires, de leur valeur pécuniaire à leur capital affectif. C'est particulièrement vrai d'objets tels que la literie et les mazers (54-63) - récipients en bois recouverts de métal utilisés pour boire en famille et entre amis qui permettent d'entretenir des liens de sociabilité dans la vie comme dans la mort - premier objet de luxe acheté après l'épidémie, c'est également le legs le plus répandu.
Logiquement, le chapitre suivant (73-98) se concentre sur les habitations, leurs proportions et leur agencement. Après la crise démographique, les maisons s'agrandissent, le nombre de pièces augmente et leur fonction se spécialise (hall, parloir, chambres à coucher, cellier, cuisine intérieure au logement à partir du milieu du XVe siècle) comme en témoignent le mobilier et les éléments de décoration (tapisseries et linges, armes exposées). Désormais, les artisans et les commerçants sont assez riches pour garantir leur confort domestique et même s'offrir des objets de luxe, consommant ainsi par plaisir.
Le chapitre « Good Housekeeping in Post-Plague London » (99-127) s'interroge plus précisément sur les usages des biens consommés dans le cadre du foyer ainsi que sur les tâches domestiques qui leur sont liées en cherchant expressément à déterminer quelle place et quel rôle ont pu avoir les femmes. L'auteure montre notamment que si la littérature moralisatrice tendait à essentialiser l'identité des femmes à travers les injonctions domestiques auxquelles elles devaient se soumettre (nettoyage et lavage), les sources dépouillées ont plutôt révélé que les objets relevant des soins domestiques n'ont pas été dans un premier temps plus légués aux femmes qu'aux hommes. Ce n'est qu'au milieu du XVe siècle qu'un glissement s'opère faisant des femmes de bonnes ménagères. Selon l'auteure, les femmes se sont emparées de cette distribution genrée des rôles au sein du foyer pour s'insérer dans la hiérarchie de la maisonnée en donnant de la valeur aux soins domestiques, à leur identité de ménagère et à la transmission d'une mémoire domestique, ainsi que le prouvent les testaments de femmes dans lesquels la sélection des biens à transmettre est plus fine que dans ceux dressés par des hommes. Autrement dit, l'auteure conclut que le champs des soins domestiques est un outil d'affirmation des femmes.
Le chapitre 5 (128-154) s'attarde sur la question de l'alimentation. Après la peste, la quantité et la qualité des produits alimentaires s'accroissent. La préparation des repas exige désormais des pratiques plus élaborées - qui reviennent généralement aux femmes - tout comme les rituels de commensalité (individualisation des récipients au lieu d'un plat partagé, spécialisation accrue de la vaisselle), donnant ainsi aux femmes une place centrale dans la qualité de vie de la maisonnée.
Le chapitre suivant (155-189) s'attache, quant à lui, aux soins exclusivement féminins de la maternité, de l'accouchement et des soins corporels des enfants pour lesquels des objets et des éléments de mobilier sont de plus en plus répandus (linge, berceau, chaise, jouets qui apprennent aux petits leur position sociale), mais aussi plus globalement aux soins de santé dévolus aux femmes, leur donnant là encore une place cruciale dans le bien-être domestique.
À ces soins du corps s'ajoutent des soins spirituels comme l'expose le dernier chapitre (190-216) qui s'intéresse à la piété domestique - plus généralement pratiquée par les femmes - venant en complément des dévotions paroissiales. Cette religiosité participe à la consommation de biens en reposant de plus en plus sur différents objets (chandelles, chapelets, images pieuses conservées dans des boîtes dédiées, bénitier, livres en particulier des Livres d'heures), voire sur des espaces sacrés allant d'autels mobiles à des chapelles privées pour quelques privilégiés en mesure de s'offrir du mobilier liturgique et les services d'un chapelain.
En d'autres termes, l'apport majeur de l'ouvrage, synthétisé dans une rapide conclusion (217-219) n'est en définitive pas tant l'analyse de la hausse de la consommation de biens domestiques à Londres après la peste, mais bien plutôt l'examen de la distribution genrée des soins du foyer qui, loin d'être une évidence comme le démontre l'auteure, est une construction sociale courant sur deux siècles, plaçant petit à petit les femmes au cœur de la culture matérielle liée à des fonctions domestiques précises. La grande clarté du propos agrémenté de notes d'humour (« Desperate Housewives of the Late Middle Ages » 146), la riche bibliographie (274-306), l'index (306-314) et les nombreux supports statistiques et iconographiques - malheureusement tous en noir et blanc - en font un ouvrage efficace qui offre des perspectives précieuses pour l'histoire des femmes et l'histoire du genre pour la période médiévale, en évitant intelligemment toute forme d'essentialisation de la distinction de sexe en mettant en balance injonctions sociales et vécu de terrain.
Katherine L. French: Household Goods and Good Households in Late Medieval London. Consumption and Domesticity After the Plague (= The Middle Ages Series), Philadelphia, PA: University of Pennsylvania Press 2021, XVII + 314 S., 2 Kt., 50 s/w-Abb., 7 Tbl., ISBN 978-0-8122-5305-4, EUR 65,00
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