Rezension über:

Federica Carugati: Creating a Constitution. Law, Democracy, and Growth in Ancient Athens, Princeton / Oxford: Princeton University Press 2019, XIV + 239 S., 1 Kt., 17 s/w-Abb., ISBN 978-0-691-19563-6, USD 39,95
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Rezension von:
Alain Duplouy
L'Institut d'art et d'archéologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Haake
Empfohlene Zitierweise:
Alain Duplouy: Rezension von: Federica Carugati: Creating a Constitution. Law, Democracy, and Growth in Ancient Athens, Princeton / Oxford: Princeton University Press 2019, in: sehepunkte 21 (2021), Nr. 1 [15.01.2021], URL: https://www.sehepunkte.de
/2021/01/33502.html


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Federica Carugati: Creating a Constitution

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L'ouvrage de Federica Carugati s'inscrit dans une école de pensée américaine qui voit dans la cité antique, plus particulièrement dans l'Athènes classique, un modèle de réflexion, sinon une source d'inspiration pour les États-nations contemporains. L'ouvrage part du constat que les dernières décennies de l'histoire contemporaine ont connu, à l'échelle de la planète, une floraison de nouvelles constitutions. C'est dans ce cadre que Carugati se penche, après bien d'autres, sur le modèle athénien du IVe siècle avant J.-C. L'ordonnancement des institutions et de la vie politique athénienne résulte alors, après les deux crises oligarchiques de 411 et de 404, d'une forme de reboot démocratique, qui passe notamment par l'instauration d'une nouvelle constitution. Par "constitution", l'auteur n'entend pas un document écrit instituant par le menu les principes de gouvernement d'un État - ce que l'Antiquité grecque n'a jamais produit -, mais plutôt, selon une école de pensée libérale moderne, un "mécanisme destiné à guider la formulation de la législation et du droit". L'auteur s'appuie en cela sur l'histoire politique de la cité depuis Dracon et Solon jusqu'au rétablissement de la démocratie en 403 pour souligner combien, une fois que les élites eurent accepté de partager le pouvoir, le système démocratique athénien reposa sur l'inclusion des citoyens, masse comme élites. Il importait en effet que de nouvelles lois offrent des avantages à tous, assurant la stabilité et le succès du nouveau régime.

Au-delà des aspects législatifs de l'Athènes démocratique, ce qui fait l'originalité du livre de Federica Carugati est d'ajouter une perspective économique au raisonnement politique. L'auteur souligne à quel point l'équilibre politique et la stabilité institutionnelle atteintes par les Athéniens au IVe siècle reposaient sur une situation économique favorable, dans laquelle les fruits de la croissance étaient partagés le plus largement possible à travers l'ensemble du corps civique athénien, assurant ainsi la prospérité et le rayonnement de la cité à l'échelle du monde grec. L'ouvrage s'interroge sur les valeurs soutenant un régime démocratique solide. Si l'égalité et la liberté sont d'ordinaire mises en valeur par la science politique, l'auteur insiste sur la législation en tant que troisième attribut fondamental du discours et de la pratique démocratiques.

Dans le détail, après un bref rappel de l'histoire athénienne des VIe et Ve siècles, l'auteur engage une discussion sur les crises de la fin du Ve siècle et sur les solutions mises en place qui avaient pour slogan la "constitution des ancêtres" (patrios politeia), renvoyant à la figure tutélaire de Solon - ou plus exactement, devrait-on écrire, d'un Solon alors largement réinventé. Selon Carugati, ce sont ces principes "soloniens" qui permirent à Athènes de bénéficier d'une période de stabilité politique et de croissance économique durant une très large partie IVe siècle. En particulier, alors que la démocratie athénienne du Ve siècle reposait économiquement sur une politique impérialiste, il était important de soutenir le nouveau modèle en préservant les élites d'une politique fiscale trop lourde, ce qui se fit par un arsenal législatif subtilement dosé, impliquant le développement du marché intérieur et l'intensification de l'exploitation du port du Pirée et des mines du Laurion, quitte à impliquer des acteurs extérieurs à la cité en soutien de cette politique économique.

Enfin, prenant appui sur les exemples de Syracuse et de la Rome tardo-républicaine, l'auteur s'emploie à montrer, dans un exercice de pure politique fiction, qu'en l'absence de cette nouvelle constitution, l'Athènes du IVe siècle serait restée à la traîne du monde grec. Le Pirée, auquel l'auteur consacre également deux appendices (sur la géographie et l'histoire), offre le cas d'un dernier développement. Ce port de commerce, qui fut au cœur de la prospérité athénienne, n'aurait pas connu le même développement, selon l'auteur, dans le cadre d'un régime oligarchique. Au final, Federica Carugati n'entend certes pas que l'étude de la situation athénienne puisse offrir une série d'institutions toutes faites pouvant être répliquées dans le monde contemporain; elle souhaite tout au plus attirer l'attention, à travers le cas de l'Athènes classique, sur une série d'éléments susceptibles d'entrainer le succès des processus constitutionnels actuels et à venir.

S'il est évidemment intéressant de rappeler que la Grèce antique n'est pas un monde mort, enfoui dans le passé, mais que son héritage politique est toujours bien vivant et qu'il peut alimenter la réflexion sur notre monde contemporain, il faut aussi veiller à ne pas idéaliser le modèle antique. En l'occurrence, il convient de rappeler que la démocratie athénienne classique reposait sur un système esclavagiste, sans lequel ni la stabilité sociale ni la prospérité économique n'auraient été possibles. Federica Carugati tend malheureusement à l'oublier, ne consacrant qu'un seul paragraphe à ce sujet (176) au titre que le modèle primitiviste (et esclavagiste) de Finley est dépassé. Tout le raisonnement de l'auteur se limite donc à considérer le seul corps civique, en ne mentionnant, parmi les non-citoyens, que la frange supérieure de ceux-ci, en l'occurrence quelques riches métèques et affranchis. C'est ainsi que l'auteur confond tout au long de l'ouvrage "population" et "corps civique", réduisant la première au second: "In the fourth century, population has been estimated at thirty thousand" (28 n. 11). Mais il s'agit là du nombre de citoyens mâles adultes, pas de la population totale de la cité d'Athènes, qui compta jusqu'à 250.000 individus - comme elle le reconnaît d'ailleurs plus loin (175) lorsqu'elle aborde brièvement le sujet de l'esclavage. Est-il pour autant acceptable de passer sous silence près de 80% de la population pour célébrer la réussite d'une frange largement minoritaire de celle-ci? Serait-ce un détail? "It is beyond doubt that such a bargain felt short of universal inclusion motivated by a normative commitment to inalienable human rights. Nevertheless, the bargain benefited many by fostering both political stability and economic development", note-t-elle (139). Si les principes de l'Athènes du IVe siècle devaient constituer un modèle pour des constitutions contemporaines, faudrait-il en l'occurrence accepter de mettre à l'écart des pans entiers de la population d'un pays pour créer une constitution qui bénéficie à une minorité d'individus? C'est de fait ce qui se passe actuellement en Birmanie, que l'auteur prend pour exemple en introduction et en conclusion. Malgré le "miracle grec" célébré de longue date, il faut pourtant rappeler que le modèle civique d'Athènes (ou de toute cité grecque) repose avant tout - ne serait-ce que par les proportions impliquées - sur l'exclusion de la majorité de la population.

Alain Duplouy