Jan-Mathieu Carbon / Saskia Peels-Matthey (eds.): Purity and Purification in the Ancient Greek World. Texts, Rituals, and Norms (= Kernos; 32), Liège: Presses Universitaires de Liège 2018, 372 S., ISBN 978-2-87562-159-7, EUR 30,00
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Cet ouvrage collectif est le produit d'un colloque du CIERGA qui s'est tenu en 2013. Le but annoncé de l'ouvrage est de retracer les réalités anciennes à travers l'examen des normes de pureté grecques. Il est divisé en quatre parties thématiques. La première a pour sujets les concepts, les continuités et les changements des normes depuis la période archaïque à l'antiquité tardive, la deuxième les homicides, la moralité et la société, la troisième les rites, les comportements et l'abstinence et, enfin, la quatrième, les contacts et les frontières, les démons et la "magie".
Conçu comme un hommage à l'occasion des trente ans depuis la publication du livre de Robert Parker, Miasma: Pollution and Purification in Early Greek Religion (1983) qui reste la publication majeure sur le sujet, cet ouvrage, après une introduction largement descriptive du contenu par les deux éditeurs, s'ouvre en effet par un article de Robert Parker. Afin de proposer une définition de la pollution, Parker commence par les divers termes impliqués dans ce phénomène qui concerne aussi bien des processus corporels que des épidémies, les sacrilèges, le versement du sang et les diverses façons de contrer ses conséquences. Ce travail qui s'achève sur un constat négatif concernant la possibilité de trouver une théorie unique sur la pollution grecque, fait de la pollution une métaphore flexible qui pouvait être appliquée dans des sphères très diverses (27). Il ouvre ainsi des pistes dont une bonne partie sera explorée dans la suite de l'ouvrage.
Angelos Chaniotis s'attache plus particulièrement à la continuité et aux changements qui apparaissent dans le cadre de la pollution. La réalité corporelle de la pollution est une idée persistante jusque dans le christianisme. Elle est un danger pour la communauté dans laquelle elle se transmet puisqu'elle entrave la communication avec les dieux et entraîne la punition divine, mais sa localisation précise permet aussi de la contrôler. La pureté du corps qui apparaît comme complémentaire de la pureté de l'esprit dès le 5e siècle dans les sources littéraires, montre l'étroite relation entre la pureté et la moralité, bien que leur combinaison dans les règlements rituels apparaisse comme une nouveauté à la fin du 4e siècle. Les formules qui requièrent la pureté de l'esprit n'apparaissent pourtant qu'au 1er siècle de n.è. La critique des automatismes religieux, les cultes à mystères accentuant l'importance de la bonne conduite morale, ainsi que les nouveaux cadres légaux qui développent l'idée de la responsabilité, auraient stimulé et popularisé cette pureté mentale.
Pierre Bonnechere examine la pureté dans sa relation avec la piété et la justice telle qu'elle apparaît dans les consultations oraculaires. Si le vocabulaire de la souillure y est peu représenté, les réponses concernant la piété, la moralité, la justice, le respect de la tradition, voire la pureté dans une dizaine de lamelles de Dodone, impliquent implicitement la notion de pureté. Bonnechere accentue par ailleurs la pureté inhérente aux sanctuaires oraculaires qui donnent des réponses concernant essentiellement la pureté de l'esprit. Ces questions sont, pour ce qui a trait à la justice, d'époque principalement hellénistique bien que le concept soit antérieur. Loin d'y déceler une évolution, Bonnechere y voie des concepts déjà bien présents à l'époque archaïque. La question de la pureté de l'âme est considérée à travers les cas des consultations des individus et des cités où la réponse constitue le texte voté par l'assemblée, de manière juste et pieuse.
Saskia Peels-Matthey s'attache aux notions d'hosiotês et de hagneia, considérées par les chercheurs soit comme relevant de champs sémantiques différents soit comme des presque synonymes, puisqu'il arrive que l'une explique l'autre comme dans le fameux couplet d'Épidaure (Porph. Abst. 2.19.5). Son but est dès lors d'élucider leur relation sémantique en s'appuyant sur la théorie cognitive linguistique de sémantique lexicale, présumant que le sens d'un lexème ne constitue pas une définition mais un réseau d'usages de notions sémantiquement associées. Ayant préalablement éclairci le sens de hosios dans son évaluation somme toute religieuse et morale des humains et de leur comportement qui doivent plaire aux dieux, elle constate que le terme est très rarement appliqué aux dieux, contrairement à hagnos qui qualifie aussi bien des dieux que des objets leur appartenant et des phénomènes naturels. Les deux termes se réfèrent aux mêmes objets, à savoir ce qui appartient ou qui est utilisé dans les rites ainsi que ceux associés aux humains et leurs actions, dans le tiers des occurrences. Aux causes avancées par Chaniotis pour la moralisation de la pureté rituelle, Peels-Matthey ajoute les effets de la métaphore dans l'identification de la pureté à la moralité; les humains comprennent et expérimentent la vertu morale comme si elle était similaire à la pureté physique. Hosios et hagnos apparaissent ainsi comme les deux pôles de la métaphore moralité / pureté. L'usage métaphorique de hosios et de hagnos dans le théâtre athénien dans le sens du pur (katharos) peut avoir contribué à la représentation mentale de la pureté dans son association à la moralité et à la piété.
La deuxième partie de l'ouvrage s'attache plus spécifiquement à la pollution qui résulte d'un homicide, généralement réglementée par une loi, son association à la moralité et à la société. Hannah Willey examine les perturbations sociales qui marquent l'action légale et la purification dans l'Euthyphron de Platon. Le personnage qui poursuit son père en justice pour un cas ambigu d'homicide perturbe l'ordre social en amenant au plan légal ce qui devait rester dans le cadre de l'oikos. La victime a également un statut ambigu puisqu'elle appartient au même oikos en tant que pelatês. La purification de l'oikos apparaît donc comme complémentaire à la purification qui résulte d'une loi, toutes deux répondant au besoin de réguler une perturbation sociale.
Toujours un cas d'homicide, celui des tyrannicides dans le cadre de la démocratie athénienne tel qu'il apparaît dans la loi d'Eucratès qui absout de toute impiété quiconque tuerait un tyran, est examiné par Anne-Françoise Jaccottet. Suivant une série de mesures anti-tyranniques qui remontent finalement au 6e siècle, le crime contre l'état permet à l'homicide de tuer impunément le tyran et de rester hosios aux yeux aussi bien de la cité que des dieux. Cette interprétation est également appuyée sur l'analyse iconographique du relief qui figure les personnifications de Dêmos et Dêmokratia.
Irene Salvo s'attache également à la vision de l'homicide comme non nécessairement impur, changement opéré à l'époque hellénistique. Alexandre le Grand tuant son ami Cleitos et Persée de Macédoine tuant son frère Démétrius sont tous deux présentés dans les sources littéraires et les croyances populaires comme purs. Cette pureté résulte d'une négociation du concept au profit de raisons politiques: incarner la loi dans le personnage du roi dans le cas d'Alexandre et évincer celui-ci dans le cas de Persée - au profit de Rome.
La partie concernant les rites et les comportements s'ouvre avec l'article de Stella Georgoudi sur la pratique de couper, notamment des chiens mais aussi d'autres animaux, pour purifier. Elle examine ainsi les sacrifices de chiens distinguant entre sacrifices proprement dits et rites de purification - considérant plus précisément le rite des Xanthika comme un rite purificatoire. Quant à la division ou la coupure des membres des animaux, les tomia, la pratique est également examinée en relation avec les serments et par comparaison avec des rites hébreux et hittites. Deux gestes apparaissent comme particulièrement importants, celui de couper l'animal et celui de passer à travers les parties coupées, associant un motif cathartique à un motif unificateur.
Marie-Claire Beaulieu s'attache à l'image de la mer en tant qu'agent purifiant telle qu'elle ressort des sources principalement littéraires. Elle attribue cette pureté à la fois à la profondeur de la mer et à son caractère stérile, utilisée pour les rites qui essuient le miasma le plus important. Elle se tourne ensuite vers les mythes où un personnage plonge dans la mer, comme Inô-Leucothéa et Glaucos, en les traitant selon le modèle de transition de l'état mortel vers un être immortel, en une sorte de purification ontologique. Le bain des déesses dans l'eau douce est ici vu en parallèle avec le bain pré- et post-nuptial des mortelles, alors que le bain des statues dans l'eau de mer soulignerait l'importance du rituel. Elle interprète ainsi les Plyntéries athéniennes où la statue d'Athéna est amenée à la mer dans le cadre de l'élimination d'une pollution permettant le renouveau de la communauté. Le rite éleusinien de haladai mustai est également interprété dans le cadre d'un renouveau. La mer apparaît dès lors comme un élément de transition, qui effectue une purification absolue.
Ivana et Andrej Petrovic s'attachent à la pureté du corps et de l'esprit telle qu'elle apparaît dans le culte d'Athéna Lindia afin de retrouver l'arrière-plan oriental des pratiques grecques d'abstinence. Ils examinent le règlement concernant l'entrée au sanctuaire (I.Lindos II 487) qui requiert la pureté de l'âme ainsi que le groupe des programmata, les règlements concernant la pureté requise des visiteurs aux sanctuaires. Ils explorent ensuite les contextes culturel et religieux qui influencent le contenu de l'hagneia, à savoir les pratiques et prescriptions proche-orientales et égyptiennes. La pureté intérieure à laquelle se réfère celle de l'âme trouve ici une nouvelle raison d'être, en plus de celles évoquées par Chaniotis, à savoir les notions de proximité divine et de salut. Les auteurs décèlent cet aspect épiphanique et sotériologique dans le culte d'Athéna Lindia qui requiert la pureté de l'âme, point de convergence des cultes sotériologiques et originaires du Proche-Orient et d'Égypte.
La quatrième partie qui concerne les démons et la magie s'attache également aux concepts de la pureté, cette fois dans des milieux hellénophones étrangers. Athanassia Zografou analyse la diversité des rites purificatoires et des comportements prescrits dans les papyri magiques grecs. À côté de divers interdits concrets, notamment sexuels, diététiques et sociaux, le modèle de la pureté est celui du prêtre égyptien, qui doit être pur pour établir une communication intime avec la divinité, suivant un éclectisme reprenant l'usage de traditions diverses à la fois concernant la rhétorique et les rites.
Miriam Blanco Cesteros et Eleni Chronopoulou s'attachent justement à l'aspect rhétorique des papyri magiques grecs et plus particulièrement aux accusations de transgression des normes religieuses évoquées soit de manière générale, soit précisément énumérées. Elles examinent les formules de diffamation qu'utilise le praticien pour attaquer son ennemi dans les imprécations et les charmes. Le comportement impie (asebês ou anosios) y est au centre, et des termes comme miaros apparaissent comme des insultes. D'autres accusations se fondent sur des transgressions rituelles: sacrifices impropres, profanation de mystères, de sanctuaires et de leur équipement sont énumérés dans les charmes dans un but à la fois rhétorique et rituel, à savoir provoquer la colère divine et la punition de l'accusé. Les arguments rhétoriques utilisés illustrent l'environnement multi-culturel de l'Égypte impériale et la fusion opérée d'éléments variés qui apparaissent dans le corpus magique grec.
Moshe Blidstein s'attache finalement au pourquoi et au comment les démons et autres esprits qui ne sont normalement pas associés à l'impureté dans les traditions hébraïque et gréco-romaine le sont devenus dans la tradition chrétienne. Il s'agirait d'une réaction chrétienne à ces deux traditions antérieures, notamment contre la pureté juive et les lois alimentaires. Le rôle central attribué aux mauvais esprits dans la création et la transmission de l'impureté apparaît dès lors comme une innovation chrétienne, avec le baptême élaboré comme un rite purificatoire qui permet d'exorciser les démons.
Malgré quelques coquilles, quelques interprétations rapides concernant par exemple les rites de renouveau, cet ouvrage offre au lecteur l'approche la plus récente sur le sujet de la pureté et des purifications, avec des modèles contrastés et des interprétations variées qui montrent la complexité de la question.
Ioanna Patera