Publié en 2022 aux éditions de l'École Normale de Pise, l'ouvrage dirigé et introduit par Corrado Bologna et Carlo Zacchetti regroupe les interventions de seize chercheurs en italien, français et anglais, ainsi qu'une conclusion de Jean-Yves Tillette, prononcées lors du colloque La cultura dei vittorini e la letteratura medievale, qui s'est tenu à l'École Normale Supérieure de Pise le 23, 24 et 25 janvier 2019. Pour chaque article, un résumé en anglais est proposé à la fin de l'ouvrage (461-468). On trouve à leur suite un index des noms (469-483), des manuscrits (485-488) ainsi que des œuvres d'Hugues et Richard de Saint-Victor (489-490). La fin de l'ouvrage est aussi l'occasion de regrouper de nombreuses illustrations évoquées dans les articles et qui sont en elles-mêmes particulièrement significatives de la réception de la pensée victorine à travers toute l'Europe médiévale, notamment dans ses aspects les plus visuels (491-527).
Les interventions présentes dans l'ouvrage rassemblent des spécialistes de différents domaines autour de la question victorine. Elles font dialoguer de nombreuses institutions, italiennes, françaises, suisses, anglaise, finlandaise et américaine, ainsi que différentes générations, ce qui se marque jusque dans la direction de l'ouvrage, associant les noms de Corrado Bologna et Carlo Zacchetti. La présence de jeunes chercheurs dans cet ouvrage illustre bien l'attrait actuel des études victorines notamment en Italie, en France, en Allemagne ou en Pologne. La triple ouverture intellectuelle, géographique et générationnelle, fidèle à l'héritage victorin, enrichit la qualité de l'ouvrage.
Dans l'introduction, Corrado Bologna exprime l'ambition de marquer le paysage des études victorines, à la suite du colloque parisien de 2008 sur l'école de Saint-Victor et son influence, publié en 2010 dans la collection Bibliotheca Victorina et du colloque de Todi en 2010 sur Hugues de Saint-Victor. [1] C'est en effet un pari réussi car à travers une réflexion littéraire, chaque article montre une rigueur méthodologique et une vraie érudition. Mais plus encore, c'est l'association et les liens entre ces réflexions qui fait la vraie richesse de cet ouvrage. Par le prisme de la littérature, les auteurs forment peu à peu le contour de ce qui fait la culture et l'identité victorine.
Nous notons cependant que dans cet ouvrage la perspective victorine est souvent réduite à la pensée d'Hugues et Richard. Seul Antonio Sordillo donne accès aux œuvres d'autres victorins tels qu'Adam ou Godefroid. Une plus ample enquête sur les divers auteurs victorins auraient complété ces études.
Parmi les seize articles, les deux premiers, à la suite de l'introduction, présentent les enjeux posés par la question du colloque et assurent les fondements sur lesquels les autres articles se déploient. Le premier est celui de Dominique Poirel. Son intervention qui était à la seconde place lors du colloque a été déplacé à la suite de l'introduction car il vient poser la question centrale de l'existence d'une école de Saint-Victor. Il y répond par l'affirmative et montre à la fois la difficulté de cette enquête et la spécificité de cette école de pensée, qui n'est pas monolithique, mais ouverte et vivante, toujours en évolution.
À sa suite, Pascale Bourgain met l'accent sur la place spécifique qu'occupent les victorins dans le paysage littéraire de leur époque, toujours en équilibre entre le cloître et l'école, et pour qui la prose est un art au service de la construction du sens.
En conclusion, Jean-Yves Tilliette propose de mettre en avant trois grands thèmes parcourus dans ces enquêtes: Tout d'abord l'apport spécifique et central des victorins dans la pédagogie visuelle, présentée dans de nombreux articles à travers les mots (Ritva Palmén), les cartes (Alessandro Scafi), les diagrammes et les figurae (Marco Rainini, Francesca Galli), les arborescences (Francesco Zambon, Claudia di Fonzo) et plus spécifiquement chez Hugues, l'arche de Noé (Conrad Rudolph). On regrette cependant l'absence de référence concernant l'illustration de la couverture.
Le deuxième thème relevé par Jean-Yves Tillette concerne la langue victorine si spécifique, dans laquelle "la forme se fait sens comme le verbe s'est fait chair". Plusieurs interventions présentent les pouvoirs de cette langue victorine (Antonio Sordillo, Ritva Palmén, Claudia di Fonzo, Giulio d'Onofrio) montrant ainsi que toute étude littéraire sur les victorins déborde ce seul aspect pour toucher l'essence de la pensée victorine.
Enfin le dernier thème est celui de l'ordo, recherche de beauté de perfection à travers une hiérarchie, mais qui invite au mouvement, à la sortie de soi. Cette pensée dynamique, typique de l'école de Saint-Victor comme le rappelle Dominique Poirel, permet, à travers les différents articles, de montrer l'apport central des victorins dans la pensée et la littérature médiévale et son héritage dans la littérature, notamment à travers la circulation des manuscrits (Carlo Zacchetti), que ce soit chez les franciscains (Francesco Zambon), les troubadours (Marco Bernardi), chez Dante (Mira Mocan) et même chez Pétrarque (Sabrina Stroppa). Cet écho victorin fait fi du temps et de l'espace puisqu'on retrouve au XXe siècle des penseurs tels qu'Ezra Pound (Lorenzo Fabiani) ou Ivan Illich (Corrado Bologna), qui pensent le rapport des victorins à la langue et à l'écrit.
Cet ouvrage enrichit considérablement les études victorines et en cela s'associe à un autre ouvrage collectif publié en 2021, qui interroge l'influence de la pensée victorine en Europe dans une perspective doctrinale et spirituelle. [2] Le présent ouvrage n'est pas distribué en parties distinctes mais la richesse des liens entre articles et l'enchevêtrement des questions et réponses proposées par les uns et les autres proposent un dialogue ouvert auquel le lecteur est invité à participer. Les trois thèmes donnés en conclusion par Jean-Yves Tillette donnent cependant au lecteur un ordonnancement possible, une interprétation qui n'enferme pas, mais vient au contraire ouvrir la réflexion et donne encore d'autres pistes de recherche. Le colloque et l'ouvrage à sa suite sont donc une matière et des échanges qui invitent à penser l'école victorine dans son rapport à la littérature. Ils ouvrent la réflexion à la manière des victorins, en rassemblant des grands maîtres et des plus jeunes dans des échanges féconds à l'instar des horae locutionum propices à l'apprentissage et à la pensée.
Notes:
[1] Dominique Poirel (éd): L'école de Saint-Victor de Paris. Influence et rayonnement du Moyen Âge à l'époque moderne. Actes du colloque international du CNRS pour le neuvième centenaire de la fondation [1108-2008] tenu au Collège des Bernardins à Paris les 24-27 septembre 2008 (Bibliotheca Victorina; 22), Turnhout 2010; Ugo di San Vittore: Atti del XLVII convegno storico internazionale del Centro italiano di studi sul basso medioevo-
Academia Tudertina [Todi, 10-12 ottobre 2010], Spoleto 2011.
[2] Dominique Poirel / Marcin Jan Janecki / Wanda Bajor / Michal Buraczewski (eds): Omnium expetendorum prima est sapientia. Studies on Victorine Thought and Influence (Bibliotheca Victorina; 29), Turnhout 2021.
Corrado Bologna / Carlo Zacchetti (a cura di): La scuola di San Vittore e la letteratura medievale, Pisa: Edizioni della Normale 2022, XLI + 529 S., 35 Farb-, 22 s/w-Abb., ISBN 978-88-7642-699-5, EUR 30,00
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