Jonathan Hughes: The Rise of Alchemy in Fourteenth-Century England. Plantagenet Kings and the Search of the Philosopher's Stone, London: Continuum 2012, XV + 279 S., ISBN 978-1-4411-8183-1, GBP 19,99
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Malgré un titre accrocheur, l'ouvrage de Jonathan Hugues, est moins une étude sur le développement de la littérature et du savoir alchimique en Angleterre, qu'un travail sur la place des savoirs occultes à la cour des rois d'Angleterre. La problématique de ce travail, présentée plus explicitement dans le sous-titre de l'ouvrage, Plantagenêt Kings and the Search for the Philosopher's Stone, émerge d'un constat issu de l'historiographie de la vie culturelle et intellectuelle dans les milieux ecclésiastiques et nobles de l'Angleterre tardo-médiévale : le développement de la littérature alchimique est venu nourrir une curiosité pour la Nature et ses forces cachées. Il est à noter qu'un tel constat ne vaut pas seulement pour ce contexte social et géographique particulier, mais pour une grande partie des milieux cultivés médiévaux, qu'ils soient occidentaux ou orientaux, latins, grecs ou arabes. Il vaut également pour les savoirs liés à la connaissance de la Nature en général (astrologie, magie, médecine...), qui occupèrent une place de choix dans les préoccupations des puissants au Moyen Age, dans l'exercice et la préservation du pouvoir.[1] Le contexte anglais tardo-médiéval possède toutefois une dimension originale par l'importance du matériel littéraire alchimique disponible, l'intérêt des lettrés pour les savoirs occultes et les préoccupations politiques spécifiques des souverains.
Le lien entre la cour royale anglaise et l'alchimie dans les sources du 14e siècle est connue de longue date [2], mais aucune étude spécifique n'était venue approfondir la dimension politique et sociale de cette question. L'ouvrage apporte une contribution évidente à cet approfondissement.
Jonathan Hughes commença sa carrière de chercheur comme spécialiste de la vie religieuse et aristocratique de la fin du Moyen Age anglais. Il put développer des recherches sur l'alchimie alors qu'il était Wellcome Research Fellow à l'University of East Anglia, entre 2000 et 2003, sous la direction de John Charmley, professeur d'histoire moderne britannique, en collaboration avec Carole Rawcliffe, une spécialiste de l'histoire de la médecine. Il publia à partir de 2001 une série de travaux portant sur la place de l'alchimie sous les règnes d'Edouard IV et Richard III. L'ouvrage dont il est question ici apparaît comme la continuité de ces travaux, sur une période historique antérieure, celle du 14e siècle. Y sont rassemblés des éléments d'études portant à la fois sur l'alchimie, les savoirs occultes et la symbolique du pouvoir au Moyen Age. Ils ont été organisés par l'auteur en trois parties inégales : une première partie, introductive et courte, intitulée " L'alchimie et l'occulte dans la vie culturelle et politique anglaise ", mais en réalité consacrée aux origines de l'alchimie médiévale, une seconde partie bâtie en sections thématiques, et une dernière partie constituant le cœur de l'ouvrage, l'usage de la symbolique alchimique durant les règnes d'Edouard III et Richard II.
Dans la première partie l'auteur propose une problématique en accord avec le titre principal de l'ouvrage : " explorer les origines de l'alchimie au 14e siècle ". Notant que l'époque de la Renaissance avait marqué un temps de suspicions, de dérisions et de procès en pratiques diaboliques ou superstitieuses pour les savoirs occultes, il entend montrer que la fin du Moyen Age fut au contraire un temps où l'alchimie était considérée comme une forme respectable de recherche sur les règles de la Nature, un temps favorisant l'alliance entre la philosophie occulte et le pouvoir politique. Les pages suivantes, consacrées au développement de l'alchimie dans le Monde latin et l'Angleterre avant le 14e siècle, constituent une synthèse des recherches réalisées en ce domaine. L'auteur n'y apporte pas d'éclairages nouveaux et ignore même les apports d'une série de travaux publiés récemment.[3] L'organisation de la seconde partie n'est pas sans rappeler celle de L'arte del Sole et della Luna [4] et en reprend la plupart des problématiques dans le contexte de l'Angleterre du 14e siècle. La troisième partie est entièrement consacrée à la dimension politique de l'alchimie en Angleterre. Elle repose sur l'étude des hommes (John Dastin et Petrus Bonus en particulier) et des textes liés aux savoirs occultes, magie, alchimie et géomancie, en rapport avec la cour des Rois Edouard III et Richard II.
Dans l'ensemble, Jonathan Hughes dresse un portrait détaillé de la place de l'alchimie à la cour royale anglaise du 14e siècle, mais il ne différencie pas de manière méthodique et systématique l'alchimie de ce qu'il appelle l' " Occult " et de ce fait ne présente pas de manière concluante ce qui tient de l'occulte ou de l'alchimie dans les symboles du pouvoir royal. L'alchimie en tant qu'objet historique n'est d'ailleurs jamais précisément définie, sinon comme " la tentative de comprendre et de maitriser les forces cachées au sein de la matière terrestre ", c'est à dire une définition soutenant directement le caractère occulte qui intéresse l'auteur. Cette dernière ne recoupe qu'en partie les définitions données par les spécialistes de la question dans des publications récentes, notamment dans le contexte médiéval.[5] La bibliographique demeure quant à elle incomplète par rapport aux différents sujets abordés dans l'ouvrage et reste encombrée de coquilles en particulier dans les références en français et en italien. L'utilisation des travaux de Charles Burnett sur l'introduction des sciences arabes en latin et en Angleterre et ceux de Martin Aurell sur l'utilisation par les Plantagenêt de la littérature Arthurienne auraient sans doute permis de poser des liens structurés entre le contexte culturel du 14e siècle et ceux des siècles précédents.[6]
Au final, le propos original de l'ouvrage reste centré sur une histoire politique spécifiquement anglaise, cherchant dans les soubresauts des règnes de la fin du Moyen Age les racines des problématiques de l'Angleterre moderne. Il ignore les recherches portant sur l'historiographie de l'alchimie médiévale et ne cherche d'ailleurs pas à y insérer l'objet de son étude.[7] Malgré l'utilisation de sources liées à l'alchimie, l'objet qui supporte la problématique de l'ouvrage n'est pas l'alchimie observée depuis un contexte anglais, mais la nation anglaise elle-même, observée comme le résultat d'une fondation portée par une idéologie royale imprégnée de symbolique occulte et alchimique, et considérée comme la source des révolutions scientifique et industrielle. Pour autant, l'ouvrage constitue une contribution importante à l'histoire de l'alchimie par le travail précieux réalisé sur des traités dont la portée politique et culturelle était restée jusqu'à lors en grande partie inexploitée.
Notes:
[1] Hanegraaff Wouter J. (dir.), Dictionary of Gnosis and Western Esotericism, Leiden/Boston : Brill (2006), 964-966 ; Magdalino Paul et Mavroudi Maria (dir.), The Occult Sciences in Byzantium, Geneva : La Pomme d'Or (2006); Eamon William, Science and the Secrets of Nature, Books of Secrets in Medevial and Early Modern Culture, Princeton : Princeton University Press, (1994).
[2] Halleux Robert, Les textes alchimiques, Turnhout : Brepols, (1979), 121-128.
[3] Burnett Charles et Hallum Bink (ed.), Ancient and Medieval Alchemy, Special Issue, Ambix 56.1 (2009).
[4] Crisciani Chiara et Pereira Michela, L'arte del Sole et della Luna. Alchimia e filosofia nel medioevo, Spoleto : Centre Italiano di Studi sull'Alto Medioevo (1996).
[5] Pereira Michela, Arcana sapienza. L'alchimia dalle origini a Jung, Roma : Carocci, (2007), 13 ; Principe Lawrence (Hanegraaf dir. 2006), 12-16 (12b-13a) ; Glick Thomas F., Livesey Steven J. et Wallis Faith (dir.), Medieval Science, Technology and Medicine. An Encyclopedia, New York : Routledge Taylor and Francis Group (2005), 19-22 (19a).
[6] Burnett Charles, Arabic into Latin in the Middle Ages: the translators and their intellectual and social context, Farnham : Ashgate/Variorum (2009) ; Aurell Martin, La légende du Roi Arthur, Paris: Perrin (2007).
[7] Newman William R., "What have we learned from the recent historiography of alchemy ?", Isis, 102.2 (2011), 330-7; Martinon-Torres Marcos, "Some recent developments in the historiography of alchemy", Ambix, 58.3 (2011), 215-37.
Antony Vinciguerra