Justine Diemke (Hg.): Forschungen zur Gewalt in der römischen Antike (= Hamburger Studien zu Gesellschaften und Kulturen der Vormoderne; Bd. 24), Stuttgart: Franz Steiner Verlag 2023, 283 S., ISBN 978-3-515-13431-6, EUR 54,00
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Ce livre est l'édition d'une Journée d'étude qui s'est tenue en février 2020 à l'université d'Hambourg. Il comprend une introduction et une conclusion rédigées par l'éditrice, J. Diemke, et neuf articles de jeunes chercheurs. Ils ont le mérite de traiter d'un sujet complexe : l'exercice de la violence dans le monde romain.
L'objet de la Journée d'étude, et donc du livre, était d'aborder la violence sous plusieurs angles, mais aussi et surtout grâce à une méthodologie renouvelée, comme le précise J. Diemke en introduction, notamment en mêlant histoire, sociologie et anthropologie. Elle invite, à juste titre, à accorder une importance au traitement des émotions et au rôle des sens dans les processus de déclenchement de la violence, mais aussi pour en comprendre les réactions. J. Diemke revient alors sur les travaux de N. Elias et propose une étude du contrôle individuel des émotions pour l'Antiquité. Elle met également à l'épreuve les travaux d'E. Durkheim sur les violences collectives par la présentation de quelques cas antiques. A propos de la guerre, elle présente la micro-sociologie de R. Collins, qui à mon sens est tout à fait applicable à l'Antiquité, notamment pour l'étude des massacres, d'autant qu'il le fait lui-même. En ce qui concerne la violence verbale et psychique, on ne peut que s'accorder avec J. Diemke sur le fait qu'elle n'a pas encore été assez abordée pour l'Antiquité. De même l'histoire sensorielle n'en n'est qu'à ses balbutiements. J. Diemke ouvre alors de nombreuses pistes d'étude très intéressantes. Elles ont depuis en partie été retenues lors d'une manifestation scientifique dédiée au sujet. [1] Pour l'application du spatial turn et du temporal turn, elle rappelle les travaux novateurs sur la nuit et elle propose une étude sur la décélération/accélération des actions de guerre et leurs conséquences émotionnelles, mais aussi de s'intéresser aux jours spécifiques ou aux effets climatiques. En ce qui concerne les espaces de violence, elle suggère d'appliquer à l'Antiquité la terminologie de J. Barberowski. Pour l'ensemble de ces "turn", on mentionnera ici leur prise en considération dans le remarquable livre de C. Courrier sur la plèbe romaine. [2]
La progression dans la lecture de ce livre est d'une grande cohérence, ce qui est remarquable pour la publication d'une manifestation scientifique. L'ouvrage s'ouvre sur la violence intra-romaine pour traiter ensuite de celle exercée par les Romains sur leurs ennemis. Dans ces deux catégories, on progresse du particulier au collectif, du local au global.
La démarche est littéraire dans l'étude de la banalisation/minimalisation de la violence sexuelle, grâce, entre autres, à l'analyse d'un passage du Satiricon de Pétrone (K. Löbcke). Quatre techniques de banalisation ont été relevées : utiliser la parodie, placer les protagonistes dans un rôle d'acteur, se focaliser sur un esclave et détourner l'attention. La violence est aussi une figure de pensée dans la poésie augustéenne, notamment celle de Virgile (K. Angelberger). Elle permet de signifier le passage du chaos à un ordre nouveau. Virgile est de nouveau à l'honneur pour un texte qu'on ne se serait pas attendu à trouver dans ce livre: sa 4e Eglogue des Bucoliques (J. Fischer). La complexité des oracles funestes de la Sibylle et leur vision du monde doivent se comprendre dans le contexte des horreurs de la fin de la République. Un dernier article sur la période augustéenne interroge, dans une réflexion socio-politique, le fait pour l'empereur de retirer son amitié: ce serait un instrument de gouvernement par la violence, une violence psychologique exercée sur les sénateurs concernés pour maintenir son contrôle et son influence dans tout l'empire (J. Coert).
Si l'article analysant la défense de la route du commerce dans les déserts orientaux et l'Océan indien (T. Wilkinson) est intéressant en soi, on s'est étonné de le trouver dans cet ouvrage, car il n'y est que peu question de violence au sens sociologique ou anthropologique du terme, au contraire des notions de danger et de sécurité.
La démarche anthropologique guide en revanche l'étude de l'anthropophagie d'après deux expériences de villes prises: Sagonte en 219 av. J.-C. et Rome en 410 ap. J.-C. (H. A. Wagner). Le cannibalisme est ainsi compris comme un motif littéraire, un marqueur mémoriel, qui permet de signifier le dégoût, voire le rejet de la guerre à l'époque de la pax romana, puis une réflexion eschatologique sur l'ordre du monde à l'époque chrétienne. Cet article aurait pu bénéficier de celui de S. Cahanier ou du livre de V. Vandenberg. [3]
L'étude de la violence exercée par les armées romaines suit les étapes chronologiques de la victoire. Dans le cadre des pillages, c'est la dimension éminemment tactique de la violence qui est soulignée (F. Wieninger). L'article rappelle les normes et pratiques antiques en vigueur. Son originalité réside dans un traitement sur la longue durée, permettant par exemple d'utiliser des sources variées et peu usitées comme, pour ne prendre qu'un exemple, le témoignage concernant l'émeute de Lycopolis d'Egypte au Ve s. ap. J.-C. (P.Oxy. 16.1873). La violence de masse est étudiée dans le cadre de deux guerres de l'époque républicaine, contre les Lusitaniens et contre Jugurtha (G. Baker, exemples développés par ailleurs dans son livre). La violence extrême à l'encontre des non-combattants s'expliquerait par des échecs préalables, le caractère fuyant de l'ennemi et la pression exercée depuis Rome; elle n'a pas été en soi la clef du succès militaire. Enfin la question du génocide dans l'Antiquité romaine est posée avec l'intérêt de la longue durée puisque l'article intègre par exemple la vision d'Ammien Marcellin (Ch. Kecht). Il en ressort qu'il est toujours délicat d'utiliser ce concept juridique, même avec les restrictions ici apportées.
L'ensemble est donc d'une lecture très stimulante. Ces jeunes chercheurs s'emparent, avec des approches souvent originales et avec beaucoup de rigueur, d'un sujet "à la mode", mais qui mérite la recherche accrue dont il bénéficie depuis une dizaine d'années. On peut simplement regretter la quasi absence de prise en considération des résultats de la recherche francophone - que l'espace de ce compte-rendu ne permet pas de tous citer - dans les différents articles. Mais l'inverse - l'absence des travaux allemands dans la recherche française - est plus vrai encore. On peut donc exprimer le souhait que ce rapprochement scientifique s'intensifie.
Notes:
[1] https://lettres.sorbonne-universite.fr/evenements/histoire-sensorielle-de-la-guerre-dans-les-mondes-anciens
[2] Cyril Courrier : La Plèbe de Rome et sa culture (fin du IIe siècle av. J.-C. - fin du Ier siècle ap. J.-C.), Roma 2014 (Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome; 353).
[3] Simon Cahanier : "El suicidio de los Saguntinos : comentarios sobre la invención e integración de un trauma colectivo ficticio en la memoria cultural romana", in : Patricia Bou Pérez (dir.), Miedo, trauma y violencia en las guerras de la Antigüedad, Revista Universitaria de Historia Militar, 9.19, 2020, 36-55; Vincent Vandenberg : De chair et de sang. Images et pratiques du cannibalisme de l'Antiquité au Moyen Âge, Rennes 2014.
Nathalie Barrandon