Fabio Barry: Painting in Stone. Architecture and the Poetics of Marble from Antiquity to the Enlightenment, New Haven / London: Yale University Press 2020, IX + 438 S., ISBN 978-0-300-24816-6, USD 65,00
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Avec la publication de cet ouvrage, fruit de près de trente années de recherches sur le sujet, Fabio Barry dresse un portrait du marbre comme médium artistique à travers les âges d'une richesse sans précédent. Même si le livre se concentre essentiellement sur les emplois du marbre dans l'architecture autour de la méditerranée, l'ampleur du champ chronologique et géographique abordé est, en effet, impressionnante, puisqu'il s'étend sur près de cinq mille ans et se déploie de la Mésopotamie à l'Égypte, de Rome à Byzance, en passant par la Grèce et l'Espagne. Matériau de choix pour l'histoire des arts en Occident, le marbre, tout comme les pierres décoratives, a depuis toujours été associé à l'antiquité grecque et romaine, évoquant avant tout splendeur et magnificence. Or, comme le rappelle cet ouvrage important, au fil des siècles le marbre a été employé dans l'architecture et la décoration de manière très variée, favorisant un intense dialogue entre les arts et se trouvant au cœur de nombreuses réflexions aussi bien religieuses que métaphysiques.
Depuis les travaux fondateurs de Raniero Gnoli, auteur du mémorable Marmora Romana (1971), les historiens de l'art et de l'architecture ont examiné le matériau sous différents angles, aussi bien techniques que de nature plus socio-culturelle, symbolique ou esthétique. Ces dernières années ont vu un intérêt croissant pour le sujet, comme en témoigne la parution de Radical Marble: Architectural Innovation from Antiquity to the Present (2018) sous la direction de John Nicholas Napoli et William Tronzo, ou I Colori del Marmo (2019) sous la direction de Christiano Giometti et Cinzia M. Sicca. Le volume Aesthetics of Marble: From Late Antiquity to the Present (2021), sous la direction de Dario Gamboni, Gerhard Wolf et Jessica N. Richardson, a attiré l'attention sur l'importance du marbre pour l'histoire et la théorie des arts visuels, en soulignant les qualités polyvalentes du matériau et son pouvoir expressif en tant que médiateur entre iconicité et aniconisme, entre structure et ornementation - une voie dans laquelle s'était déjà engagé Georges Didi-Huberman, en soulignant en 1990 le potentiel iconique du marbre feint. [1]
Plutôt que de considérer les aspects socio-culturels ou techniques des emplois du marbre, ce qui intéresse Barry est le matériau en tant que médium artistique, comme "modèle pour l'histoire de l'imagination". (1) Le marbre est ainsi abordé aussi bien dans ses emplois dans l'architecture que dans ses évocations dans la culture matérielle ou en peinture murale, une ambiguïté qui est annoncée dans le titre même de l'ouvrage, qui se réfère à la fois à la peinture et à l'architecture. Prenant appui sur la notion d'" imagination matérielle" formulée par le philosophe français Gaston Bachelard, Barrry examine la conception prémoderne et métaphysique du marbre, articulée autour de la tradition des quatre éléments. Cette approche fait l'originalité de l'ouvrage qui, du point de vue de la méthodologie, se fonde ainsi essentiellement sur l'analyse des discours littéraires et poétiques suscités par la vue du marbre et des pierres décoratives à travers les siècles. Dès lors, dans les douze chapitres qui composent le livre, le marbre est abordé comme objet poétique et symbolique, ce qui permet à l'auteur de traiter d'époques et de contextes très hétérogènes à travers une narration compacte et régulière. Ainsi, comme l'indique d'ailleurs le titre, l'ouvrage constitue plus un magistral essai théorique qu'une contribution historique à l'étude du marbre dans l'architecture et la décoration à travers les âges.
Les chapitres suivent un ordre à la fois thématique et chronologique, à partir des métaphores célestes suscitées par les qualités "marbrées" des pierres artificielles dans l'antiquité mésopotamienne (chap. 1) jusqu'aux questions d'intermédialité mises en scène dans l'art baroque (chap. 12), en passant par les propriétés de transparence et luminosité du marbre blanc (chap. 2) ou les facultés transformatives du marbre comme un matériau vivant selon les conceptions prémodernes de la géologie (chap. 3). Une attention particulière est dédiée à Hagia Sophia (chap. 8) et à la discussion de ses pavements de marbre du Proconnèse qui ont souvent été perçus comme une métaphore maritime, ou encore aux décors muraux qui présentent des agencements symétriques, notamment en book-matching. L'érudition de l'auteur dans la discussion des sources littéraires est complétée par une observation rapprochée des œuvres, et par des commentaires illuminant les propriétés matérielles du marbre, appuyés sur un corpus photographique de qualité.
Ce brillant récit s'achève avec les Lumières et le développement de la géologie et des sciences naturelles modernes. Prennent alors fin, selon l'auteur, les valeurs associatives et métaphysiques du marbre et toute une poétique millénaire qui se dilue dans une nouvelle vision du monde, dominée par le positivisme et l'esthétique industrielle. Des rapprochements sont cependant continuellement établis entre les périodes anciennes et l'ère contemporaine. La réflexion autour des propriétés lumineuses du marbre, qui ont favorisé son emploi pour les toitures dans la Grèce antique, conduit ainsi au plafond du mémorial d'Abraham Lincoln à Washington D.C. (1914-1922), pour lequel les architectes Henry Bacon et Daniel Chester French employèrent de fins panneaux de marbre de l'Alabama, recouverts de cire et de paraffine, ou encore à l'installation de Richard Wilson, 20 :50 (2018) à la Hayward Gallery de Londres. De même, les effets de perception atmosphérique dans Hagia Sofia sont l'occasion d'évoquer l'installation The Weather Project (2003) de l'artiste Olafur Eliasson à la Tate Modern de Londres. Ces passerelles dressées entre les siècles constituent l'un des attraits de cet ouvrage, qui offre une nouvelle et originale histoire du marbre en tant qu'objet poétique et métaphysique, mettant en lumière le matériau et sa place centrale dans l'imaginaire collectif occidental.
Note :
[1] Georges Didi-Huberman: Fra Angelico. Dissemblance et figuration, Paris 1990. Dans une perspective similaire, mentionnons également : Isabella Augart / Maurice Saß / Iris Wenderholm (dir.) : Steinformen. Materialität, Qualität, Imitation, Berlin / Boston 2019 ; Iris Wenderholm / Isabella Augart (dir.) : Stein. Eine Materialgeschichte in Quellen der Vormoderne, Berlin / Boston 2021.
Ariane Varela Braga