Mark Hebblewhite: The Emperor and the Army in the Later Roman Empire, AD 235-395, London / New York: Routledge 2017, XVI + 240 S., 20 s/w-Abb., ISBN 978-1-4724-5759-2, GBP 105,00
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Les spécialistes d'histoire romaine militaire savent que leur discipline intéresse toutes les autres: politique, économie, société, culture, religion, etc. Mark Hebblewhite a choisi de centrer son étude (une thèse de doctorat) sur la politique, les liens entre l'empereur et son armée, dans une période donnée bien délimitée, les années 235 à 395. La première constatation du lecteur averti est qu'il poursuit l'œuvre jadis entreprise par J.B. Campbell (The Emperor and the Roman Army 31 BC-AD 235. Oxford: 1984 Clarendon Press), et il ne s'en cache pas; il le déclare dès l'introduction. Cette option conduit le lecteur à se poser deux questions.1/ Quelle continuité y a-t-il eu avec la période qui va d'Auguste à 235? 2/ Y a-t-il eu une ou des ruptures dans les années 235-395?
Nous pensons que, sous le Principat, la vie politique était animée par quatre forces, l'empereur, le Sénat, le peuple romain et l'armée; cette dernière était divisée entre prétoriens, vivant dans la capitale, et légionnaires, combattant aux frontières. Campbell avait relevé les principaux liens qui unissaient le prince et les militaires: le serment prêté par les soldats, les discours prononcés par le chef de l'État, les titres honorifiques et les récompenses, notamment les privilèges octroyés par la loi. Il avait montré les interventions de l'armée dans la vie politique, finalement rares et modestes en-dehors des épisodes de guerre civile.
Hebblewhite fonde son enquête surtout sur les textes (traduits) et la numismatique; il recourt, mais peu, aux inscriptions, aux papyrus et à l'archéologie. Les documents qu'il a étudiés lui permettent de soutenir une thèse audacieuse: l'armée romaine est fondamentalement politique. Il ajoute que, dans la période considérée, la place du Sénat se restreint, alors que celle qui est impartie à l'empereur et à l'armée s'étend. Certes, mais la raison d'être du soldat est de combattre. Jadis, Clausewitz avait rappelé une simple évidence: quel que soit le régime, le pouvoir politique utilise d'abord la diplomatie, et il ne recourt aux militaires que dans le cas où les ambassadeurs échouent.
À partir de la crise du IIIe siècle, ce fut l'armée qui désigna l'empereur, de manière plus ou moins directe. Pour consolider cet appui, les souverains cherchaient de plus en plus à séduire les soldats, par exemple en les appelant «compagnons d'armes», commilitones. Mais ce soutien ne durait qu'aussi longtemps que l'empereur était imperator, c'est-à-dire victorieux. Pour faire connaître son programme, le pouvoir disposait notamment des monnaies (légendes et iconographie) où il vantait la "VIRTVS" et la "VICTORIA". Sous la République, la virtus était le dévouement à l'État, qui caractérisait le vir, «l'homme» au sens masculin du terme. Dans la période considérée, le mot a changé de sens; il désigne le courage de diriger, de commander les armées au combat. Il implique que celui qui possède cette qualité remporte des succès sur les ennemis. Des titulatures plus complexes ont été en usage au IVe siècle; elles sont plus visibles à partir des inscriptions qu'à partir des monnaies. Et les titres de victoires y sont plus importants.
L'empereur ne doit pas seulement procurer des victoires aux soldats. Il doit aussi leur donner les praemia militiae, expression qui désigne l'argent versé. Elle recouvre le stipendium, la solde, qui perd de l'importance au profit des donativa, les distributions moins régulières. Le souverain a également l'obligation d'assurer le bon fonctionnement de l'annone militaire (sur cette notion, voir, outre Remesal Rodríguez, cité dans la bibliographie, Tchernia A., L'arrivée de l'huile de Bétique sur le limes de Germanie, Mélanges offerts à Bernard Liou, 2002, Montagnac, 319-324). L'argent renforce la discipline, scelle l'amitié entre l'empereur et ses soldats ; il fonde les liens et la loyauté. Par la suite, l'extension de la bienveillance de l'État s'étendit aux familles et enfin aux barbares, à travers la publication de lois.
Les cérémonies montrent une interaction. L'acclamatio de l'empereur par les soldats prouve qu'il a mérité son pouvoir; elle vaut légitimation. L'adlocutio (le discours) et le sacramentum (serment) scellent davantage ces liens. C'est au cours de ces cérémonies que les soldats accordent leur fides à leur chef. Déjà employé plus haut, ce mot de fides demande à être explicité. Il a un nouveau sens; il ne désigne plus «ce qui est convenable», «le comportement qu'il faut avoir»; il s'applique à la fidélité des hommes vis-à-vis de leur chef. Plusieurs thèmes sont alors étudiés: signa (les enseignes), imagines (les portraits impériaux), virtus et gloria. Et l'empereur accorde des épithètes honorifiques et fait frapper des monnaies qui mentionnent les unités les plus méritantes, ou qui louent l'ensemble de l'armée.
La conclusion résume très bien un propos tout-à-fait intéressant; le livre de Campbell est bien complété. Ainsi, la continuité a existé. Des changements importants, du moins à notre avis, sont aussi perceptibles. 1/ Au cours du IIIe siècle, les guerres ont conduit les empereurs, accompagnés par les prétoriens, à vivre loin de Rome. De ce fait, les soldats ont été moins divisés politiquement et, dans le même temps, le rôle du Sénat a fortement décliné. 2/ Au IVe siècle, les sénateurs ne s'occupaient plus de l'armée (en fait, ils en étaient détournés depuis la pseudo-réforme de Gallien: notre article, Gallien et l'encadrement sénatorial de l'armée romaine, RÉMA, 1, 2004, 123-132). Les carrières civiles et militaires étaient alors complètement séparées.
Au total, nous pensons que ce livre aura sa place dans toutes les bibliothèques bien composées.
Yann Le Bohec