Rezension über:

Frédéric Cousinié: Trajectoire des images. Culte marial et intermédialité dans la France du XVIIe siècle, Paris: Les éditions 1 : 1 2017, 239 S., ISBN 979-10-97193-00-3, EUR 20,00
Inhaltsverzeichnis dieses Buches
Buch im KVK suchen

Rezension von:
Lise Constant
Université catholique de Louvain
Redaktionelle Betreuung:
Marlen Schneider
Empfohlene Zitierweise:
Lise Constant: Rezension von: Frédéric Cousinié: Trajectoire des images. Culte marial et intermédialité dans la France du XVIIe siècle, Paris: Les éditions 1 : 1 2017, in: sehepunkte 18 (2018), Nr. 11 [15.11.2018], URL: https://www.sehepunkte.de
/2018/11/30553.html


Bitte geben Sie beim Zitieren dieser Rezension die exakte URL und das Datum Ihres Besuchs dieser Online-Adresse an.

Andere Journale:

Diese Rezension erscheint auch in KUNSTFORM.

Frédéric Cousinié: Trajectoire des images

Textgröße: A A A

Au sein des nombreuses publications marquant un regain d'intérêt pour le culte marial à l'époque moderne, et en particulier pour les images et objets qui y sont associés, cet ouvrage se distingue par son approche étudiant les images à travers leurs "trajectoires". Déclinés en de multiples mouvements "entre lieux, temps, media, formes, matières, signifiés et pratiques sociales" (7), ces déplacements interrogent inévitablement le rapport à l'origine. À titre d'exemple, Frédéric Cousinié place en regard deux objets, aussi populaires que critiqués, de la dévotion mariale du XVIIe siècle en France: les images miraculeuses et le Rosaire dominicain.

Des peintures romaines aux sculptures parisiennes, la première partie de l'ouvrage met en évidence la démultiplication, au XVIIe siècle, des sanctuaires et dévotions autour d'images miraculeuses de la Vierge. Les études de cas soulignent la multiplicité des supports qui médiatisent ces cultes et ouvrent la réflexion sur la "logique substitutive". Celle-ci garantit la conformité de l'image miraculeuse "originaire" et de ses multiples représentations, avec le prototype référent (la Vierge), malgré la succession de transferts dont ces images miraculeuses font l'objet, non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps et entre les media.

Paris s'inscrit dans ce développement des sanctuaires mariaux en France, soutenus par une monarchie soucieuse d'appuyer l'unité religieuse et nationale au niveau local. Textes et gravures y témoignent de plusieurs statues réparées, remplacées ou déplacées dans un nouveau contexte dévotionnel à la suite d'un acte iconoclaste ou de miracles. Certaines images, non miraculeuses, sont néanmoins au centre d'une dévotion mariale spécifique, telle que l'Immaculée Conception, tandis que d'autres sont davantage articulées à la célébration de la monarchie.

L'évolution de ces lieux de culte parisiens révèle un rapide déplacement des dévotions mariales, d'une période ou d'un sanctuaire à l'autre, qui s'accompagne de différentes formes de transferts de l'image miraculeuse, regroupés en six scenarii (déplacement, substitution, coexistence, démultiplication, réaménagements, représentations). On observe cependant la conservation d'au moins une caractéristique identitaire de l'image miraculeuse (titre, forme, iconographie, matière, médium ou lieu d'exposition) assurant une "continuité sémiotique minimale" qui serait porteuse de la charge sacrale de la représentation originaire.

Enfin, l'auteur aborde les déplacements de la dévotion mariale, dans son rapport à l'image miraculeuse, sous l'angle des positions critiques à son égard. Articulé à la dévotion aux saints et à leurs reliques, mais surtout au Christ et à l'Eucharistie, le culte de la Vierge et de ses statues est encadré par des récits de miracle normalisés, mais aussi par des représentations qui intègrent l'image dans un contexte (architectural, iconographique ou liturgique) régulateur. Cette relativisation de l'importance de l'image miraculeuse serait le symptôme d'une réorientation du contenu des dévotions mariales, notamment vers les dogmes et Mystères liés à la Vierge.

La seconde partie de l'ouvrage est consacrée au Rosaire dominicain. Qualifié de dévotion "populaire", associée aux "simples" et aux femmes, on lui reproche encore la simplicité de sa pratique, basée sur la prononciation vocale et systématique de prières élémentaires. La légitimation du Rosaire s'appuiera dès lors sur la défense de cette simplicité, mais aussi et surtout sur la mise en évidence de l'universalité de cette dévotion, du soutien que les souverains lui portèrent, de son origine divine ou encore de l'articulation de la prière vocale à l'oraison mentale.

L'auteur démontre en effet que la dévotion du Rosaire était également en usage au sein des classes privilégiées, bourgeoises, aristocratiques et religieuses. Selon lui, plus qu'une forme de catégorisation sociale, le port du chapelet, tel que représenté dans certaines gravures et tableaux, relèverait davantage du signe visuel, manipulé afin de se distinguer en tant que catholique. Les manuels consacrés au Rosaire soulignent cette universalité de la dévotion, mais aussi la nature intermédiale (objet, textes et images) de sa pratique, notamment en proposant différents types de médiums et contenus pour permettre aux dévots de se l'approprier selon leurs facultés et niveaux de méditation.

Par ailleurs, plusieurs textes et représentations dédiés au Rosaire l'associent étroitement à la monarchie française. À Paris, trois établissements dominicains reçoivent son soutien. Disposant tous d'une chapelle du Rosaire, ils témoignent chacun - par leur confrérie, les manuels rédigés par leurs membres ou encore les travaux d'aménagement de leur église - d'une certaine volonté de donner une vocation nationale et monarchique à la dévotion "populaire" du Rosaire.

Au départ de deux tableaux d'autel peints par le frère Jean André dans l'église du noviciat de Paris, l'auteur met ensuite en relation deux thèmes iconographiques fondateurs: le don par la Vierge du Rosaire à saint Dominique, et celui du portrait de saint Dominique à un religieux de Soriano. Complémentaires, ces deux donations divines contribuent à légitimer le culte catholique des saints et de la Vierge par l'intercession d'objets matériels articulant rapport tactile et rapport visuel. Remontant à l'origine du culte, elles invitent le spectateur à utiliser le Rosaire, transmis par ce saint dont la présence est ravivée par sa "vraie effigie", afin d'entrer en relation avec la Vierge.

Au-delà de cette légitimation théorique, le fonctionnement même de la dévotion du Rosaire se trouverait renforcé par l'intrication systématique d'images, d'écrits, d'objets et de sens. Si, dans les chapelles, la scène de la donation du Rosaire se trouve encadrée par des tableaux représentant les Mystères auxquels les dévots devaient attacher leur dévotion, les manuels du Rosaire sont également illustrés de gravures et conseillent l'usage d'images matérielles, avant de les substituer par des images mentales. En parallèle, la médiation instrumentale de la dévotion est assumée par le chapelet. Objet échangé avec la Vierge, porté et manipulé par le dévot, il devient le moyen d'une expérience sensible avec le divin. Le Rosaire apparait donc comme un objet éminemment relationnel, lieu d'échanges entre sens, facultés et médiums, auxquels s'ajoute encore une médiation humaine, invitant tout un chacun, par le modèle des saints dominicains ou des dignitaires présents dans les tableaux, à intégrer une communauté de dévots. Enfin, ce sont aussi différents espaces - architectures, église et cité, terre et ciel - que le Rosaire occupe et articule, et dans lesquels le croyant est appelé à prendre place.

Frédéric Cousinié appuie son argumentation sur un apparat critique particulièrement fourni, où il discute tant les sources primaires documentant les études de cas, que l'historiographie traitant des objets de cultes mariaux et de leurs multiples médiations. Il se démarque encore par l'importance accordée aux sources iconographiques et matérielles - essentiellement des peintures et gravures, mais aussi des éléments d'architecture. La structure dense de l'ouvrage, parfois rendue complexe par la succession d'étude de cas, y suit la trace des usages des statues miraculeuses et du Rosaire dominicain. Par ces trajectoires protéiformes, l'auteur parvient à démontrer combien, loin d'être figés dans leur culte, ces objets et leur efficacité sont sans cesse renouvelés par leur "dissémination" et "articulation" dans et avec d'autres media, temps et espaces.

Lise Constant