Rezension über:

Thierry Pécout / Geneviève Giordanengo / Gérard Giordanengo: L'enquête générale de Leopardo da Foligno dans la baillie de Digne (septembre - novembre 1332) (= Collection de documents indédits sur l'histoire de France ; Vol. 61), Paris: Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques 2012, CLXXXII + 374 S., ISBN 978-2-7355-0771-9 , EUR 50,00
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Thierry Pécout / Michel Hébert: L'enquête générale de Leopardo da Foligno dans la viguerie de Draguignan (janvier - mars 1333) (= Collection de documents indédits sur l'histoire de France ; Vol. 64), Paris: Éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques 2013, CCVIII + 497 S., ISBN 978-2-7355-0787-0, EUR 50,00
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Rezension von:
Marie Dejoux
Pensionnaire de la Fondation Thiers, Paris
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Marie Dejoux: L'enquête générale de Leopardo da Foligno (Rezension), in: sehepunkte 13 (2013), Nr. 11 [15.11.2013], URL: https://www.sehepunkte.de
/2013/11/23675.html


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L'enquête générale de Leopardo da Foligno

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L'enquête est partout au Moyen Âge central. Procédure d'enregistrement ou de recherche de la vérité par l'examen de témoins, elle s'est diffusée à l'ensemble de l'Occident médiéval, envahissant progressivement tous les champs de l'activité judiciaire, économique, politique et administrative des institutions laïques et ecclésiastiques. Cette généralisation, qui fit de l'enquête un véritable instrument de gouvernement, a justifié, ces quinze dernières années, un véritable regain d'intérêt pour ces sources, désormais considérées comme des objets d'étude en soi. Par la qualité des artefacts documentaires qui y furent conservés et par les renouvellements historiographiques qui y ont été conduits, la Provence angevine apparaît comme un laboratoire privilégié : l'édition des vingt-neuf registres laissés par l'enquête générale menée par Leopardo da Foligno en 1332-1333 est en l'incarnation. Ordonnée par le roi Robert d'Anjou, cette dernière avait vocation à recenser les droits du monarque dans son domaine provençal et à conduire la réformation de ses officiers. Après un premier tome introductif consacré à la Provence orientale, un second à la viguerie de Tarascon et un troisième à la Provence centrale, l'équipe rassemblée autour de Thierry Pécout livre ici les quatrième et cinquième volumes d'une titanesque entreprise d'édition.

La transcription de cette source-fleuve est précieuse à plusieurs égards. D'abord et bien entendu pour la richesse de la source retenue, qui dresse l'état des possessions royales dans l'intégralité de la Provence angevine et partant, jette un éclairage inédit sur cet espace et les sociétés qui l'habitaient à la fin du Moyen Âge. Scientifiquement, l'entreprise est l'occasion de réunir dans une vaste collaboration internationale l'essentiel des spécialistes de la Provence médiévale, du Canada à la Pologne, en passant par les États-Unis : à chacun, ou presque, a été assigné un registre à transcrire et de nombreuses journées d'étude, servant d'aliment à de plus vastes rencontres comme le colloque international «Quand gouverner c'est enquêter» [1], continuent d'accompagner les travaux. Par son ampleur, le projet Léopard apparaît donc comme une entreprise originale et riche dans le paysage de la recherche médiévale contemporaine, mais il vaut également pour la démarche même de l'édition, qui remplit le pari d'être savante et critique, tout en rejoignant les axes de recherche les plus actuels, comme le retour aux sources ou l'archéologie documentaire.

Cet aspect a été confié à Anne Mailloux, archéologue de formation, qui dans chaque volume conduit l'analyse codicologique des artefacts documentaires conservés : les tomes consacrés à Digne et à Draguignan ne font pas exception. Le but de la chercheuse est de parvenir à mettre en évidence les pratiques administratives et leur genèse en montrant comment la série de registres conservés traduit, dans son état actuel, une stratification complexe d'éléments significatifs des différentes étapes de l'enquête. La méthode utilisée est régressive, elle vise à déconstruire systématiquement chaque codex selon les méthodes du décapage archéologique. Anne Mailloux parvient ainsi à mettre en évidence les étapes successives de la fabrication des registres - au fur et à mesure de la progression des enquêteurs sur le terrain - mais aussi, leurs différentes phases d'activité. Pour ce faire, elle étudie conjointement les reliures, les couvertures, le pliage des feuilles de papier, les filigranes, la foliotation, les différentes mains et les mentions marginales des différents registres. Richement illustrées, ses démonstrations permettent à l'édition de ne pas lisser l'aspérité documentaire des originaux : celle-ci devient au contraire un atout au service de l'interprétation de la source et de la compréhension de son élaboration, de ses usages, et partant, de sa signification réelle.

Le risque d'une entreprise éditoriale de ce type pourrait être le manque d'homogénéité de l'ensemble. Ce n'est pas le cas ici. Bien sûr, les introductions laissent apparaître la sensibilité propre à chaque auteur : juridique pour les Giordanengo, sociale pour Michel Hébert. La force du projet réside néanmoins dans la remise d'un formulaire permettant aux éditeurs de normaliser leur production. Chacun d'entre eux fournit ainsi, dans de courtes introductions, une description précise des investigations menées par Leopardo et ses équipes dans la circonscription administrative qui leur a été impartie, dont ils retracent systématiquement la constitution. Viennent ensuite d'utiles précisions sur les enquêtés et sur les types de redevances et de droits comtaux que les enquêteurs étaient chargés de lister. Ces quelques pages liminaires ne se bornent pas à poser le cadre politique et administratif de chaque espace visité ou à en expliciter les particularités ; elles constituent une première exploitation économique, politique et sociale de la documentation. Des cartes et une bibliographie régionale facilitent enfin l'entrée dans la source. En revanche, le lecteur soucieux de comprendre les tenants et les aboutissants de l'enquête générale et d'obtenir de plus amples informations sur le gouvernement par l'enquête qui s'y incarne, devra retourner au premier tome de la collection. [2] Ce dernier offrait une véritable réflexion sur l'essence du pouvoir monarchique au Moyen Âge, fait de négociation permanente, d'introspection et de retour sur ses fondements indispensables à sa légitimation.

L'intérêt que présente l'édition de ce monument de papier pour la communauté historienne laisse donc espérer que les livraisons futures permettront de mener le projet à son terme.


Notes:

[1] Thierry Pécout (éd.): Quand gouverner c'est enquêter : les pratiques politiques de l'enquête princière, Occident, XIIIe-XIVe siècles, Paris 2010

[2] Thierry Pécout (dir.)/ Germain Butaud / Marc Bouiron / Philippe Jansen / Alain Venturini (éd.): L'enquête générale de Leopardo da Foligno en Provence orientale (avril-juin 1333), Paris 2008.

Marie Dejoux