Marie Bouhaïk-Gironès / Alexis Grélois / Xavier Hélary: Royauté, écriture et théâtre au Moyen Âge. Mélanges en l'honneur d'Élisabeth Lalou, Rouen: Presses universitaires de Rouen et du Havre 2024, 504 S., ISBN 979-10-240-1769-3, EUR 34,00
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Ces mélanges offerts à Elisabeth Lalou, professeur d'histoire médiévale à l'université de Rouen, ont réuni vingt-neuf contributions, rédigées en français et en anglais, parmi lesquelles figurent cinq textes de ses doctorants. Pour faciliter la lecture, les auteurs ont choisi de l'organiser autour de quatre grands axes, choisis à titre pratique, bien que leurs thématiques s'entrelacent fréquemment. Ces thèmes (la Normandie - les écritures - les royautés - le théâtre) reflètent les centres d'intérêts dominant la longue et riche carrière de la récipiendaire.
Le livre s'ouvre sur un avant-propos signé par les trois directeurs de l'ouvrage, Marie Bouhaïk-Gironès, Alexis Grélois et Xavier Hélary. Ils y expriment un hommage chaleureux à Élisabeth Lalou, saluant sa curiosité intellectuelle, son engagement professionnel et l'attention joyeuse qu'elle portait à son entourage. Une bibliographie actualisée, couvrant dix-neuf pages, vient enrichir cette introduction en regroupant l'ensemble des travaux qu'elle a publiés entre 1980 et 2021.
Parmi les nombreuses et denses contributions qui ponctuent cet ensemble, quelques éléments principaux peuvent être mis en lumière. Au centre de la première partie du livre, la Normandie, dont Élisabeth Lalou contribua à l'élargissement du champ d'enseignement et de recherche à l'université de Rouen. Six contributions explorent des figures, des lieux et des événements significatifs de cette région dont l'histoire est particulièrement liée à celle du royaume de France. Ainsi en est-il de la vie de Philippe le Convers, à travers laquelle Danny Lake-Giguère analyse l'œuvre d'administration forestière d'un serviteur dévoué de Philippe le Bel, au cœur de la naissance d'une gestion centralisée des eaux et forêts du royaume de France.
Philippe Lardin présente les enjeux de l'engagement des navires dieppois, au début de la guerre de Cent ans. Ceux-ci, destinés à la pêche et au commerce, servirent plusieurs décennies aux combats navals, du fait de la position privilégiée du port en face de l'Angleterre. Ces études font écho à l'attachement particulier d'Élisabeth Lalou à cette région, qu'elle évoque avec nostalgie, dans la postface, comme prédestinée à croiser son chemin.
Les écritures occupent également une place majeure dans sa formation initiale, et constituent le thème de cinq articles regroupés dans la deuxième partie de l'ouvrage. Ces contributions examinent divers aspects de la production écrite médiévale, en interrogeant son rapport à l'oralité et aux dynamiques de pouvoir. Jacques Berlioz analyse ainsi un aspect singulier de la Vie de saint Louis rédigée par Jean de Joinville, dans laquelle Richard Cœur de Lion, en Terre Sainte, fait hurler de terreur les enfants et effraie les chevaux. En minimisant les exploits militaires de Richard et en le réduisant à une figure de croquemitaine dans la mémoire collective des Sarrasins, Joinville évite ainsi d'exalter un héros guerrier qui pourrait rivaliser avec l'image idéale qu'il veut donner de Louis IX.
Paul Bertrand, à travers l'étude des pratiques d'écriture du légat pontifical Hugues de Saint-Cher, et David Carpenter, dans son analyse des copies de la Magna Carta, explorent la manière dont l'écrit devient un outil stratégique pour les pouvoirs. La diffusion et l'utilisation des copies de la Magna Carta illustrent notamment comment l'écrit se transforme en instrument de négociation et de communication politique, mobilisé différemment selon les intérêts anglais et français.
La troisième partie porte sur les royautés, dont les contours lui permirent notamment de déployer le vaste projet d'édition du Corpus Philippicum, son "grand-œuvre", axé sur Philippe le Bel et publié en 2006. Douze contributions la ponctuent, dont la majorité d'entre elles sont centrées sur les derniers Capétiens directs. Les auteurs explorent divers aspects du gouvernement, tels que la gestion monétaire à travers le rôle et les tâches du maître des monnaies (Marc Bompaire) ou la politique fiscale de Philippe le Bel (Elizabeth A. R. Brown). Le cas original d'un apanage concédé au comte écossais Archibald Douglas permet d'illustrer comment le système féodal français, conçu initialement pour les membres de la maison royale, a pu être étendu à des seigneurs étrangers en récompense de services militaires, et révèle les limites juridiques et politiques de cette pratique lorsque les bénéficiaires ne respectaient pas les obligations féodales (Philippe Contamine).
Deux contributions sur les testaments royaux témoignent de l'intérêt profond de la destinataire de l'ouvrage pour les pratiques testamentaires des Capétiens, intérêt qui l'a conduite à dynamiser un champ historiographique français toujours fécond. Les analyses portent ici sur le premier testament de Philippe III (par Xavier Hélary) et celui de saint Louis (par Jean-François Moufflet).
Le théâtre avait marqué l'entrée d'Elisabeth Lalou dans le domaine de la recherche, lorsqu'elle édita, pour sa thèse d'École, le Mystère de saint Crépin et de saint Crépinien. Elle a, en outre, contribué largement à son émergence en tant que champ de recherche autonome. Il n'est donc pas surprenant que les six derniers articles portent sur le domaine du spectacle, pour former la quatrième partie du livre. Si le format peut être léger - farces, ordonnances parodiques, théâtre religieux - les thèmes abordés sont parfois plus graves : ainsi Élyse Dupras aborde-t-elle la question d'une forme de complicité sororale, dans ses aspects parfois les plus douloureux - harcèlement, viol, meurtre - dans les Miracles de Notre-Dame de Gautier de Coincy.
De façon générale, ils reflètent la société dans laquelle ils s'inscrivent, et dont ils laissent à voir le quotidien. Cela est parfaitement illustré dans l'étude de Mario Longtin qui présente le complexe fonctionnement du grenier à sel à Rouen à la Renaissance, à travers la lecture de la farce L'homme a mes pois.
Structurer un livre hommage peut s'avérer un défi, surtout lorsqu'il s'agit de rendre compte d'un parcours aussi riche et éclectique que celui d'Élisabeth Lalou. Certes, ce livre met en lumière les multiples facettes de ses centres d'intérêt, mais il révèle surtout leur fil conducteur : un attachement profond aux sources et à leur matérialité. Les nombreuses éditions originales jalonnant les articles constituent le plus éloquent des hommages à son parcours : l'édition de l'inventaire après décès des biens de Jean de Bulles (Matthieu Arnoux), d'une lettre de Claire d'Assise (Jean Dalarun), de l'appel de Millau en 1297 et du mandat royal de Saint-Ricquier en 1314 (Elizabeth A. R. Brown), de lettres et de compte-rendus d'audience, dans le cadre des apanages accordés au comte de Douglas (Philippe Contamine), de la lettre de nomination de l'ordre de l'Étoile par Jean II le Bon et la réalisation d'un stemma des différentes copies subsistantes (Marie Groult), de sept notifications permettant de relier le doyen Jean de Pontoise à l'université de Paris (Nicholas Vincent), du premier testament de Philippe III (Xavier Hélary), des ordonnances de Mauconseil (Marie Bouhaïk-Gironès), ou encore du Miroir et exemple moral des enfants ingrats (Jean-Louis Roch).
De belles planches couleur complètent ce travail éditorial en présentant les sources dans leur matérialité : chartes et sceaux (Paul Bertrand), psautier (Lindy Grant), Grandes Chroniques de Charles V et Livre des Heures de Jeanne d'Évreux (Anne D. Hedeman).
Cette appétence d'Elisabeth Lalou, héritée de sa formation initiale à l'École des chartes et renforcée par de nombreuses années à l'IRHT, où elle a occupé les fonctions d'ingénieure de recherche puis de directrice adjointe, s'est déployée dans divers champs d'étude. Parmi eux, le renouvellement des recherches sur les tablettes de cire, où elle s'est imposée comme une référence incontournable. Cette vocation pour l'édition scientifique demeure aujourd'hui encore au cœur de son engagement : le projet monumental qu'elle dirige, "Parole de Normands", ne vise-t-il pas à publier et mettre en ligne des manuscrits normands inédits, afin de les rendre accessibles à un large public ? Enfin, les nombreux clins d'œil des différents auteurs, l'affection qui transparaît à travers ces articles, reflètent l'esprit de collégialité et la fertilité des échanges scientifiques qu'Élisabeth Lalou a su cultiver tout au long de sa carrière.
Cécile Barluet