Julien Monerie: D'Alexandre à Zoilos. Dictionnaire prosopographique des porteurs de nom grec dans les sources cunéiformes (= Oriens et Occidens. Studien zu antiken Kulturkontakten und ihrem Nachleben; Bd. 23), Stuttgart: Franz Steiner Verlag 2014, 225 S., ISBN 978-3-515-10956-7, EUR 48,00
Inhaltsverzeichnis dieses Buches
Buch im KVK suchen
Bitte geben Sie beim Zitieren dieser Rezension die exakte URL und das Datum Ihres Besuchs dieser Online-Adresse an.
Il est rare que la publication d'un ouvrage ouvre aux historiens du monde séleucide l'accès à une documentation qui leur était jusqu'alors inconnue. Celui de J. Monerie constitue une précieuse exception à cette règle: les données qu'il fournit ne sont certes pas inédites, mais restent très largement ignorées des historiens non assyriologues. Cette ignorance s'explique par la nature des documents étudiés, des tablettes d'argile inscrites en écriture cunéiforme, dans la langue sémitique en usage dans la région depuis le deuxième millénaire, l'akkadien. L'écriture, la langue, et même la civilisation dont ils témoignent constituent le domaine d'étude privilégié des assyriologues, et restent relativement difficiles d'accès aux autres historiens du monde antique. Pourtant, l'ouvrage de J. Monerie offre une éclatante démonstration de l'intérêt d'un véritable dialogue entre historiens des mondes grec et mésopotamien. Son point de départ est l'étude des noms grecs présents dans les documents cunéiformes retrouvés dans l'actuel Irak. Lorsque les armées d'Alexandre pénètrent dans la région, elles y rencontrent une civilisation urbaine, structurée autour de grands temples, où l'écriture est d'un usage courant. La domination grecque n'entraîne pas, loin de là, la fin de l'usage de l'écriture locale, et, au moins jusqu'au milieu du IIe siècle, certains Babyloniens continuent de produire de très nombreuses tablettes d'argile pour répondre à différents besoins de leur vie religieuse ou quotidienne. Les Grecs comptant désormais parmi les interlocuteurs des rédacteurs des textes, leurs noms apparaissent logiquement dans les documents inscrits en cunéiforme. J. Monerie en fournit un dictionnaire prosopographique extrêmement bien informé qui se révèle une mine d'informations sur la manière dont interagissent grecs et non-grecs dans cette région du monde séleucide.
L'ouvrage commence par une utile introduction à l'histoire des contacts entre grecs et Mésopotamiens. Distants au début du premier millénaire, ils s'intensifient après l'intégration de la région dans le royaume achéménide. Des spécialistes grecs, artisans, mercenaires ou médecins sont alors connus dans la région. Mais avec la conquête d'Alexandre, les contacts changent soudainement d'échelle, et il n'est guère surprenant que la grande majorité des noms grecs relevés par l'auteur datent de l'époque hellénistique. Les documents conservés ne témoignent que d'une infime partie de l'évolution sociale, politique ou administrative de la région, mais leur nombre, plusieurs milliers, suffit à fasciner l'historien du monde séleucide.
Lorsque le besoin de noter des noms grecs s'est fait sentir, les scribes babyloniens se sont trouvés confrontés à la difficulté de transcrire ces noms étrangers dans une écriture qui ne s'y prête pas très bien. Le deuxième chapitre de l'ouvrage décrit les règles de transcription des termes grecs en cunéiforme. Les transcriptions sont, dans les premiers temps de présence grecque, relativement fluctuantes, le fonctionnement du cunéiforme autorisant une grande variété dans la transcription d'un même son. C'est ainsi que l'on recense près de 29 graphies du nom Antiochos. Les transcriptions choisies fournissent parfois d'intéressants renseignements sur la manière dont le grec était prononcé dans cette partie du monde séleucide. On découvre ainsi que le son w du digamma, qui n'est plus noté en grec depuis le VIe siècle, apparaît dans certaines transcriptions jusqu'à l'époque parthe: le digamma était donc encore légèrement prononcé. D'autres développements seront peut-être plus difficiles à suivre pour les lecteurs non familiers de l'écriture cunéiforme, mais l'ensemble apportera beaucoup de grain à moudre aux historiens de la langue grecque.
Le troisième chapitre fournit une très utile synthèse sur l'histoire de la Babylonie hellénistique: un bilan historiographique rappelle à quel point les points de vue ont fluctué sur le sujet, balançant entre la vision d'une Babylonie très rapidement hellénisée et à la culture indigène déclinante, et celle d'une Babylonie somme toute peu perméable à l'hellénisme. La réalité est sans doute quelque part entre les deux, et l'étude des noms grecs est un argument important pour comprendre la nature exacte des liens entre grecs et non-grecs en Babylonie. On sait à quel point l'onomastique révèle bien plus qu'une évanescente appartenance "ethnique" d'un individu. Les données sont, en Babylonie, suffisamment nombreuses pour pouvoir tirer de réelles conclusions sur l'identité des individus, et sur les stratégies à l'œuvre derrière le choix fait par une famille de donner un nom grec à ses enfants. C'est ainsi que le rassemblement des données fournies par plusieurs tablettes permettent de constituer un arbre généalogique qui montre, sur cinq générations, comment noms grecs et babyloniens sont attribués au sein d'une même famille. Le choix d'adopter un nom appartenant à la culture politiquement dominante, ou au contraire de conserver un nom akkadien traditionnel peuvent être interprétés de bien des manières. J. Monerie est à cet égard d'une prudence salutaire. Il n'en reste pas moins que les noms attestés sont assez nombreux, et l'étude suffisamment extensive, pour permettre de tirer des conclusions fort utiles sur la manière dont la société babylonienne évolue sous domination gréco-macédonienne. Ces conclusions sont d'autant plus précieuses qu'il s'agit là de la seule société indigène du royaume séleucide pour laquelle une telle étude est possible. Le chapitre termine par une utile synthèse sur l'évolution sociale et culturelle de la Babylonie au contact des grecs. On y apprend comment l'influence des sanctuaires se trouve supplantée par celle des poleis auxquelles participent les élites babyloniennes. Ces pages très claires et bien informées seront d'une grande utilité aux historiens souhaitant une première familiarisation avec les grandes évolutions sur lesquelles nous renseigne la documentation cunéiforme. On peut cependant regretter que le discours ne soit pas plus directement orienté sur l'apport des données onomastiques.
La seconde partie de l'ouvrage liste les noms grecs attestés dans les sources cunéiformes en fournissant la période d'activité des personnages concernés, leurs liens familiaux, les différentes graphies cunéiformes attestées, et le sceau du personnage lorsqu'il est connu. Une notice très complète accompagne chaque entrée. Celles concernant les souverains seront les plus utiles au lecteur non spécialiste de la Babylonie hellénistique: il y trouvera d'importantes mises au point sur l'apport des données cunéiformes à l'histoire événementielle de la période. Les fiches correspondant aux personnages dont l'activité n'est que locale intéresseront plus spécifiquement les assyriologues, plus au fait du contexte social et économique auxquelles elles font référence: beaucoup de noms apparaissent ainsi dans le cadre du système de prébendes, ou du fonctionnement interne des sanctuaires qui n'a pu être décrit dans les pages qui précèdent. Le lecteur intéressé trouvera de quoi satisfaire sa curiosité dans la bibliographie, très complète et à jour, proposée en fin d'ouvrage. Le livre est complété par quelques intéressantes annexes, comme celles listant les termes grecs ou les toponymes grecs qui apparaissent dans les documents cunéiformes.
Tous ces éléments en font un livre extrêmement utile à tout historien du monde séleucide.
Laetitia Graslin-Thomé