Guido Faba: Gemma purpurea. Edizione critica a cura di Michele Vescovo (= Edizione Nazionale dei Testi Mediolatini d'Italia; 63), Firenze: SISMEL. Edizioni del Galluzzo 2022, XI + 231 S., ISBN 978-88-9290-153-7, EUR 58,00
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Paru dans la prestigieuse collection Edizione Nazionale dei Testi mediolatini d'Italia, ce livre présente, contextualise et édite la Gemma purpurea, petit traité d'ars dictaminis (art de la rhétorique épistolaire) composé par le fameux maître bolonais Guido Faba vers 1237-1239. Le traité lui-même, édité p. 179-201, est court, et ne fait pas partie des œuvres majeures de Guido, l'un des trois grands maîtres de la rhétorique bolonaise du début du treizième siècle avec Bene de Florence et Boncompagno da Signa.
Après un prologue mettant métaphoriquement en scène le rôle du maître, extrayant la science rhétorique du palais de philosophie, il se concentre dans une première partie sur un choix d'adjectifs associés à différentes dignités ou parties de la société (le pape, les lettrés, l'empereur, les rois et reines, les soldats et nobles, les femmes nobles, les parents, les amis, les disciples et sujets...). Le chapitre suivant présente une série de verbes associés à différentes émotions ou actions, le troisième donne des conseils sur l'état d'esprit devant être suivi par le rédacteur suivant le type des lettres à écrire. Le quatrième donne des modèles d'injonction, et le cinquième donne différents modèles de phrases, rangés par structure grammaticale. La renommée du traité provient du fait que les quatrième et cinquième chapitre fournissent, à la fin de chaque série de phrases-modèles latines, des modèles en italien (en scripta bolonaise). Bien connues des spécialistes, ces phrases fournissent la première attestation d'un effort pour proposer une alternative italienne à l'enseignement latin de la rhétorique.
Le grand intérêt de la très belle édition fournie ici par Michele Vescovo tient dans le fait que le traité avait surtout été étudié dans l'optique de ces phrases-modèles italiennes. L'ensemble du dispositif textuel n'avait jamais été édité selon des critères scientifiques, en prenant en compte l'assez ample tradition manuscrite (17 témoins). Non seulement M. Vescovo fournit à la fois un stemma et un texte travaillé à partir de l'ensemble de cette tradition, mais il procède à un grand nombre d'opérations qui redonnent toute sa valeur à ce témoignage en le contextualisant. D'une part, il rend son unité au texte en en présentant la structure, en en discutant avec finesse les dispositifs rhétoriques. D'autre part il le ré-insert dans le canon des œuvres de Guido Faba qui, dans la plus grande partie de la tradition manuscrite des XIIIe-XIVe siècles, circulent groupées dans un ordre fixe.
Si l'on ajoute que M. Vescovo offre à la fois dans la riche introduction (1-56) une biographie de Guido Faba faisant un point rigoureux et inventif sur sa vie et ses œuvres et une analyse stylistique et une description détaillée du contenu de la Gemma, tandis que dans une partie s'occupant de la tradition manuscrite (61-153) il ne se contente pas de donner une description complète des manuscrits et un stemma, mais reconstitue les voies de la diffusion des manuscrits (cistercienne, pour une branche, en Europe centrale : Beuberg en Styrie, Wilhering en Haute-Autriche, Hohenfurth en Bohême...), et discute des points de lecture problématique (l'étrange répétition Tulli et Ciceronis heredem du prologue, par exemple), on aura une idée de la profondeur d'analyse du petit traité dont la place dans l'œuvre de Guido et la signification sortent renouvelées et réhabilitées de cet examen minutieux. Ajoutons enfin que M. Vescovo a pu démontrer, un fait sur lequel il revient dans une des deux annexes (203-216), qu'une summula dictaminis attribuée à Guido Faba, récemment éditée par Elisabetta Bartoli, dérivait de la Gemma, en complétant la tradition manuscrite de cet opuscule.
Comme l'explique la préface (x-xi), cette édition, menée de main de maître (le livre se caractérise d'ailleurs en général par sa haute tenue formelle) n'est que la première partie d'un travail plus global de réexamen et d'édition scientifique d'œuvres de Guido Faba qui, bien que l'objet de plusieurs cycles de recherches depuis le XIXe siècle, doivent être presque intégralement reprises. Ces traités rhétoriques d'accès relativement facile (puisqu'ils ont connu une popularité certaine) ont en effet été édités, partiellement ou totalement, très tôt, selon des méthodes désormais caduques (utilisation d'un seul ou d'une poignée de témoins, absence de recherche des sources). Ils ont été étudiés avec les préjugés de la recherche positiviste sur la rhétorique médiévale. Une meilleure compréhension de la signification socioculturelle de l'ars dictaminis et des cadres de la rhétorique médiévale permet aujourd'hui de reprendre ces dossiers, et les démonstrations de M. Vescovo montrent à quel point l'œuvre de Guido Faba, destinée à influencer durablement la rhétorique européenne "moyenne" (communale, urbaine, monastique) des XIIIe et XIVe siècles, doit être envisagée dans son ensemble, en rééditant l'ensemble du canon, pour être comprise.
Les analyses de cette édition apportent de ce point une contribution heureuse à la recherche en prolongeant avec talent et harmonieusement les recherches passées (E. Kantorowicz) et récentes (Sara Bischetti, La tradizione manoscritta dell' "ars dictaminis" nell'Italia medievale, De Gruyter, 2022) sur l'idéologie guidonienne et sur la diffusion des manuscrits du "canon guidonien". La lecture du prologue de la Gemma opérée par M. Vescovo est à cet égard un modèle, comme ses réflexions sur le corps du traité, même si l'on pourrait arguer qu'il serait encore possible de les prolonger. Par exemple, les listes d'adjectifs louangeant ou vitupérant les "dominae" (185), les nobles dames, sont une base remarquable pour montrer comment des traités en apparence aride présentent un intérêt à la fois littéraire et anthropologique pour le médiéviste. Ces deux listes, jouant d'un effet de comique, avec le passage au flot d'adjectifs injurieux (fucate, fucatissime, stranbe, strambose, claude, lippose...) après les louanges traditionnelles, s'inscrivent en effet dans la thématique de l'exaltation et de la vitupération du corps féminin également développée par Boncompagno da Signa, rival rhétorique de Guido, dans les mêmes années (de la Rota Veneris à la Rhetorica novissima).
La capacité des rhéteurs du XIIIe siècle à faire œuvre satirique, comique, pédagogique et littéraire au moyen des formes en apparence les plus sèches apparaît ici spectaculairement. De nombreuses questions découlent potentiellement de la comparaison de ces pédagogies rhétoriques avec d'autres arts de la communication médiévale comme le sermon, haut lieu de dépréciation du corps féminin. C'est dire que des traités longtemps négligés, ou uniquement examinés à cause d'une particularité linguistique (ici, la présence de phrases en Italien) comme la Gemma ont beaucoup à nous apprendre sur la société médiévale. Il faut donc saluer avec force la parution de ce travail remarquable, œuvre d'un jeune chercheur déjà passé maître dans la connaissance des traditions manuscrites liées à l'œuvre du grand maître bolonais, comme de bien d'autres arcanes de la rhétorique italienne du XIIIe siècle, en espérant que de nombreuses autres éditions de la même qualité viendront compléter peu à peu la fresque redonnant toute sa portée aux écrits d'une figure souvent invoquée, mais au fond encore négligée de la culture médiévale.
Benoît Grévin