Christoph Flüeler / Lidia Lanza / Marco Toste (eds.): Peter of Auvergne. University Master of the 13th Century (= Scrinium Friburgense; Bd. 26), Berlin: De Gruyter 2015, 520 S., ISBN 978-3-11-022849-6, EUR 129,95
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Ce volume est le fruit d'un travail collectif mené dans le cadre du projet "The political philosophy of Peter of Auvergne" soutenu par la Swiss National Foundation entre 2005 et 2010. Plus précisément, il correspond aux contributions proposées lors d'un colloque international sur le thème "Peter of Auvergne, University Master of the 13th Century" organisé à l'Université de Fribourg en 2008. Depuis les travaux fondateurs d'Edgar Hocedez dans les années 1930, des recherches nombreuses et dispersées ont été réalisées sur ce maître qui a d'abord enseigné à la faculté des arts de Paris dans les années 1260 avant de devenir docteur en théologie en 1296. Le lecteur trouve en fin de volume "A Census of Peter of Auvergne's works" (415-515) dans lequel sont indiquées, pour chaque œuvre, la liste des manuscrits, les éditions éventuelles et la bibliographie afférente, ainsi qu'une bibliographie générale sur Pierre d'Auvergne organisée alphabétiquement: l'ensemble est très complet et extrêmement précieux. Hormis le Census, l'ouvrage propose ensuite treize contributions qui concernent essentiellement l'œuvre philosophique de Pierre d'Auvergne et ses commentaires d'Aristote.
Dans un premier temps, William Courtenay fait le point sur la vie et la carrière de Pierre d'Auvergne ("Peter of Auvergne. Master in Arts and Theology at Paris"). Malgré les homonymies, il est clairement établi aujourd'hui que Pierre d'Auvergne est originaire d'une famille du diocèse de Clermont (de Crocq ou Cros). Ensuite, il devient maître à la faculté des arts (il appartient à la province de Bourges et à la nation française) et compose de nombreux commentaires d'Aristote dans les années 1270 et 1280. Certains d'entre eux prolongent des commentaires de Thomas d'Aquin dont il suivit probablement l'enseignement. Il entame ensuite des études en théologie, peut être avec Pierre de Limoges, et devient docteur en théologie en 1296: il compose alors ses six quodlibets. Enfin, en 1302 il devient évêque de Clermont jusqu'à sa mort en 1304. L'examen de sa carrière et de son rôle est ensuite précisé grâce à l'étude de la condamnation de 1277 proposée par Luca Bianchi ("Peter Auvergne and the Condemnation of 1277"). Ce dernier remet en question le rôle que donnait Van Steenberghen à Pierre d'Auvergne dans le mouvement contre le thomisme des Aristotéliciens "radicaux" (tel Siger de Brabant). En outre, il souligne qu'il est nécessaire de mieux fixer la chronologie des commentaires aristotéliciens de Pierre afin d'en étudier l'importance et l'évolution.
L'essentiel des contributions suivantes portent du reste sur ces commentaires d'Aristote. Roberto Lambertini ("Peter of Auvergne, Giles of Rome and Aristotle's Politica") fait le point sur les recherches récentes concernant le commentaire de la Politique (en particulier l'utilisation par Gilles de Rome de Thomas d'Aquin et surtout d'Albert le Grand) et propose ensuite une comparaison précise entre le De Regimine Principum de Gilles de Rome et le Scriptum de Pierre d'Auvergne, sans pouvoir affirmer lequel a influencé l'autre. Sten Ebbesen fait une synthèse sur les écrits logiques de Pierre d'Auvergne ("The Logical Writings of Peter of Auvergne"), Cecilia Trifolgi s'intéresse dans sa contribution à deux questions essentielles liées à la théorie aristotélicienne du lieu ("Peter of Auvergne on Place and Natural Place"). Deux contributeurs s'intéressent ensuite au De Caelo: Henryk Anzulewicz montre que Pierre d'Auvergne a utilisé Albert le Grand pour les commentaires aristotéliciens que Thomas n'avait pas traité ("Peter of Auvergne and Albert the Great as Interpreters of Aristotle's De caelo"). Cesare A. Mussati étudie les questions De Caelo conservées dans un manuscrit de l'Escorial ("Peter of Auvergne and the Questiones on De Caelo in the Ms. Escorial, Biblioteca del Monasterio h. II. f. 106ra-129vb"). Pour lui, ces questions sont issues de deux commentaires différents qui ont ensuite été associés. Une partie est due à un maitre anonyme de la faculté des arts, l'autre à Pierre d'Auvergne, ce qui permet de porter au nombre de trois les manuscrits contenant les questions De caelo et de confirmer la popularité de Pierre comme commentateur d'Aristote. Griet Galle ("Peter of Auvergne on the Celestial Movers. Edition and Discussion of his Questions 8-11 on Metaphysica XII") présente une synthèse sur la Métaphysique et les manuscrits; puis l'auteur discute l'interprétation du texte proposée par Avicenne et Averroès ainsi que la théorie de Pierre concernant les orbes célestes dans ses questions De caelo. Enfin, il compare ces dernières avec les questions 8-11 sur le livre XII de la Métaphysique. De son côté, Fabrizio Amerini ("Peter of Auvergne on Substance") propose une analyse de la théorie de la substance chez Pierre d'Auvergne issue du livre Z de la Métaphysique et la compare avec celle de Thomas d'Aquin. Lidia Lanza ("The Scriptum super III-VIII libros Politicorum: Some Episodes of its Fortune until the Early Renaissance") s'intéresse à la tradition manuscrite et aux éditions du Scriptum; puis elle montre son influence doctrinale dans des traités politiques contemporains, chez Marsile de Padoue, Gilles de Rome ou Guillaume d'Ockham, mais aussi dans des commentaires du XVe siècle (Donato Acciaiuli, Pierre d'Osma...). Marco Toste ("An Original Way of Commenting on the Fifth Book of Aristotle's Politics : The Quaestiones super I-VIII libros Politicorum of Peter of Auvergne") s'intéresse lui aussi à la Politique, mais plus précisément au cinquième livre qui porte sur les causes des révolutions : c'est l'occasion pour Pierre d'Auvergne de développer certains thèmes tels que la paix ou l'amitié politique.
L'œuvre théologique de Pierre d'Auvergne est seulement présentée à travers la contribution de Chris Schabel au sujet de ses questions quodlibétiques sur la connaissance divine ("Peter of Auvergne's Quodlibetal Questions on Divine Knowledge"), ce qui peut sembler créer un déséquilibre entre les œuvres philosophiques et théologiques: cependant, ce contraste est dû à la conservation des œuvres puisque l'œuvre théologique de Pierre, à l'exception des quodlibets, n'a pas été retrouvée, notamment son Commentaire des Sentences. Ces six quodlibets sont le résultat de sessions tenues à Paris entre 1296 et 1301, sans doute lors de l'Avent. Ils ont été bien diffusés puisqu'ils se lisent dans dix manuscrits auxquels il faut ajouter neuf manuscrits incomplets. Chris Schabel a choisi ici le thème de la connaissance divine qui apparaît dans six questions quodlibétiques: deux d'entre elles, portant sur les futurs contingents sont publiées en annexe (quodl. IV, 2 et VI, 2). Chris Schabel analyse en détail son argumentation qui s'éloigne de Thomas d'Aquin tout en se rapprochant d'Henri de Gand.
Enfin, l'ouvrage se termine avec un aperçu sur la postérité de Pierre d'Auvergne puisque Christoph Flüeler examine l'influence de ses œuvres sur les derniers siècles du Moyen âge ("The Influence of the Works of Peter of Auvergne in the Scolastic Philosophy of the 13th, 14th and 15th Centuries"). Pour évaluer cet impact, l'auteur s'intéresse d'abord à l'influence de sa théologie, c'est-à-dire de ses quodlibets dont le rayonnement est limité dans le temps. Puis, il analyse la diffusion des manuscrits contenant les œuvres théologiques et philosophiques de Pierre d'Auvergne. Il fait nettement la distinction entre les commentaires par questions (per modum expositionis) - qui ont été largement diffusés et ont servi à de nombreux étudiants, bacheliers et maîtres - et les commentaires littéraux d'Aristote qui continuent à être copiés et cités jusqu'au XVIIe siècle. Un exemple significatif est celui du Scriptum super libros Politicorum qui a bénéficié d'une diffusion par pecia et a été plusieurs fois imprimé.
Cet ouvrage, d'une grande richesse tant du point de vue de son contenu que des outils qu'il propose (notamment le Census) est amené à devenir une référence indispensable pour ceux qui s'intéressent à Pierre d'Auvergne et au milieu intellectuel parisien de la fin du XIIIe siècle.
Sophie Delmas