Pavlína Cermanová / Václav Žůrek (eds.): Books of Knowledge in Late Medieval Europe. Circulation and Reception of Popular Texts (= Utrecht Studies in Medieval Literacy; 52), Turnhout: Brepols 2021, XIII + 376 S., 22 s/w-Abb., eine Tbl., ISBN 978-2-503-59463-7, EUR 100,00
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Katherine L. French: Household Goods and Good Households in Late Medieval London. Consumption and Domesticity After the Plague, Philadelphia, PA: University of Pennsylvania Press 2021
Fiona J. Griffiths / Julie Hotchin (eds.): Partners in Spirit. Women, Men, and Religious Life in Germany, 1100-1500, Turnhout: Brepols 2014
Jean-Louis Biget (Hg.): Inquisition et société en pays d'oc (XIIIe et XIVe siècles), Toulouse: Editions Privat 2014
Fruit d'un travail de recherche axé autour de la circulation de connaissances en terres tchèques à la fin du Moyen Âge, ce recueil de treize études se situe à la croisée de l'histoire culturelle et de la codicologie et entend éclairer le processus d'apprentissage au Moyen Âge à partir de la notion de « livre de savoir » (book of knowledge). Bien que le propos se concentre tout particulièrement sur la Bohême du XIIIe au XVe siècle, la réflexion cherche à s'élargir en questionnant plus globalement la transmission des connaissances de l'Occident médiéval par le medium de textes célèbres.
Déjà débattue lors de la conférence « Books of Knowledge and their Reception » (18-20 octobre 2018) tenue à Prague, la notion de livre de savoir est de nouveau interrogée par Pavlína Cermanová et Václav Žůrek dans l'introduction (1-9), puis mise à l'épreuve méthodiquement dans la contribution de Steven J. Williams (11-33). Elle inclut tout livre dont l'intention de l'auteur est de partager des connaissances, ou bien, tout livre reçu par son lecteur comme étant un vecteur de connaissances. Bien qu'imprécise, cette définition présente toutefois l'avantage de ne pas réduire les livres de savoir à des catégories littéraires restreintes. Elle englobe aussi bien les ouvrages de sciences naturelles que les manuels politiques et ne se limite pas aux seuls encyclopédies et compendia. Par ailleurs, elle focalise l'attention moins sur le savoir transmis lui-même que sur les dynamiques de circulation des connaissances entre différents acteurs (auteur, scribe, traducteur, lecteur, commanditaire) grâce aux textes et aux livres de manière à in fine mieux cerner les enjeux de ces dernières.
Naturellement, les modalités de rédaction des livres de savoir occupent une place de choix dans l'analyse de la diffusion des connaissances. Ainsi Julia Burkhardt (33-57) et Václav Žůrek (59-83) mettent en lumière toute l'habileté de composition de Thomas de Cantimpré pour l'une et de Jacques de Cessole pour l'autre. Les deux auteurs des XIIIe et XIVe siècles sont capables de combiner exempla, allégories et considérations religieuses selon différentes grilles de lecture de façon à favoriser l'accès à la connaissance à un auditoire dépassant le seul milieu ecclésiastique C'est aussi ce que parviennent à établir Pavel Blažek et Barbora Řezníčková (85-135) : selon eux, l'auteur anonyme du Epistola de cura rei familiaris choisit le genre épistolaire pour mettre à la portée d'un lectorat élargi des conseils de gestion domestique. Pareillement pour Dana Stehlíková (275-297) qui décrit comment grâce aux adaptations de différents herbiers d'un haut degré de sophistication dans le propos et l'organisation, l'astronome Christian de Prachatice, produit à terme son propre Herbarium maniable et compréhensible. Nadine Holzmeier (203-227) déplace la question sur la mise en page des textes pour souligner l'intelligence du franciscain Paulin de Venise qui structurait ses chroniques de telle sorte qu'il pouvait rendre compte simultanément de connaissances politiques et culturelles grâce à un judicieux système de colonnes incorporant des vignettes de figures historiques.
En toute logique, la place et le rôle du public sont également examinées. Les traductions, les adaptations de textes, leurs citations sélectives attestent de la vigueur intellectuelle des lecteurs dans leur appréhension des connaissances par les livres, comme le démontre Pavlína Cermanová (331-359) pour les commentaires du Secretum secretorum du pseudo-Aristote, ouvrage majeur dans les programmes d'enseignement des cercles universitaires et érudits de l'Europe centrale des XIVe et XVe siècles. De fait, les dynamiques d'appropriation sont complexes. Ainsi, Gleb Schmidt (137-163) explique comment le célèbre Elucidarium d'Honoré d'Autun a été remanié par ses différents lecteurs au cours du XIIIe siècle pour devenir sur le long terme un outil de travail lisible et aisément manipulable, dépassant l'intention originelle de son auteur. Cette analyse est confirmée par celle de Jaroslav Svátek (165-182) qui, pour le même texte, met en évidence les étapes de sa réécriture pour déboucher aux XIVe et XVe siècles sur un texte moins dogmatique. En sus de ces trajectoires de livres de savoir, Lukáš Lička (299-329) propose de retracer le parcours du quadrivium du médecin Reimbotus de Castro grâce à de rares manuscrits de textes de sciences optiques ou perspectiva, témoins des étapes de son apprentissage des sciences optiques. En effet, celui-ci ne recopie pas simplement les connaissances qu'il souhaite acquérir, mais opère une sélection en modulant sa transcription, tantôt en abrégeant certains éléments, tantôt en en développant d'autres.
Le rayonnement des manuscrits n'est pas oublié et permet de cerner plus finement la dissémination des connaissances. Lucie Doležalová (183-202) montre ainsi que les livres de savoir qui circulent ne le doivent pas uniquement à la popularité de leur sujet ou de leur auteur, mais également à la volonté des commanditaires qui, en fonction de leur propre centre d'intérêt, veillent à la transmission d'œuvres précises, comme en témoigne le cas du De tribus punctis christianae religionis de Thomas d'Irlande qui a été largement distribué en terres tchèques moins pour le contenu théologique du traité qu'en raison des efforts déployés par l'archevêque de Prague, Ernest de Pardubice (1297-1364), érudit et conseiller de l'empereur Charles IV, qui souhaitait que chaque paroisse en ait une copie pour exposer simplement les dogmes catholiques. Cette piste de réflexion est complétée par une autre portant sur la composition des codices qui joue également un rôle clé dans la transmission des connaissances, ainsi que l'illustrent les analyses de Baudouin van der Abeele (247-274) avec le bestiaire Physiologus Theobaldi et de Vojtěch Bažant (229-266) à propos d'un codex associant au Chronicon Pontificum et imperatorum de Martin d'Opava d'autres textes traitant de l'Église primitive, faisant ainsi du manuscrit un ensemble unitaire abordant des questions religieuses particulièrement vives dans le contexte du mouvement hussite du XIVe siècle.
Si les contributions sont très riches et pour la plupart accompagnées de documents iconographiques, notamment des reproductions de manuscrits, on regrettera cependant de ne pas trouver davantage de cohérence d'ensemble à la lecture du volume. En effet, les contributions brassent simultanément plusieurs problématiques, rendant leur classement difficile comme on peut le percevoir à travers les difficultés qu'éprouvent les éditeurs à présenter les différentes études dans leur introduction (1-9), mais aussi dans l'absence de parties distinctes dans l'ouvrage et dans la table des matières (V-VI) ou même de conclusion. Par ailleurs, le volume ne comprend ni bibliographie synthétique ni bibliographie par contribution, mais dispose d'un index des noms et des œuvres (361-371) et d'un index des manuscrits (372-376) - alors même que la contribution de P. Blažek et B. Řezníčková présente des annexes.
Ces quelques réserves ne doivent cependant pas venir ternir l'originalité du projet de recherche qui ouvre des perspectives intéressantes sur la question de la diffusion des connaissances, en mettant en exergue combien l'écrit a été un outil de savoir majeur dans une société que l'on a longtemps pensée comme dominée par l'oralité d'une part et d'autre part combien le livre de savoir a pu être intelligible à un public plus ouvert que celui restrictif des seuls érudits.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle