Rezension über:

Lucy Perry / Alexander Schwarz (eds.): Behaving Like Fools. Voice, Gesture, and Laughter in Texts, Manuscripts and Early Books (= International Medieval Research; Vol. 17), Turnhout: Brepols 2010, XIV + 301 S., mit 28 s/w-Abb., ISBN 978-2-503-53157-1, EUR 80,00
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Rezension von:
Martine Clouzot
Département d'histoire, Université de Dijon
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Martine Clouzot: Rezension von: Lucy Perry / Alexander Schwarz (eds.): Behaving Like Fools. Voice, Gesture, and Laughter in Texts, Manuscripts and Early Books, Turnhout: Brepols 2010, in: sehepunkte 12 (2012), Nr. 7/8 [15.07.2012], URL: https://www.sehepunkte.de
/2012/07/20842.html


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Lucy Perry / Alexander Schwarz (eds.): Behaving Like Fools

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Tenter de définir le fou derrière ses multiples masques littéraires et iconographiques entre 1200 et 1600, tel est l'objet de cet ouvrage collectif, particulièrement réussi, riche en analyses critiques et en documents. Né à l'issue de l'International Medieval Congress de Leeds sur "Emotion and Gesture" en 2006, il a été réalisé, pour l'essentiel, à partir des sessions de la Oswald-von-Wolkenstein-Gesellschaft consacrées aux fous dans la littérature, les manuscrits enluminés et les incunables des époques médiévales et modernes. Lucy Perry et Alexander Schwarz, qui ont réuni les textes, ouvrent ce recueil de treize articles, illustré de 28 figures, par une présentation historiographique des thématiques et des problématiques littéraires sur le personnage.

Leur objectif a été d'essayer de définir nouvellement les fous, en montrant que, si la dénomination "fou" existe bien, il n'en va peut-être pas de même du concept "fou". La question générale pourrait être de savoir s'il y a correspondance entre "fou" et "folie". Pour ce faire, Lucy Perry et Alexander Schwarz entendent renouveler la notion d'ubiquité qui caractérise les fous dans les récits littéraires médiévaux et modernes. De fait, ils tiennent à se distinguer des études de leurs prédécesseurs, allemands et anglo-saxons, depuis la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 1980. Ceux-ci recomposaient en quelque sorte le fou en faisant coïncider "la réalité sociale", les illustrations (enluminures et gravures) et le Carnaval. Telle était notamment la classification proposée par Werner Mezger dans ses travaux, restés importants dans l'historiographie. Mais, l'ouvrage incontournable, revenant comme un topos dans les études littéraires, est celui de Mikhail Bakhtine. Bien qu'il ne soit jamais replacé dans son contexte historique - le régime soviétique des années 1940 -, il sert de point de départ critique aux typologies des fous proposées par les auteurs des articles.

L'enjeu des articles de Guillaumette Bolens (Canterbury Interlude and Tale of Beryn), de Susanna Niiranen (la poésie du troubadour Peire Vidal), de Françoise le Saux (le Roman de Rou de Wace), de Neil Thomas (la Légende de Tristan de Gottfried), de Patrizzia Mazzadi (Tristan) et de Lucy Perry (Gauvain) consiste à déterminer toute une série de caractères fictionnels. Ils visent à analyser la multitude de facettes du fou, en interaction avec les trois éléments qui lui sont spécifiques, à savoir la voix, les gestes et le rire. (Cordula Böcking-Politis; Siegrid Schmidt).

Par l'étude des gestes, du langage, du corps en mouvement des fous, il s'agit d'abord pour les auteurs d'essayer de distinguer la folie artificielle de la folie naturelle chez les héros pris de folie et / ou simulant la folie, dont Tristan est le cas typique (Patrizzia Mazzadi). La nature de la folie, feinte ou réelle, est examinée à partir de ses aspects vestimentaires, son langage, sa performance, ses gestes, dont l'intentionnalité et la rationalité sont difficiles à discerner. Le modèle de cette ambivalence est à trouver chez l'insipiens psalmique: par ses paroles, il est le blasphémateur qui nie Dieu en son cœur. Or, ses mots insensés révèlent-ils une folie naturelle ou artificielle ? Néanmoins, outre les psaumes, le modèle fondateur de la folie et du fou se trouve dans la théologie de la "folie de la Croix" que saint Paul définit dans l'Epître aux Corinthiens comme la folie/sagesse de Dieu qui a laissé crucifier son Fils, afin de le révéler aux hommes et les sauver de leurs péchés. Même si elle est mentionnée dans les études sur les fous, elle n'est pas toujours suffisamment prise en compte, à l'exception de l'article de Stefan Bießenecker sur le rire. Pourtant, le modèle paulinien permet d'expliquer les rituels festifs de la Fête des Fous et de Carnaval. Elle est probablement présente dans les rapports sociaux entre le roi et son fou de cour (Jester, Hofnarren), y compris dans la littérature (Tristan) et les images.

Mais, la grande qualité de cet ouvrage est d'avoir sans cesse interroger l'étrangeté du fou et ses masques linguistiques et physiques. Dans les récits, dans les manuscrits enluminés et les livres imprimés, son ambiguïté sert avant tout à révéler l'"anormalité" au sens narratif et ontologique d'altérité - "le fou, c'est l'autre". Cette altérité est d'autant plus difficile à discerner que le narrateur, ou le peintre, n'identifie pas toujours le comportement étrange et anormal du personnage, du roi, de l'auteur: qui, du narrateur, du lecteur, du héros, est vraiment fou ? - eux-mêmes ou leur masque ?

Les auteurs des articles se sont attachés à montrer en quoi le personnage du fou est doté d'une puissance créatrice de la narration et dans les images: il crée et brise la fiction en s'adressant aux lecteurs et/ou à l'auditoire. Aussi, chaque article indique-t-il que l'altérité distinctive du fou réside avant tout dans l'étrangeté de son comportement, de sa performance, vocale, linguistique et gestuelle. Les vêtements colorés et bi-partis du fou, la marotte, les grelots et le capuchon à pointes, associés à ses paroles, à sa voix, à ses gestes, ne donneraient pas corps à la folie mentale, mais aux comportements extérieurs du fou, utilisés par les auteurs pour servir le récit. En effet, dans les gravures et le texte de Das Narrenschiff de Sebastian Brant (1494), ainsi que dans les incunables illustrés de l'histoire de Till Eulenspiegel traduite par Paul Oppenheimer en 1515, les auteurs utilisent le corps et le langage du fou comme métaphores (Alexander Schwarz), certes des proverbes, mais aussi des contre-modèles qu'il incarne, à savoir les vices et la sottise de l'humanité (Siegrid Schmidt).

Instruments de la rupture dans l'ordre de la normalité, les fous provoquent le rire. C'est en tout cas ce que les travaux passionnants de Werner Röcke démontrent depuis plusieurs années. Les auteurs de l'ouvrage s'inscrivent dans la lignée de ce spécialiste de la littérature épique et du rire au Moyen Âge. Leurs articles constituent l'autre versant, plus réduit, du recueil (Peter Glasner; Rosamund Allen; Stefan Bießenecker; Tanja-Isabel Habicht). Consacrés au rire, en particulier le long article fort documenté de Stefan Bießenecker, ils analysent les décalages entre les intentions du discours des fous, verbaux et non verbaux, et les gestes intentionnels ou non de leur corps, qui de fait, introduisent le comique et le scandale. W. Röcke et ses collaborateurs ont bien étudié les différentes techniques corporelles utilisées dans le théâtre et les sotties: elles servent à "faire le fou", c'est-à-dire à faire un usage non orthodoxe du corps en le rendant grotesque. Bakhtine l'avait déjà explicité au moyen du binôme du "haut et du bas corporel" chez Rabelais; il avait inscrit la subversion dans le microcosme social du banquet pour mieux le relier à l'universalisme du rire et du grotesque. Dans cet esprit, certains littéraires avancent l'hypothèse - à discuter -, que le comportement, les gestes, les paroles du fou médiéval auraient servi à assurer la perpétuation des rituels, alors que le fou du XVIe siècle les aurait brisés par la transgression. Mais, par son comportement transgressif, linguistique et gestuel, il transformerait la transgression en un rituel obligé du comique, du ridicule et du grotesque. Là encore, fidèles à W. Röcke, mais aussi à Peter Burke, les articles montrent bien que si le fou est un instrument dynamique de la création narrative et picturale, il est difficile de déterminer les différents types de rire qu'il est supposé provoquer: le rire, la moquerie, l'ironie (Tanja-Isabel Habicht) ? Du rire selon la Règle de saint Benoît, au rire monastique, en passant par le rire du Christ, ses problématiques littéraires sont, d'après les auteurs des articles, indissociables de celles du fou: selon eux, elles portent aussi sur le renversement des valeurs, l'orgueil et l'humilité, la folie et la sagesse. Aussi, le grand intérêt de ce recueil est moins d'interroger la nature du rire du fou que l'intentionnalité des textes qu'ils étudient : sont-ils destinés à faire rire ? Et dans l'affirmative, les rires étant différents selon les auditoires, qu'expriment ces textes sur l'étrangeté du fou, de sa voix, de sa gestuelle, et, de façon universelle, sur le propre de l'homme: le rire ?

Ainsi, pour paraphraser Michel Foucault, toute société se définissant par des normes morales, sociales et politiques, ce riche recueil d'articles rappelle qu'à chaque culture correspondent, certes, une pluralité, mais aussi une interdiscursivité des discours sur la folie. D'une façon globale, l'ouvrage renouvelle actuelle des études sur les fous, en en livrant une belle synthèse, problématisée et exhaustive, aux époques médiévales et modernes.

Martine Clouzot