Albrecht Matthaei / Martin Zimmermann (Hgg.): Stadtbilder im Hellenismus (= Die hellenistische Polis als Lebensform; Bd. 1), Berlin: Verlag Antike 2009, 424 S., ISBN 978-3-938032-23-7, EUR 64,90
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Avec ce volume s'ouvre la série de publications du programme de recherches "Die hellenistische Polis als Lebensform", dirigé par Martin Zimmermann (www.poliskultur.de) et qui fédère de nombreux travaux actuellement menés en Allemagne sur les cités grecques entre le IVe et le Ier s.a.C. Comme le rappelle Zimmermann (9-20), l'idée s'impose désormais (grâce à L. Robert, puis à de nombreux autres chercheurs, en particulier allemands et français) que, dans un monde redéfini par l'émergence des royaumes, la polis constitue toujours le principal cadre de vie des Grecs. Le modèle en est même très vivace et s'étend pendant cette période, en Grèce continentale et dans l'Asie Mineure intérieure. Chaque polis, ancienne ou nouvelle, forme une communauté de citoyens soudée par une identité collective, la construction et l'entretien sourcilleux d'une mémoire, des institutions plus ou moins démocratiques, des pratiques religieuses et des régulations sociales. Ces caractéristiques offrent de nombreux indices de continuité avec l'époque classique, tout en témoignant de capacités d'innovation et d'adaptation à un monde nouveau - un monde qui connaît lui-même de profondes mutations au IIe s., à la faveur de son intégration dans l'empire romain.
Sont publiés ici les actes d'une première rencontre, tenue en 2007 sur le thème de la ville. Avec ses monuments, ses parcours, ses lieux de rassemblement et de représentation, elle structure la vie de la cité. Les travaux du Copenhagen Polis Center l'ont suffisamment montré pour les époques antérieures. [1] Il était naturel que le thème intéresse des chercheurs s'interrogeant sur la vitalité et les mutations de la polis hellénistique. L'ouvrage comprend seize contributions, réparties en six sections: trois sections étudient les rapports qu'entretient la polis, entité politique, avec le cadre urbain et le phénomène de l'urbanisation; deux autres sont consacrées à la statuaire et à l'architecture; la dernière regroupe des études de cas portant sur des cités (Priène, Éphèse, Syracuse) ou des régions (Triphylie, Italie méridionale). Les participants se situent explicitement dans le sillage d'un colloque réuni il y a quinze ans à Munich [2] et qui a fait date par sa méthode consistant à faire dialoguer épigraphistes et archéologues. L'intention est ici la même, mais on a cherché à multiplier les angles d'approche et à élargir le champ d'étude. Les contributions sont donc diverses par leur nature et leur objet: les unes esquissent une synthèse (Zimmermann sur l'espace urbain, Wiemer sur les fêtes, Mileta sur les statuts juridiques, Freitag sur les koina, etc.); d'autres présentent des fouilles ou des recherches en cours (Walser sur les sympolities, Krumeich et Witschel sur les statues, Rohn et Heiden sur la Triphylie, etc.); plusieurs articles procèdent de thèses récentes (Calapà, Heinle, Mathys). L'ouvrage se distingue par son caractère foisonnant, voire par une certaine hétérogénéité. On peut néanmoins dégager quelques thèmes saillants.
Le plus frappant est l'extrême variété des situations, dont le pluriel "Stadtbilder" rend bien compte. Il n'existe pas un modèle unique de cité, comme le rappelle Mileta à propos de l'Asie Mineure (70-89). Il faut admettre de même que les villes présentent elles aussi des faciès différents. Aux villes (re)construites sur un schéma orthogonal (Raeck sur Priène, 307-321; Calapà sur Éphèse, 329-339) s'opposent les villes anciennes, conservant un plan désordonné et intégrant progressivement les éléments de l'urbanisme moderne, tels les portiques monumentaux (Heinle, 47-50). Aux villes dotées d'infrastructures prestigieuses s'opposent les agglomérations médiocres: Walser (151-152) relève l'absence de ville dans la cité de Calymna au IIIe s.; certaines cités sont en déclin, au point de vouloir se fondre dans une cité plus importante, le site urbain étant alors quelquefois abandonné (Walser sur Pidasa et Koresia). Il serait cependant simpliste de considérer que la logique historique est celle de la concentration: si de petites cités disparaissent en Ionie et en Carie au IIIe s., d'autres régions voient se multiplier les nouvelles poleis et s'étendre l'urbanisation, p.ex. en Anatolie (Mileta, 82-87) et dans les régions d'ethnè (Péloponnèse: Rohn et Heiden, 348-364; Grèce du Nord-Ouest: Freitag, 156-169).
Plusieurs auteurs accordent un rôle central à la "Festkultur" des cités hellénistiques, objet d'études récentes que synthétise Wiemer (116-131): miroir de la cité, les fêtes civiques, avec leurs processions et leurs banquets, tendent à (re)modeler l'espace urbain, en particulier au IIe et Ier s. C'est alors que sont réaménagées l'acropole sacrée de Cnide (Ehrhardt, 93-115) et la partie nord de l'agora de Priène, avec son Portique sacré (Raeck, 311). Dans une riche synthèse, von den Hoff met en valeur les transformations qu'on observe dans le gymnase à partir du IIe s. (245-275): ornementation et nouveaux aménagements trahissent l'ouverture de ce lieu (auparavant clos) à des cérémonies plus larges, p.ex. à des banquets financés par des évergètes et accessibles au plus grand nombre, dont témoignent les décrets contemporains. L'autre lieu de la culture festive est le théâtre. L'étude architecturale de von Hesberg sur celui de Priène (276-303) ne précise pas suffisamment qu'il accueille des événements variés: séances de l'ekklèsia et concours des Dionysies, mais aussi d'autres spectacles lors des Panathènaia (ouverts à de nombreux étrangers), voire des collations aux frais de bienfaiteurs.
Gymnase et théâtre font partie du réseau des "endroits les plus en vue" (epiphanestatoi topoi) qui structure l'espace civique. Il est fort intéressant d'étudier, pour chaque cité, la topographie de ces pôles à travers le temps: Krumeich et Witschel esquissent pour Athènes une passionnante histoire de la cristallisation et du déplacement des lieux de consécration des statues honorifiques (173-226); Zimmermann et Raeck mettent en valeur la création d'une esplanade en avant du Portique sacré de Priène, entourée de portraits honorifiques et qui devient à la fin du IIe s. le nouveau lieu de représentation des élites (30-32, 311); le gymnase joue le même rôle à Pergame après 133 (Mathys, 227-242). Échappant aux questions traditionnelles (comme celle de la diffusion des villes de plan orthogonal dans l'Orient séleucide), l'histoire urbaine qui se dessine ici consiste à discerner, dans les modifications architecturales observées, le reflet d'évolutions socio-politiques, en particulier du renforcement progressif de la place des notables (qui trouvent en partie leurs modèles chez les rois et donc dans les capitales royales).
Par sa structure éclatée, l'ouvrage ne donne pas de réponses définitives aux questions posées (au demeurant complexes). On pourra regretter que certains thèmes, comme celui des échanges et de la vie économique (ports, marchés, ateliers, etc.), soient à peine abordés. Le livre établit néanmoins un bilan provisoire et ouvre des perspectives intéressantes. Il témoigne de l'intensité et de la qualité de la recherche allemande en ce domaine.
Annotations:
[1] Mogens Herman Hansen / Thomas Heine Nielsen (eds.): An Inventory of Archaic and Classical Poleis, Oxford 2004.
[2] Michael Wörrle / Paul Zanker (Hgg.): Stadtbild und Bürgerbild im Hellenismus (= Vestigia; 47), München 1995.
Patrice Hamon