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Lara Piccardo (éd.): L'Idée d'Europe au XVIIIe siècle. Actes du Séminaire international des jeunes dix-huitiémistes. Gênes, 24 - 29 octobre 2005 (= Études internationales sur le dix-huitième siècle; 11), Paris: Editions Honoré Champion 2009, 259 S., ISBN 978-2-7453-1895-4, EUR 50,00
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Rezension von:
Monique Samuel-Scheyder
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Redaktionelle Betreuung:
Matthias Schnettger
Empfohlene Zitierweise:
Monique Samuel-Scheyder: Rezension von: Lara Piccardo (éd.): L'Idée d'Europe au XVIIIe siècle. Actes du Séminaire international des jeunes dix-huitiémistes. Gênes, 24 - 29 octobre 2005, Paris: Editions Honoré Champion 2009, in: sehepunkte 11 (2011), Nr. 4 [15.04.2011], URL: https://www.sehepunkte.de
/2011/04/17652.html


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Lara Piccardo (éd.): L'Idée d'Europe au XVIIIe siècle

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Le thème proposé se veut une contribution au débat sur l'identité européenne à partir d'une investigation portant sur les prémices de l'idée d'Europe telles qu'elles apparaissent sous diverses formes - philosophique, politique, économique, littéraire, artistique - au XVIIIe siècle. Rassemblant treize contributions, l'ouvrage trilingue comporte quatre parties: l'Europe vue par les Européens, vue de l'extérieur, dans les récits de voyages, dans les arts et les sciences. On apprécie d'emblée l'excellent panorama des étapes qui marquent l'évolution de l'idée d'Europe, son émergence aux XVIe et XVIIe siècles en remplacement de la christianitas médiévale et l'affirmation d'un espace commun supérieur dépassant le fractionnement confessionnel, issu de la Réforme, puis l'avènement de l'idée "philosophique" d'Europe au XVIIIe siècle en liaison avec la nouvelle idéologie des Lumières; elle tendra à devenir au siècle suivant une idée "politique", l'Europe cherchant à dominer le monde par sa civilisation et ses progrès scientifiques et techniques (Nere Basabe).

Dès le XVIIe siècle des intellectuels français ont élaboré des projets paneuropéens d'entente entre les souverains afin de garantir la paix et la stabilité du continent. La paix universelle préconisée par Emeric Crucé dans son Nouveau Cyné (1623), dont le maître-mot est "Remettons l'espee au fourreau", exclut toute politique de conquête territoriale et préconise un voisinage apaisé avec les "ennemis naturels" que sont les Etats musulmans. Sully, le ministre de Henri IV, qui déplore que l'Europe soit un perpétuel champ de bataille où s'affrontent Bourbons et Habsbourg, tout en étant également menacés par l'expansionnisme de l'Islam, propose, quant à lui, une vision de l'Europe réunissant les Etats chrétiens - catholiques, luthériens, calvinistes - en un Grand Conseil en vue d'une paix universelle en la chrétienté, excluant aussi bien la Russie orthodoxe que la Turquie. En 1712 l'abbé de Saint-Pierre conçoit un projet d' Union européenne, sorte de fédération de dix-huit Etats, (n'excluant pas d'y intégrer un jour la Russie et la Turquie), où les décisions sont votées par une Assemblée générale et pour les affaires internationales par une Diète où chaque Etat dispose d'une voix. On voit se profiler ici des idées promises à un avenir et suggérant une intégration politique par le biais d'institutions communautaires (Aleksandra Porada ).

Les utopies qui fleurissent au XVIIIe siècle proposent une autre grille de lecture de la réalité de l'Europe, une sorte de "modèle en creux comme instrument d'investigation des possibles sous le couvert de la fiction" (Zeina Hakim). L'idée de la précellence de l'Europe va de pair avec une prise de conscience des limites d'un continent politiquement divisé, en butte aux rivalités et aux guerres. Dans Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre (1788), l'organisation de la vie sur l'île exotique permet de faire revivre les valeurs morales et l'authenticité que la dégradation de la civilisation a fait perdre à l'Europe. L'An 2440 de Louis-Sébastien Mercier, paru à Amsterdam en 1771, est le plus gros succès de la littérature prohibée du XVIIIe siècle; c'est dire si la critique sévère du système en place ainsi que l'alternative proposée, à savoir l'unification politique de l'Europe en un "vaste état sous une seule et même domination", sont ressentis comme un discours subversif par les gouvernants du moment. La remise en cause des pouvoirs débouche ici non sur une utopie exotique mais sur une vision prospective d'un avenir réalisant les idéaux des Lumières: progrès de l'humanité, entente et paix entre les peuples, accession du peuple au savoir, certes, mais sans que soit envisagée un système politique démocratique. Louis XXXIV, manifestement un roi à la française, gouverne l'Europe en alliant les qualités d'un monarque éclairé et du bon père de famille.

Au XVIIIe siècle se font également jour de nouvelles théories économiques dans l'espace européen. Le mercantilisme colbertien de l'Ancien Régime se voit supplanté par de nouvelles approches et théories économiques - néomercantilisme, école physiocratique de Quesnay, libéralisme inspiré des travaux d'Adam Smith - et par les débuts de la révolution industrielle. La contribution de S. Drago montre comment le Royaume de Sicile, île méditerranéenne fermée sur elle-même à l'époque de Charles III de Bourbon, s'ouvre à une prise de conscience européenne par le biais de ses économistes gagnés aux idées des Lumières et s'engage sur la voie d'une intégration dans les circuits économiques et commerciaux des pays de l'Europe du Nord.

Le goût des voyages se répand au XVIIIe à partir de l'Angleterre. Le Grand Tour, institué pour compléter l'éducation des jeunes gens de bonne famille, comprend la traversée de la France, la visite de l'Italie et un retour par la Suisse, l'Allemagne du Sud et les Pays-Bas. Les récits de voyage contribuent à faire connaître l'Europe aux Européens, mais l'Europe centrale et orientale reste encore en grande partie en dehors des circuits et des pays comme la Hongrie ne sont guère représentés dans la littérature de voyage (G. Szasz). On note aussi des phénomènes d'ostracisme dans cette Europe du XVIIIe siècle. L'Espagne, peu attractive pour des visiteurs autres que des marchands, est présentée par des voyageurs anglais comme un pays sous-développé où règne l'Inquisition, et totalement fermé aux idées des Lumières (A. Hontanilla). Le genre très répandu de la Robinsonnade est une autre manière de faire valoir par le biais de la fiction les idéaux de la civilisation européenne. Il sert même, comme dans Der schweizerische Robinson du pasteur suisse J.D.Wyss, d' instrument pédagogique pour montrer l'importance du respect des normes et des valeurs de la civilisation européenne, illustrées en l'occurrence par les bonnes manières à table, qui veulent qu'on se serve de couteaux, fourchettes et cuillers, y compris dans un environnement primitif et exotique (S. Brosemlow Moser)!

Mais tous ne partagent pas l'enthousiasme des "Lumières". Dans son poème symbolique Europe, a Prophecy , illustré de gravures allégoriques W. Blake déplore, quant à lui, le déclin religieux dans la société européenne, dont il attribue les causes au déisme et à la religion naturelle qui vont de pair avec le rationalisme matérialiste et scientiste. Francis Bacon, Locke et Newton représentent pour Blake "an infernal trinity", tandis que la monarchie et l'Eglise exercent également leur oppression sur le peuple (M. Luczynska-Holdys). Dès1726 les dérives du scientisme dans la pensée anglaise du XVIIIe siècle ont fait l'objet d'une caricature prémonitoire sur le mode satirique dans les Gullivers's Travels de J. Swift. Il est vrai qu'à cette époque Newton suscite un véritable culte et devient le parangon de l'identité anglaise. La science est élevée au rang d'une idéologie, qui confère à l'Angleterre une position dominante en Europe. Des voix s'élèveront quelques décennies plus tard, comme celle d'Oliver Goldsmith dans The deserted Village, pour dénoncer les effets pervers de la révolution industrielle (W.H. Keithley). Dans cette Europe qui se passionne pour les sciences, les volcans suscitent un vif intérêt chez les voyageurs, mais aussi dans les cabinets et les salons. Grâce à l'esprit empirique appliqué sur le terrain, la volcanologie et la géologie se développent avec le concours, non exempt de querelles, des savants d'une grande partie de l'Europe.

Ainsi ces différentes contributions offrent par leur diversité thématique un panel assez représentatif de la pensée du XVIIIe siècle dans ses productions littéraires ou théoriques; certaines présentent des éléments relativement connus sous forme de synthèse bien documentée et toujours sous-tendue par une réflexion pertinente voire innovante; d'autres ouvrent des perspectives dans des domaines moins explorés ou avec des points de vue "extérieurs" enrichissants. Trouvera-t-on ici des éléments de réponse dans le débat sur l'identité européenne? Oui, si l'on admet que l'identité se forge à partir d'une histoire, d'une culture, de valeurs et de modes de vie communs ou voisins. Les guerres mais aussi les alliances politiques circonscrites à l'espace géographique du continent ont créé une communauté de destin des peuples européens, qui ont très tôt aspiré à une paix fondée sur une entente entre voisins. La forme s'en ébauche au XVIIIe siècle dans des utopies ou des projets plus prospectifs. Le XVIIIe siècle ne croit pas à la démocratie; son modèle de gouvernance est le monarque "éclairé", et cela juste avant l'ère des révolutions qui affecteront bientôt l'Europe. Les idées des "Lumières" qui constituent un socle philosophique et culturel commun permettent de donner une assise conceptuelle à l'idée d'Europe. Les échanges culturels et commerciaux, les transferts de connaissances et de techniques sont autant de facteurs d'une consolidation progressive d'un espace européen commun à partir du XVIIIe siècle. L'idée de "civilisation", voire de la précellence de la civilisation européenne, se traduit aussi dans les façons de vivre par des usages qui se veulent plus raffinés et qui tendent à se diffuser progressivement dans les sociétés . Une forme de tourisme se développe, où s'impose le voyage en Italie. La visite des ruines de l'antique Rome fait à nouveau prendre conscience aux Européens de leur héritage commun. Quant à leur héritage chrétien, les guerres de religion, les luttes confessionnelles et l'intolérance religieuse qui s'en est suivie l'ont discrédité, du moins dans ses formes institutionnelles, aux yeux de la plupart des esprits éclairés du XVIIIe siècle et il faudra attendre le romantisme du XIXe siècle pour renouer avec une tradition chrétienne apaisée de l'Europe.

Monique Samuel-Scheyder