Wolfgang Drost: Der Dichter und die Kunst. Kunstkritik in Frankreich. Baudelaire, Gautier und ihre Vorläufer Diderot, Stendhal und Heine (= Reihe Siegen. Beiträge zur Literatur-, Sprach- und Medienwissenschaft; Bd. 180), Heidelberg: Universitätsverlag Winter 2019, 317 S., 45 s/w-Abb., ISBN 978-3-8253-4632-4, EUR 34,00
Inhaltsverzeichnis dieses Buches
Buch im KVK suchen
Bitte geben Sie beim Zitieren dieser Rezension die exakte URL und das Datum Ihres Besuchs dieser Online-Adresse an.
Diese Rezension erscheint auch in KUNSTFORM.
Anna Marie Pfäfflin: Gottlob Heinrich Rapp. Goethes "wohl unterrichteter Kunstfreund" in Stuttgart 1761-1832, Stuttgart: Hohenheim Verlag 2011
Daniela Bohde: Kunstgeschichte als physiognomische Wissenschaft. Kritik einer Denkfigur der 1920er bis 1940er Jahre, Berlin: Akademie Verlag 2012
Martin Gaier: Heinrich Ludwig und die "ästhetischen Ketzer". Kunstpolitik, Kulturkritik und Wissenschaftsverständnis bei den Deutsch-Römern, Köln / Weimar / Wien: Böhlau 2013
Ruth Heftrig / Olaf Peters / Ulrich Rehm (Hgg.): Alois J. Schardt. Ein Kunsthistoriker zwischen Weimarer Republik, "Drittem Reich" und Exil in Amerika, Berlin: Akademie Verlag 2013
Irene Below / Burcu Dogramaci (Hgg.): Kunst und Gesellschaft zwischen den Kulturen. Die Kunsthistorikerin Hanna Levy-Deinhard im Exil und ihre Aktualität heute, München: edition text + kritik 2016
Dans ce volume fondamental, Wolfgang Drost nous fait cadeau d'une importante mise au point des résultats de son long itinéraire de recherche sur les rapports entre la littérature (particulièrement la poésie) et l'art, donc sur la critique d'art, qui ont donné naissance au fil des ans à un nombre considérable de publications. Il prend en considération quelques écrivains qui sont des piliers de la littérature française et européenne entre XVIIIe et XIXe siècles: Baudelaire, bien sûr, et Gautier, mais avant eux Diderot et Stendhal pour le côté français, et Heinrich Heine pour l'allemand. La structure de l'essai suit, évidemment, l'ordre chronologique, mais la linéarité du procédé ne doit pas induire l'idée d'une simplification. Elle est en effet le produit d'un choix conscient, qui prend en examen les écrits sur l'art comme un genre indépendant et autonome, tel qu'il s'est affirmé en France à partir de la moitié du XVIIIe siècle. Wolfgang Drost, qui a toujours affirmé l'importance de ce genre, souscrit implicitement dans son essai à la célèbre définition donnée par Albert Dresdner, qu'il cite d'ailleurs brièvement dans le volume, dans son Entstehung der Kunstkritik de 1915: "[...] j'entends par critique d'art le genre littéraire autonome qui a pour objet d'examiner, d'évaluer et d'influencer l'art qui lui est contemporain". En dehors, donc, d'une simple volonté de démonstration esthétique, philosophique, théologique ou autre, mais en contact direct, actif et passif, avec l'art de son temps.
Le pouvoir de l'écrivain/critique d'art au XIXe siècle, à savoir sa capacité de faire accepter son opinion en matière, est détecté par une série d'indices différents. Au premier rang est placé le talent par lequel il décrit une œuvre d'art et en consacre la valeur par ses mots, mais Drost souligne aussi le rôle "der Sensibilität des Betrachters", dont l'importance est souvent mise en lumière et revient tout au long du volume, avant tout par le choix de Denis Diderot, non seulement comme point de départ chronologique, mais, ce qui plus est, comme point de repère pour toute la critique d'art du siècle suivant jusqu'à Baudelaire. Au-delà du caractère contradictoire, bien connu, des affirmations en matière d'art de Diderot, qui viennent surtout d'une conception de la nature comme "système d'[...]imperfections" (Salon 1767), Drost montre, à travers l'étude des Salons, le déplacement de la vision du philosophe, qui passe du "modèle idéal" tracé dans l'article Beau de l'Encyclopédie et très proche de la perfection atteinte par "quelques rares génies", à l'idée de "modèle intérieur", produit par l'union difficile de l'idéal platonicien du beau et de la réalité perçue par les sens et assujettie à la relativité des sensations.
En général, le choix des Salons des différents écrivains offre à Drost une sorte de fil rouge qui relie les écrivains et les époques, montrant l'évolution du goût et de la conception même de l'art. Le lien est naturellement plus évident pour Diderot, Stendhal, Gautier et Baudelaire, mais le célèbre Salon 1831, ainsi que ceux qu'il a publiées entre 1834 et 1840, font rentrer parfaitement Heinrich Heine dans le groupe des écrivains choisis.
L'œuvre de critique d'art de Stendhal (chapitre IV) va en effet dans la même direction indiquée par Diderot. Drost montre que sa définition de la beauté - "la beauté d'un ouvrage a pour mesure la sensation qu'il fait en nous" - reprend celle de Diderot, y ajoutant le caractère érotique de l'émotion esthétique et la "Glückverheißung", véritable promesse de bonheur qu'elle représente. Cette conception du beau, que Baudelaire appréciera dans Le Peintre de la vie moderne, est le produit de ce que Drost indique comme une sorte de rabaissement du beau idéal, qui n'a plus pour Stendhal un caractère absolu (Salon 1827).
La critique d'art d'Heinrich Heine, convoqué dans sa fonction de « willkommener Gäst in Frankreich », ne représente qu'en apparence un detour dans la lignée diderotienne qui caractérise le parcours du volume. Les articles publiés dans L'Artiste et surtout le Salon 1831 (Gemäldeaustellung in Paris 1831) écrit la même année de son arrivée à Paris, permettent à Wolfgang Drost de montrer son profond accord avec le modèle intérieur de Diderot, qu'il exprime par les mots "innere Traumanschauung". C'est là le sens du "Supernaturalisme" que Heine théorise et qu'il reconnaît dans les tableaux historico-politiques du Salon 1831 où plusieurs artistes dépassent la nature et l'idée de mimésis pour donner naissance à quelque chose de nouveau.
Avec Théophile Gautier on entre dans le vif du volume par la définition catégorique de Wolfgang Drost - "Théophile Gautier war ein visueller Mensch" -, mais aussi par l'indication du poids que ses Salons ont exercé sur l'histoire de l'art en France, de 1832 à 1872 et par les débats qu'ils ont suscité. Si le côté "journaliste" de Gautier l'a mis souvent à la merci d'une rapidité de jugement qui a eu comme conséquence le caractère variable et parfois contradictoire de sa critique, l'écrivain a pourtant suivi rigoureusement un principe que Drost relève partout dans ses écrits, le respect et la compréhension du "microcosme" de chaque artiste. Ce microcosme, qui n'est pas sans rappeler encore une fois le "modèle intérieur" de Diderot, est pourtant chargé de la complexe vision artistique de Gautier, épris de sculpture grecque, mais ancien romantique révolutionnaire, défenseur de la modernité - Delacroix et Ingres en particulier - contre les "pompiers", mais mal à l'aise face aux œuvres des préraphaélites, de Moreau et surtout des impressionnistes, Manet en particulier, qui avaient le tort fondamental d'aimer l'inachevé et dont Gautier dénonce, dans la lecture de Drost, la "willentlich schwerfällige und brutale Malweise".
Le début de Baudelaire dans la critique d'art marque pour Drost un tournant fondamental, bien qu'affecté d'abord par les "dramatische Anfänge" du Salon 1845, où le point de vue du jeune poète, qui chez les artistes prisait avant tout le "tempérament", sonnait souvent paradoxal et inutilement polémique. Mais déjà à partir du Salon 1846 on voit bien que la lignée diderotienne, dont Wolfgang Drost suit les importantes traces tout au long de ce volume, atteint son point le plus haut. Baudelaire, ajoutant la naïveté au tempérament comme donnée fondamentale du peintre, et donnant par là une valeur fondamentale à l'intention et à la sensibilité de l'artiste, ouvre en même temps une importante perspective sur le tempérament du spectateur et sur ses sensations. "Aber der Betrachter ist dabei angehalten, offen zu sein für die im Kunstwerk enthaltene Empfindung und diese völlig frei in eigener Weise fortzuführen" écrit Drost, soulignant la centralité pour la critique d'art baudelairienne de cette rencontre individuelle et subjective entre artiste et spectateur, en dehors des règles académiques. L'examen détaillé des Salons, fruit de la longue fréquentation des écrits baudelairiens sur l'art (Salon 1859 en particulier), ajoute à l'analyse de Drost de nombreux éléments et avant-tout l'importance du changement dans l'œuvre d'un artiste ("die sich wandelnden Modernität"), à côté des liens entre les générations qui se sont succédées. À l'intérieur de cet équilibre, et en particulier à l'intérieur de la complexe évolution de la sculpture par rapport à son lien avec l'antiquité, il place aussi le rapport extraordinaire qui a lié Baudelaire à Delacroix. C'est en effet sur le fond de la réévaluation de l'art baroque et de la nécessité de représenter une réalité moins "idéale" que Baudelaire a découvert la grandeur de Delacroix, donnant naissance, de Salon en Salon, à une sorte de mythe, un mélange formé par un romantisme 'moderne' et le mystère exaltant de la couleur et du trait, qui en font un artiste "maladif et frileux", suspendu entre cruauté et mélancholie et totalement voué à l'imagination, "la reine des facultés".
Sur cette rencontre exceptionnelle entre le poète et le peintre on a beaucoup écrit - la riche bibliographie et les nombreuses citations du volume le montrent -, mais Drost fait ressortir le développement significatif par rapport au modèle diderotien que cette rencontre produit, tout en gardant son lien fondamental avec le "modèle idéal". C'est en effet l'imagination qui dessine la ligne du changement: pour Diderot elle garde ses racines dans la mémoire et n'est pas particulièrement créative, alors que pour Baudelaire (et Delacroix) c'est une nouvelle création de l'esprit que l'imagination de l'artiste produit, tout en partant de la mémoire, mais y ajoutant la "modernité". Ce qui plus est, comme l'écrit Drost, cette nouvelle création "wird - und das ist das Neue, was Baudelaire erkannte - vom Unbewussten gesteuert".
Le "modèle idéal", barrière contre l'art mimétique, est pourtant toujours présent et exerce son rôle de gardien: contre la photographie, contre la "Freiluftmalerei" et même contre Manet, auquel Baudelaire reconnaissait une "imagination vive et ample, sensible, audacieuse" et dont les tableaux le fascinaient, mais contre lequel pesait, conclut Drost, "[die] Schwerkraft der Tradition und [die] mit ihr verbundenen Sehgewohnheiten".
Ce ne sont là, pourtant, que des pistes de lecture; le livre de Wolfgang Drost est très riche et demande à être lu dans toutes ses pages.
Maria Emanuela Raffi