Isabelle Pernin: Les baux ruraux en Grèce ancienne. Corpus épigraphique et étude (= Travaux de la maison de l'orient et de la méditerranée; No. 66), Lyon: Maison de l'Orient et de la Méditerranée - Jean Pouilloux 2014, 631 S., ISBN 978-2-35668-040-2, EUR 75,00
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Depuis quelques décennies, les épigraphistes ont pris l'habitude de publier des recueils thématiques d'inscriptions. C'est sans doute la meilleure façon de problématiser la documentation épigraphique et de la faire participer aux débats historiques. L'histoire de l'économie gréco-romaine a déjà bénéficié des ces progrès, par exemple grâce aux ouvrages de Léopold Migeotte. [1] Le livre d'I. Pernin s'inscrit dans cette perspective. Il traite des baux fonciers, c'est-à-dire de la location de terres cultivées en Grèce ancienne. La question n'avait plus fait l'objet d'une synthèse depuis le livre de D. Behrend, paru en 1970, [2] même si des études ponctuelles avaient été publiées sur certains dossiers. [3] Le travail d'I. Pernin suit deux grandes perspectives. Il étudie une pratique juridique, la mise en location de terres, en rassemblant la documentation épigraphique qui donne les seuls exemples de ce genre de contrats, si l'on excepte les rares allusions à ce phénomène répandu dès l'époque classique au moins et que l'on trouve dans les sources littéraires, et les exemples de contrats parvenus par les papyrus. C'est aussi une contribution importante à l'histoire agraire de la Grèce publiée à un moment où cette thématique est moins explorée que dans les années 1990 et vers 2000. Elle participe à un certain renouveau des études agraires. [4]
L'ouvrage d'I. Pernin est la publication d'une thèse soutenue en 2004, mais qui intègre toute la recherche ultérieure. Il comporte une introduction (21-28) qui présente l'historiographie de la question, des remarques sur la pratique locative dans le monde grec avant l'époque classique, et la documentation épigraphique qui va être utilisée. L'auteur remarque que l'essentiel des inscriptions se répartit en trois catégories: a) les contrats-types, qui précisent les conditions de mise en location d'un bien; b) les contrats nominatifs passés entre un bailleur et un preneur nommément cité; c) les listes de contrats (voir aussi 485). Elle rappelle aussi que les textes concernent tous la mise en location de terres publiques (appartenant à une cité ou une subdivision civique comme un dème) ou sacrées. Les contrats passés entre particuliers, dont tout indique qu'ils étaient nombreux dès l'époque classique, ne sont pas parvenus, dans la mesure où il n'y avait aucune raison des les graver. [5]
Le corpus de 259 inscriptions occupe l'essentiel du volume (31-481). Les textes sont présentés selon l'ordre géographique du Bulletin épigraphique. Ils proviennent de Grèce continentale, de Grèce égéenne et de la partie côtière de l'Asie Mineure. Un document fait exception, les baux d'Héraclée de Lucanie (n° 259). À l'intérieur de l'espace étudié, le lecteur repère très vite des vides documentaires, comme le Péloponnèse (un seul document, le n° 20) ou la Crète. Les textes les plus anciens datent du milieu du Ve s. a.C. et le plus récent est un document macédonien de 158/9 p.C. Pour l'essentiel la documentation est concentrée aux IVe et IIIe s. a.C. Les textes sont très soigneusement édités, avec des précisions archéologiques, un lemme génétique clair et raisonné. Généralement ils sont présentés en entier, même si certains, comme les inventaires de Délos, sont seulement sous forme d'extraits. Les inscriptions sont traduites, sauf si elles sont trop lacunaires pour avoir un sens. Les traductions ne donnent pas une idée des lacunes du texte original, ce qui me semble la meilleure solution, car elle ne laisse pas croire au lecteur non-épigraphiste que la traduction est sur le même plan que le texte grec original. Le commentaire donne toutes les informations nécessaires, notamment en contextualisant la documentation et en intégrant la recherche récente. Lorsqu'I. Pernin se trouve face à des dossiers, elle choisit avec raison de produire un commentaire général. Il y a en effet beaucoup de très riches dossiers, comme pour l'Attique, Thespies, Delphes, Délos ou Mylasa (dans ce cas, le commentaire fait plus de 40 pages, 401-445, et forme un petit mémoire). Les explications s'appuient sur des cartes et des tableaux qui facilitent la lecture et quelques pierres bénéficient d'une photographie. L'ensemble offrira au lecteur un accès très sûr à des textes difficiles et donc beaucoup n'ont jusqu'ici guère retenu l'attention dans la mesure où ils ne relèvent pas de l'histoire politique.
La synthèse (483-524) comporte trois chapitres. Le premier revient sur les aspects institutionnels. Il commence par une utile mise au point du vocabulaire de la location foncière et montre comment la pratique a été encadrée par la cité. On se rend compte que les terres sacrées sont administrées comme les terres publiques et, la plupart du temps, sous le contrôle des structures civiques. Les procédures témoignent d'une réelle unité de pratique, malgré des variantes locales. La question de la garantie des preneurs était essentielle pour les bailleurs et les textes permettent de bien la comprendre. I. Pernin appelle à la prudence sur la question de l'emphytéose et sa proposition de bannir ce terme du vocabulaire d'analyse est raisonnable car il propose une vision anachronique et trop simplificatrice des situations. Le deuxième chapitre s'intéresse aux structures agraires. Il commence par les bâtiments puis étudie le vocabulaire utilisé pour désigner domaines et parcelles. Les cultures ne peuvent être abordées que dans la mesure où elles sont incorporées au bien mis en location (arbres, vignes etc.). La comparaison avec les données de l'archéologie est esquissée mais c'est un point qu'il reviendra aux archéologues de pousser maintenant qu'ils ont cette synthèse épigraphique en main. Le troisième chapitre insère la pratique locative dans l'histoire économique. Il étudie les montants des loyers et les motivations des bailleurs et des preneurs. Il rappelle que, somme toute, la terre était un bien comme les autres dans les cités grecques, qui faisait l'objet de stratégies économiques et était l'objet d'un marché. Par ces réflexions, I. Pernin s'insère dans la tendance actuelle de l'histoire économique.
Le livre s'achève par une bibliographie et des index soigneux qui seront très utiles. Il y a un index des sources, un index prosopographique - où I. Pernin a choisi de regrouper les noms de manière géographique, ce qui était sans doute la meilleure option - un index des mots grecs (malheureusement sans traduction et sans renvoi aux pages où le sens de tel mot est discuté, ce qui en diminue un peu la valeur) et un index général où les entrées sont en français.
Le livre d'I. Pernin est très soigné et une lecture attentive ne révèle que fort peu de fautes de frappe. Il sera sans aucun doute très utile pour tous ceux qu'intéressent l'histoire agraire et l'histoire économique; il mettra à leur disposition des textes à l'accès difficile pour qui n'est pas épigraphiste. On peut donc espérer qu'il rendra des services aux archéologues par exemple. Un ingénieux système de renvoi aux lignes du texte grec facilitera une lecture commençant par la traduction. Dans l'ensemble, l'accent est d'abord mis sur les aspects juridiques et sociaux de l'institution dont on sent qu'ils ont beaucoup intéressé I. Pernin. Le livre sera particulièrement utile aux historiens du droit grec. L'autre aspect des textes qui a retenu l'attention tient à l'histoire agraire et économique. I. Pernin s'y montre peut-être un peu moins sensible. Les données chiffrées sont traitées avec une excessive prudence et ne sont véritablement exploitées qu'à propos du dossier délien. Le lecteur trouvera de toute façon toutes les précisions utiles sur ces sujets. Il pourra, s'il le souhaite, pousser la réflexion et il ne faut pas douter que ce livre très riche offrira matière à reprendre des problèmes sur le paysage agraire, les pratiques agricoles et le vocabulaire grec de la terre et de l'agriculture.
Notes:
[1] L. Migeotte: L'emprunt public dans les cités grecques: recueil des documents et analyse critique, Québec / Paris 1984; Les souscriptions publiques dans les cités grecques, Genève / Québec 1992.
[2] D. Behrend: Attische Pachturkunden. Ein Beitrag zur Beschreibung der μίσθωσις nach den griechischen Inschriften, München 1970.
[3] Par exemple R. Osborne: "The Land Leases From Hellenistic Thespiai: a Re-examination". Dans: G. Argoud / P. Roesch (éds.): La Béotie antique, Paris 1985, 317-323.
[4] Nous pensons à quelques études importantes comme celle de N. Papazarkadas: Sacred and Public Land in Ancient Athens, Oxford 2011.
[5] L'exception notable est le document de Gambreion (n° 135).
Christophe Chandezon