Kimberley Czajkowski / Benedikt Eckhardt: Herod in History. Nicolaus of Damascus and the Augustan Context, Oxford: Oxford University Press 2021, 208 S., ISBN 978-0-19-284521-4, GBP 65,00
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Benedikt Eckhardt: Ethnos und Herrschaft. Politische Figurationen judäischer Identität von Antiochos III. bis Herodes I., Berlin: De Gruyter 2013
Benedikt Eckhardt (ed.): Jewish Identity and Politics between the Maccabees and Bar Kokhba. Groups, Normativity, and Rituals, Leiden / Boston: Brill 2012
Benedikt Eckhardt: Romanisierung und Verbrüderung. Das Vereinswesen im Römischen Reich, Berlin: De Gruyter 2021
Comment Flavius-Josèphe travaillait-il ? Quelles étaient ses sources et comment les utilisait-il ? Était-il un véritable auteur ou un simple compilateur ? À ces questions, les réponses les plus diverses ont été proposées à ce jour. La voie empruntée par Kimberley Czajkowski et Benedikt Eckhardt est médiane : l'historien antique aurait été à la fois un compilateur et un auteur, en ce qu'il retravaillait ses sources pour soutenir son propre projet rédactionnel. Les deux spécialistes pensent même qu'un certain nombre de tensions dans l'œuvre joséphienne peuvent s'expliquer ainsi. À partir de ces indices, ils tentent de reconstruire à la fois le projet de Nicolas de Damas, principale source de Josèphe, et ce que les modifications apportées par ce dernier peuvent nous apprendre sur ses objectifs en tant qu'auteur.
On imagine souvent Josèphe partagé entre deux extrêmes. D'un côté, il suivrait l'œuvre propagandiste de Nicolas, de l'autre, une source contradictoire, hostile au roi. Les deux spécialistes, ayant constaté que Nicolas semblerait avoir rédigé une bonne partie de son œuvre après la mort d'Hérode, proposent que le Damascène n'ait pas été un simple propagandiste. Ils le replacent dans le contexte de la cour impériale au temps d'Auguste : philosophe installé à Rome, ancien conseiller du roi Hérode dont la réputation devait être très mauvaise, Nicolas se serait mis à l'écriture afin de justifier son propre rôle, non de magnifier Hérode. Son œuvre montrerait ainsi que même un bon roi, malgré de bons conseillers, peut échouer. La faute en serait à trouver du côté du peuple juif, trop difficile à gouverner, inadapté au monde nouveau du temps d'Auguste. "Yes, these people complained about Herod, but their complaints should be dismissed because they were an unruly people, impossible to govern in line with the standards of an Augustan world" (162).
Flavius Josèphe, à l'époque flavienne, aurait remployé cette source dans un tout autre objectif ; il aurait fait d'Hérode le "méchant" de l'histoire, changé l'opposition politique en martyrologie, soutenu toutes les résistances au monde augustéen comme des défenses des lois ancestrales des Juifs, etc. Josèphe aurait donc créé cet Hérode cruel passé à la postérité, et les tensions dans son œuvre s'expliqueraient par sa réécriture parfois maladroite de Nicolas, non par une mauvaise compilation de deux ouvrages antérieurs. Et pour quel motif ? Afin de lutter contre l'idée même que les Juifs sont inassimilables dans le monde romain, à l'époque où leur statut se trouve remis en cause à cause de leur soulèvement.
Ce sont plusieurs aspects du règne hérodien qui sont ainsi passés en revue. Premièrement, l'accession au trône du jeune roi (25-49). Il semble avoir été un modèle de "virtuous usurper" chez Nicolas, selon un schéma historique cher au Damascène, opposant ce type de personnage à des monarques incapables ne régnant que par leur lignage et non leurs compétences. Josèphe aurait fait de cet "outsider" un étranger indigne à ce titre de régner sur le peuple juif.
Puis les auteurs montrent combien le roi investit d'efforts et d'argent pour le bien de ses sujets (51-72). Il répond aux critères de son temps en se révélant très dépensier et ses réseaux hors de Judée sont exploités dans l'intérêt de ses sujets, notamment à l'occasion de la famine qui touche la région en l'année 25/24 avant notre ère. Ce roi idéal, chez Nicolas, devient un impie chez Josèphe, qui épuise à destination des étrangers les richesses de son royaume ; qui agit, non tant dans l'intérêt de ses sujets, que pour se protéger de son peuple.
Ce roi idéal est également présenté par Nicolas comme un libérateur (73-94). Sa déférence à l'égard des Romains ne serait pas à comprendre comme un signe de soumission mais, au contraire, comme son mode d'action pour obtenir l'amicitia romaine et, par ce biais, le respect des lois ancestrales des Juifs. Mais dans son contexte flavien, Josèphe ne pouvait affirmer que Rome constituait un problème pour la population juive : il aurait alors fait d'Hérode le problème afin d'expliquer les causes lointaines de la guerre.
Si les déboires familiaux d'Hérode donnent la matière à deux chapitres entiers (Hérode comme époux 95-114 puis comme père 115-138), c'est parce qu'ils sont largement développés dans les sources. Si l'histoire devient, chez Josèphe, le récit d'une folie sanglante d'un roi devenu paranoïaque, elle semblerait avoir été bien différente chez Nicolas. Les deux historiens pensent voir dans la mise à mort de Mariamne une dernière lutte entre le modèle du lignage, représenté par l'Hasmonéenne, et celui de la vertu, représenté par Hérode. Manipulé par les siens, "Herod became the tragic hero of the love story, at the mercy of his emotion" (113). Nicolas arrive à la cour à cette époque, "to fill the role of the much-needed wise adviser to an easily influenced, romantically inclined king" (114). Et face au complot de ses fils, le roi n'avait pas le choix, il devait les condamner. Nicolas est particulièrement actif dans son rôle de justicier, au point de devenir plus important que le roi lui-même. Celui-ci s'avère aussi modéré quand il est bien conseillé que tyrannique en l'absence de Nicolas.
Enfin, le conflit opposant Hérode à son peuple retient l'attention dans un dernier chapitre (139-163). Les deux spécialistes démontrent comment un lecteur romain d'époque augustéenne pouvait lire une série de désordres agitant la Judée à cette époque. Les opposants semblent pris de folie, irrationnels, parfois contradictoires, souvent grossièrement ignorants des coutumes les plus ordinaires du monde romain, toujours hostiles à l'ordre en place. Les répressions hérodiennes semblent alors raisonnables. Mais à partir de ce matériau, Josèphe a produit l'histoire d'un roi sanguinaire menaçant les traditions ancestrales d'un peuple pieux jusqu'au martyr.
La mort d'Hérode, particulièrement douloureuse, devient le prétexte à un épilogue sur le devenir de l'image du roi (165-173). Nicolas peut-il avoir fait mourir son Hérode de cette façon ? Car il est évident que Josèphe a souhaité cette fin comme le signe d'un châtiment divin à l'encontre de l'impie. Les auteurs pensent que cela a pu être le cas, puisque le roi a fini par sombrer dans la tyrannie, mais ils concèdent que cela demeure très incertain.
Cette double lecture d'un certain nombre d'épisodes de la vie du roi ne manque pas d'intérêt. Remettre en contexte augustéen les crises qui ont secoué le règne d'Hérode et replacer dans la culture gréco-romaine l'œuvre du Damascène devenue la principale source de Josèphe, cela semble, au bout du compte, très convaincant. Faire de Nicolas, plutôt qu'un propagandiste du roi, une sorte de proto-Josèphe, si l'on peut dire, un auteur devant à la cour impériale justifier ses actions en Judée, est stimulant. Avec ces réflexions, les auteurs proposent une véritable histoire d'Hérode comme personnage littéraire plutôt qu'historique, permettant de mettre en évidence les points de vue de deux auteurs anciens différents et de montrer comment travaillait Josèphe. C'est une contribution originale et bienvenue à la recherche du « Hérode historique », s'il est permis d'employer cette expression.
Michaël Girardin