Rezension über:

Elke Stein-Hölkeskamp / Karl-Joachim Hölkeskamp (Hgg.): Erinnerungsorte der Antike. Die römische Welt, München: C.H.Beck 2006, 797 S., 117 Abb., ISBN 978-3-406-54682-2, EUR 38,00
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Rezension von:
Frédéric Hurlet
UFR d'Histoire, Histoire de l'art et Archéologie, Département d'Histoire, Université de Nantes
Redaktionelle Betreuung:
Sabine Panzram
Empfohlene Zitierweise:
Frédéric Hurlet: Rezension von: Elke Stein-Hölkeskamp / Karl-Joachim Hölkeskamp (Hgg.): Erinnerungsorte der Antike. Die römische Welt, München: C.H.Beck 2006, in: sehepunkte 7 (2007), Nr. 12 [15.12.2007], URL: https://www.sehepunkte.de
/2007/12/11882.html


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Elke Stein-Hölkeskamp / Karl-Joachim Hölkeskamp (Hgg.): Erinnerungsorte der Antike

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La série inaugurée en 1984 par Pierre Nora avec les Lieux de mémoire, en France, [1] ne cesse de s'enrichir de nouvelles contributions qui réinterrogent le passé d'autres peuples selon la même grille de lecture mémorielle. On songe tout d'abord au pendant allemand, les Deutschen Erinnerungsorte, conçu et dirigé par Etienne François et Hagen Schulze. [2] Il faut désormais ajouter à cette liste les Erinnerungsorte de l'Antiquité romaine, coordonné par Karl-Joachim Hölkeskamp et Elke Stein-Hölkeskamp. [3]

La Rome antique représente un modèle de cohésion politique et sociale si forte et si durable qu'histoire et mémoire y furent liées plus indissolublement qu'elles ne le sont aujourd'hui en France ou en Allemagne. Les événements «mémorables» de l'histoire romaine, qu'ils aient ou non réellement eu lieu, furent en effet automatiquement intégrés dans une forme de mémoire collective et sécrétèrent de nombreux «lieux du souvenir» sans que les Romains n'aient jugé utile à un moment ou un autre de réfléchir sur leur mode de fabrication et leur évolution. C'est la grande différence entre le monde antique et un monde contemporain qui a mis fin à l'adéquation entre histoire et mémoire sous l'effet de ce que P. Nora a appelé «l'accélération de l'histoire» sans être pour autant en mesure de vivre sans mémoire. Pour Rome, la mémoire ne s'est détachée de l'histoire qu'à partir du moment où le monde antique a disparu. Ce nouvel ouvrage sur la notion de mémoire romaine est donc utile en ce qu'il nous conduit à nous interroger sur la manière dont notre propre mémoire a été façonnée et ne cesse de se (re)construire.

La formule «lieux de mémoire» doit être dans un premier temps clairement définie. Elle a pris dans le projet de Nora une triple signification: matérielle, symbolique et fonctionnelle. C'est à la même définition large que Hölkeskamp et Stein-Hölkeskamp renvoient dans l'introduction lorsqu'ils précisent que les «Erinnerungsorte» désignent des lieux non seulement concrets, mais aussi «métaphoriques». Les 38 rubriques que compte le volume témoignent de la pertinence de cette acception polysémique en scrutant la diversité des formes dans lesquelles la mémoire de Rome s'était incarnée et où elle a subsisté: places comme le forum, colline comme le capitole, monuments (colonne trajanne, Colisée ...), batailles (Cannes, Actium, Pont Milvius), rituels collectifs (triomphe...), œuvres littéraires (Énéide de Virgile...), calendrier et personnages (Spartacus...). Tous ces «lieux» ont été choisis précisément parce qu'ils ont contribué chacun à leur manière à forger dans la durée une identité collective. Ils ont été regroupés dans sept grands chapitres constitués de manière à refléter certaines des tensions constitutives de la culture romaine: entre cité-État et Empire, centre et périphérie, diversité et unité, grandeur et limites du pouvoir, exercice et représentation du pouvoir. Cette division de la matière est heureuse. Dans la mesure où il est désormais avéré qu'il y a en théorie dans les sociétés humaines autant de mémoires historiques que de groupes, il fallait rappeler que certains des lieux de mémoire du monde romain ont pu faire l'objet d'une vive concurrence, voire de ce qu'on appelle de nos jours «le choc des mémoires» dès l'Antiquité et jusqu'à notre époque, thème qui trouve un écho dans le plan du livre et dans diverses contributions. Les 38 rubriques ne constituent qu'une partie des lieux de mémoire de l'Antiquité romaine et les spécialistes auront beau jeu de souligner telle lacune, les historiens de l'Antiquité tardive étant en droit de penser qu'une plus grande place aurait pu être accordée à leur période.[4] Mais il fallait forcément procéder à une sélection tant la mémoire des Romains était hyperbolique et les choix apparaissent tous pertinents. Il est en particulier bienvenu de consacrer un chapitre à la Römische Geschichte de Mommsen et d'en confier la réalisation à St. Rebenich, mais on peut regretter que l'évolution du regard porté sur ce lieu de mémoire par les historiens des XXe et XXIe siècles n'y ait pas fait l'objet de davantage de précisions.

Les 38 rubriques ont été rédigées par les meilleures spécialistes pour chacun des thèmes traités. L'érudition considérable qui y est déployée renferme d'ordinaire, de façon inégale selon les rubriques, trois niveaux d'informations: la manière dont les différents lieux de mémoire se sont constitués, le regard porté sur chacun de ces lieux par les anciens, l'évolution de ce regard dans l'Antiquité et/ou depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Les articles les plus réussis sont ceux qui sont parvenus à une présentation équilibrée dans laquelle approches historiques et historiographiques se croisent et se combinent pour former une synthèse. On retiendra par exemple la richesse et la concision de l'article de M. Jehne sur la Guerre des Gaules de Jules César. Il y est montré comment une œuvre servant au départ à des fins d'auto-justification est devenue en Occident un élément de notre patrimoine culturel - et scolaire - en raison de ses qualités littéraires, mais aussi parce qu'elle préfigure le modèle monarchique du général victorieux et renvoie une image d'une puissance romaine dépourvue du moindre doute sur sa vocation à gouverner les autres peuples. Se trouvait ainsi illustrée, mais aussi légitimée et instrumentalisée, la notion d'impérialisme, vocable apparu à la fin du XIXe siècle en relation avec la politique coloniale suivie par la plupart des États d'Europe occidentale.

Également remarquable est la présentation par F. Hölscher du capitole. L'agencement topographique et le poids symbolique de cette colline y sont étudiés dans ses aspects évolutifs depuis les origines de Rome jusqu'à l'époque contemporaine en passant par sa reconfiguration au XVIe siècle sous l'action de Michel-Ange. Cet intérêt pour la réception des lieux de mémoire de l'Antiquité romaine, qui est malheureusement absent dans plusieurs contributions, débouche sur une meilleure compréhension de la manière dont les Romains se représentèrent leur ville et leur passé après l'Antiquité. Rome apparaît comme un lieu qui est devenu progressivement une ville-musée (étude de L. Giuliani) et qui a su associer ce nouveau statut avec celui, durable, d'espace de représentation des différents pouvoirs qui se sont succédé en Italie du Moyen Âge à nos jours et dont certains conservèrent une vocation universelle. Il est bien connu que la revendication de l'héritage antique fut portée à son paroxysme sous le fascisme, époque dont il est régulièrement question dans ce volume en raison de l'obsession de ce régime à s'emparer à son tour des lieux de mémoire laissés par l'Antiquité. [5] Il apparaît en particulier que si les monuments antiques furent alors mis en valeur comme jamais ils ne l'avaient été auparavant, ce fut au prix d'une profonde altération de ce qui subsistait encore de l'image urbaine de la Rome antique. Cette mise au point paradoxale a déjà été faite par ailleurs, mais un rappel était nécessaire dans le cadre d'une étude des Erinnungsorte de l'Antiquité romaine.

Que ce remarquable ouvrage sur les lieux antiques du souvenir soit issu d'une entreprise collective coordonnée en Allemagne et réalisée par des savants allemands pour la quasi-totalité est en soi une indication intéressante dont il faut tirer toutes les implications. Comment expliquer un tel intérêt de la part des collègues allemands non seulement pour l'histoire d'un monde disparu, mais aussi pour la mémoire qui en a subsisté? Faut-il mettre en avant le dynamisme de l'histoire ancienne telle qu'elle est actuellement pratiquée en Allemagne et la capacité bien connue des éditeurs, Hölkeskamp et Stein-Hölkeskamp, de s'emparer de concepts en vogue dans les autres périodes de l'histoire ou les autres sciences humaines pour les appliquer au monde antique? ne faut-il pas plutôt y voir une brillante manifestation de la rémanence de l'Antiquité romaine dans certains des lieux de mémoire proprement allemands? Les deux explications se combinent plus qu'elles ne s'excluent.

Certains des thèmes pris en considération témoignent de l'importance prise par la Rome antique dans le contexte de l'histoire et de l'historiographie allemande. L'article attendu de J. Fried sur l'Imperium romanum vient ainsi rappeler à propos que l'idée d'un Empire romain universel a survécu durant le Moyen Âge, non sans tensions, sous la forme du Heiliges römisches Reich deutscher Nation (rendu imparfaitement en français par un «Saint empire romain germanique»). On signalera également la contribution de R. Wiegels sur le désastre de Varus en 9 ap. J.-C. et le mythe d'Arminius/Hermann qui en a résulté. Un historien français de l'Antiquité aurait pour sa part inclus Alésia et le mythe de Vercingétorix. [6] C'est dire à quel point reste à la fois vivante et mouvante la mémoire d'un monde antique qui a disparu il y a plus d'un millénaire et qui est depuis longtemps révolu sans être jamais tombé dans l'oubli.


Annotations:

[1] P. Nora (éd.): Les lieux de mémoire, I: La République; II: La Nation; III: Les France, Paris 1984-1992. Il existe une sélection en traduction allemande (Munich, 2005).

[2] Etienne François et Hagen Schulze (éds.): Deutsche Erinnerungsorte, Munich 2001, I-III.

[3] On fera remarquer que le titre allemand utilise le substantif «souvenir» (Erinnerung) là où le français préfère le terme «mémoire» (Gedächtnis).

[4] On aurait par exemple pu consacrer une rubrique à Constantinople ou encore à Théodose avec lequel le christianisme devint la seule religion officielle et à la mort duquel l'Empire romain fut définitivement divisé en deux.

[5] On citera l'étude de W. Schieder consacrée précisément à la représentation de l'Antiquité sous le fascisme, ainsi que la belle synthèse de H. von Hesberg sur le Mausolée d'Auguste.

[6] Que ces thèmes n'aient pas été traités ni même évoqués dans l'article par ailleurs excellent de M. Jehne sur le De bello Gallico de Jules César est révélateur.

Frédéric Hurlet