André Heller: Kommentar zur Vita Alexandri Severi der Historia Augusta (= Antiquitas. Reihe 4: Beiträge zur Historia-Augusta-Forschung. Serie 3: Kommentare; Bd. 6), Bonn: Verlag Dr. Rudolf Habelt 2022, LXIII + 567 S., ISBN 978-3-7749-4233-2, EUR 139,00
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Avec ce livre, la série des commentaires des Vies de l'Histoire Auguste dans la collection Antiquitas IV 3 s'enrichit d'un sixième volume. Vie centrale du recueil, la Vie d'Alexandre Sévère en est aussi la plus longue (55 pages dans l'édition de Hohl) et exprime, plus que toute autre, la conception de l'auteur sur ce que doit être le prince idéal. Son commentaire était donc particulièrement attendu. D'une structure analogue à celle des autres commentaires de la collection, elle commence par une longue introduction de 110 pages (1-110), divisée en cinq parties, rubriquées par les lettres A à E. Vient ensuite le commentaire linéaire (111-552) de chaque chapitre, chaque phrase ou membre de phrase commenté étant rubriqué par la lettre K (K1-K 559). Il est donc aisé de se repérer dans le volume. Si la structure ne laisse rien à désirer, le texte est fort compact. En effet, les références bibliographiques et autres entre parenthèses alourdissent et rendent difficile la lecture d'un contenu déjà très dense sans elles. Peut-être une mise en page avec notes en fin de chapitre aurait-elle allégé l'ensemble.
L'introduction commence par une description de l'Histoire Auguste et un état synthétique de la recherche (A). Les questions cruciales de la date et de l'auteur sont abordées (B). Ainsi, après avoir examiné les différentes thèses de ses prédécesseurs et relevé les indications chronologiques présentes dans la Vie d'Alexandre Sévère, A. Heller conclut à une datation de l'œuvre autour de 400. Cette datation fait l'objet d'un large consensus dans la recherche actuelle. Sur l'auteur du recueil en revanche, il ne prend pas position, mais fournit un aperçu des nombreuses hypothèses et thèses formulées. À lire ce chapitre, il apparaît combien il serait temps d'arrêter de spéculer sur le nom d'un auteur qui a magnifiquement réussi à se cacher derrière six pseudonymes. Savoir qu'il évolue selon toute probabilité dans les milieux sénatoriaux de la fin du quatrième siècle ou du début du cinquième devrait suffire et permettre d'éviter les dialogues de sourds (23). Sauf à découvrir de nouveaux documents, aucune certitude ne peut exister.
Les rubriques C à E traitent plus particulièrement de la Vie d'Alexandre Sévère. Ce portrait de l'empereur idéal d'après les conceptions de l'Histoire Auguste a très peu à voir avec les données historiques du règne de Sévère Alexandre, qui ne représentent qu'une partie infime de la biographie (1/50e d'après Barnes). Presque contemporain du discours de Synésios de Cyrène sur la royauté, dédié à Arcadius, il en reprend quasiment les thèmes (27).
Les sources et les modèles de la Vie font l'objet d'une étude minutieuse (D), de même que les origines et le règne de Sévère Alexandre (E). Listées par ordre alphabétique, les sources, même probablement fictives, font l'objet d'une enquête. A. Heller fait remarquer à juste titre que le fait qu'une source ne soit citée que par l'Histoire Auguste n'en fait pas per se une source fictive. À titre d'exemple, l'existence sous Sevère Alexandre d'un chevalier du nom de Q. Gargilius Martialis, cité en 37, 9 à propos de la table de l'empereur et très probablement identique à l'auteur, entre autres, d'un traité Medicinae ex oleribus et pomis rend plausible son utilisation par l'Histoire Auguste, que ce soit de première ou de seconde main (42). Quant à Marius Maximus, dont l'existence en tant que source de l'Histoire Auguste est fort controversée par une partie de la recherche, son rejet pose plus de problèmes qu'il n'en résout. En l'absence d'alternative, il vaut mieux dès lors l'accepter comme source des données valables dans les Hauptviten (45). Ce ne sont là que deux exemples d'une enquête critique bien menée et argumentée sur les sources citées dans la Vie d'Alexandre Sévère. Il en va de même des modèles littéraires et historiques (D4 et D5).
Après cette substantielle introduction vient le commentaire proprement dit. Chaque chapitre, traité selon le même schéma, fait l'objet d'un résumé, d'une mention des parallèles, sources et modèles, suivis du commentaire proprement dit (K). L'ensemble est équilibré et le lecteur trouve ce qu'il cherche. Les commentaires philologiques et historiques s'éclairent et se complètent mutuellement. Tout en présentant les différentes thèses en présence concernant le passage commenté, A. Heller n'hésite pas à prendre position, de manière ferme ou nuancée, en fonction de l'état des connaissances actuelles. On en trouvera ci-dessous quelques exemples.
L'un des omina imperii d'Alexandre Sévère, l'étrange Te manet imperium caeli terraeque [...] Te manet imperium quod tenet imperium (14, 4) [K 99], décrit comme 'nicht besonders kunstfertigen Verse' est analysé dans sa structure (caeli terraeque associé à imperium sans parallèle dans la littérature latine classique, rejet d'une conjecture de Casaubon qui voulait en faire un hexamètre). Il est ensuite mis en lien, à la suite de Straub, avec des parallèles dans le Nouveau Testament. La question subséquente de la connaissance qu'avait l'auteur de la Bible et de la littérature chrétienne, considérée comme profonde par Paschoud, est exposée de manière à éviter de tirer hâtivement des conclusions. Pour plausibles qu'elles soient, les réponses aux questions n'en sont pas pour autant des certitudes absolues ('Trifft dieser Zusammenhang zu' à propos des thèses de Straub, suivi de 'Ob aus diesen Kentnissen der biblischen Texte auch gefolgert werden kann ...' à propos de l'hypothèse de Paschoud). Ce sens de la nuance devrait inspirer la recherche sur l'Histoire Auguste, prompte à bâtir des châteaux de cartes sur des sables mouvants.
À propos de la présence d'Apollonios de Tyane dans le laraire d'Alexandre Sévère (29, 6), A. Heller expose de manière complète et instructive le rôle joué par ce philosophe néopythagoricien aux IIIe et IVe siècles. Que sa présence dans le laraire d'Alexandre Sévère soit signe de syncrétisme ou d'ouverture de la religion romaine au judaïsme et au christianisme, c'est en tant que forme de transcendance entre l'homme et Dieu, et non dans le cadre d'une polémique antichrétienne, qu'Apollonios est représenté. Un rôle analogue est tenu par le favori d'Hadrien Antinoos, dont le culte est attesté jusqu'à son interdiction en 391/392. Cette perspective atténue fortement l'invraisemblance de la description du laraire.
Plus énigmatique encore est l'affaire du fumi venditor Verconius Turinus aux chapitres 35 et 36 [K 278-284]. Le nom de ce personnage emblématique du fonctionnaire corrompu, qui monnaie l'influence acquise par sa proximité avec l'empereur, est difficile à définir. L'habileté avec laquelle l'auteur de l'Histoire Auguste fabrique des noms à partir de nomenclatures existantes renvoie l'origine du nom Verconius Turinus au champ des langues celtiques. La question est dès lors posée par A. Heller de savoir pourquoi l'auteur en est arrivé à fabriquer un nom totalement inhabituel à partir d'un gentilice et d'un cognomen aussi rares. Il en conclut que Verconius Turinus pourrait bien avoir existé, que ce soit à l'époque de Sévère Alexandre ou à celle de la rédaction de l'Histoire Auguste (335). Quelle que soit l'étrangeté de ce nom, on trouve quand même dans les inscriptions quelques Verconii et quelques Turinni. Tout est possible dans l'Histoire Auguste, mais il est dans ce cas difficile d'admettre l'existence d'un personnage non attesté par ailleurs.
Ce ne sont là que quelques exemples, mais ils montrent que, par l'examen méthodique et systématique des positions de la recherche ainsi que par ses interprétations critiques et nuancées du texte de la Vie d'Alexandre Sévère, A. Heller livre un ouvrage incontournable qui contribue à éclairer la Vie centrale d'un recueil aux multiples énigmes.
Cécile Bertrand-Dagenbach