Rezension über:

Tanja Itgenshorst: Denker und Gemeinschaft. Polis und politisches Denken im archaischen Griechenland, Paderborn: Ferdinand Schöningh 2014, 373 S., ISBN 978-3-506-77891-8, EUR 59,00
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Rezension von:
André Laks
Université Paris-Sorbonne / Universidad Panamericana, Mexico, D.F
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Haake
Empfohlene Zitierweise:
André Laks: Rezension von: Tanja Itgenshorst: Denker und Gemeinschaft. Polis und politisches Denken im archaischen Griechenland, Paderborn: Ferdinand Schöningh 2014, in: sehepunkte 15 (2015), Nr. 6 [15.06.2015], URL: https://www.sehepunkte.de
/2015/06/26101.html


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Tanja Itgenshorst: Denker und Gemeinschaft

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Le sujet de ce livre est, classiquement, la naissance de la pensée politique en Grèce archaïque, mais entendue sous un angle spécifique, qui, considéré en soi, est prometteur. La couverture reflète déjà - pour qui a pris connaissance des premières pages du livre, programmatiques - le point de vue défendu: en sous-titre et petites lettres blanches, 'Polis et pensée politique en Grèce archaïque'; en grandes lettres de couleurs, le titre à proprement parler, 'Penseur - ou Penseurs? Denker autorise l'un et l'autre - et communauté'; en guise de fond, une statue représentant un Poète en marche, "der selbstbewusst in den Raum ausschreitet" (notice iconographique, 4). La thèse générale me semble pouvoir être résumée en quatre points, deux négatifs, deux positifs: a) l'auteur s'est d'abord donné pour tâche d'écrire une histoire de la pensée politique archaïque qui ne soit pas, à la différence d'une approche répandue, focalisée sur la polis (J.-P. Vernant, pour ne nommer que lui), mais, de manière plus générale, sur un ensemble de textes thématisant diverses relations sociales et communautaires, dont le caractère 'politique' ressort du fait même qu'elles concernent des rapports interhumains localisés et déterminés; b) cette histoire refuse par ailleurs toute approche téléologique, et, plus généralement, les schémas orientés faisant appel tant à l'idée d'un 'développement de l'esprit' (B. Snell) qu'aux catégories du troisième humanisme (42s.); c) l'attention va, inversement, à la position singulière prise par les auteurs considérés dans leur rapport à leurs communautés particulières; d) plus précisément encore, l'accent est mis sur le caractère réflexif des prises de positions individuelles. On est donc à l'opposé du modèle, largement dominant dans les études classiques, du penseur individuel comme témoin de la cité - voire des relations sociales existantes. Le penseur est 'en marche', i.e. contribuant par sa réflexion à la constitution même de la chose politique.

Une particularité de l'approche ainsi circonscrite tient au corpus des textes considérés comme pertinents. Celui-ci, chronologiquement limité par les Guerres Médiques (posées comme le terminus ad quem de l''archaïque'), prétend non seulement à une certaine exhaustivité (58, 78ss.), mais répond aussi à un principe de transversalité générique - une condition limitative étant cependant que le texte considéré puisse être l'expression d'une subjectivité individuelle, ce qui, selon les critères retenus par l'auteur dans la définition de cette dernière, exclut la prise en compte d'Homère (du moins à titre d'auteur). Si le gros de la troupe est, sans surprise, formé par les poètes lyriques - connus et moins connus, anonymes ou pas -, les mythographes, les historiens et les 'philosophes' sont aussi mobilisés et réunis dans un long appendice bilingue de 'fragments et témoignages des auteurs archaïques' (265-332). Il y aurait bien des choses à dire sur la façon dont les témoignages sont ici utilisés à côté des textes originaux. L'auteur est consciente du problème (54s.), mais évite de l'aborder frontalement, comme il devrait l'être.

Globalement, l'approche peut être définie comme pragmatique. S'agissant des lyriques, la démarche s'inspire clairement des travaux de W. Rössler et de B. Gentili. Les deux premiers chapitres, de caractère général, définissent l'objet du livre (I. 2. "Der Gegenstand der Untersuchung: Gemeinschatsbezüge als Ursprung des Politischen") et la méthode - qui pense pouvoir se réclamer, contre les constructions idéalistes, de la phénoménologie husserlienne (p. 48ff.), dans la mesure où le but recherché est 'la reconstruction d'une subjectivité passée'. Les chapitres III et IV constituent une sorte de centre. Le premier d'entre eux est consacré à définir quatre catégories analytiques auxquelles les textes réunis dans le corpus de référence servent d'illustrations (1. le caractère subjectif de l'expression; 2. l'insistance sur la capacité de réflexion personnelle; 3. l'interpellation et la normativité; 4. la réflexion sur la forme correcte du vivre ensemble); le second dégage quatre traits distinctifs de la pensée politique (au sens précisé ci-dessus) à l'époque archaïque (1. le caractère circonstanciel de la pensée politique; 2. l'identification de l'auteur à sa communauté; 3. la distance prise par rapport à la communauté et la critique à son égard; 4. l'influence dans l'espace politique). Le chapitre V rassemble, de manière quelque peu arbitraire du point de la logique de l'argument, une série de cinq 'observations' complémentaires respectivement consacrées à 1. la poésie comme médium de communication de la pensée politique; 2. la revendication de la 'sagesse' comme élément constituant de la pensée politique; 3. l'idée du philosophe comme tyran; 4. la relation entre la mobilité des individus et la pensée politique; et finalement, en guise de synthèse, 5. l'ambivalence du rapport entre le penseur et sa communauté. Les cinq chapitres qui suivent, réunis sous le titre quelque peu artificiel de "Denker und Gemeinschaft (titre qui réapparaît malencontreusement tout au long de la table des matières): Konfrontationen", se lisent à leur tour comme autant d'appendices. Homère, officiellement exclu de la recherche, est réintégré, non en tant que tel, mais en tant qu'on y voit des héros s'interpeller sur des questions 'politiques' au sens large (chap. VI). Le chapitre VII envisage les deux cas particulier d'Hésiode et de Solon; le chapitre VIII considère la question de la relation entre pensée politique et développement des cités dans trois ères géographiques distinctes, la Sicile et l'Italie du Sud, le nord-ouest du Péloponnèse, et l'Asie mineure. Le chapitre IX défend la légitimité d'user de la figure moderne de l'intellectuel pour parler des penseurs archaïques. Le chapitre X, enfin, ajoute, sur certains de ces thèmes, quelques considérations relatives à la période non officiellement prise en compte dans le livre: il y est question de la figure des sages conseillers archaïques telle qu'elle apparaît chez Hérodote, de la poésie comme médium de la pensée politique au 5e siècle (avec un traitement sommaire d'Empédocle et de Critias), et finalement du processus de 'l'autonomisation de la réflexion' des sophistes à Platon - doit-on comprendre que, en dépit de l'antitéléologisme revendiqué, le penseur archaïque, tout en marche qu'il soit, n'est jamais en marche que vers un certain but?

Le livre est animé par une forte ambition théorique et méthodologique. Celle-ci est bienvenue. Mais on peut se demander si les résultats sont à la hauteur. Christian Meier, qui, mettant à juste titre le doigt, dans un article consacré à l'émergence de l'intelligence autonome chez les Grecs, sur une des difficultés majeures des premiers travaux de Jean-Pierre Vernant, avait souligné que la 'naissance du politique', dans des circonstances marquées par une extrême contingence, ne peut s'expliquer sans faire appel au rôle moteur de la réflexion, et notamment de la réflexion politique (dans S.N. Eisenstadt (ed.), The Origins and Diversity of Axial Age Civilizations,1986, 86). L'exigence, toutefois, n'avait jamais été concrétisée. D'où l'attente que suscitent les propos initiaux du présent livre. Le problème est que la 'réflexion' des auteurs est nécessairement réduite au minimum, quand les textes évoqués ne sont jamais proprement analysés, mais cités pour illustrer l'une ou l'autres des catégories classificatoires établies par l'auteur. Le célèbre passage sur les poètes et les rois dans la Théogonie d'Hésiode (v. 81-92) ne peut-il vraiment servir qu'à étayer l'hypothèse selon laquelle 'à l'époque archaïque, la poésie jouait sans doute un rôle dans les sentences publiques' (114)? Et si Eschyle n'est jamais cité (je n'ai pas identifié la seule référence mentionnée dans l'index, p. 200), ne doit-on pas en conclure que quelque chose cloche dans l'usage qui est fait de la catégorie de 'subjectivité individuelle' comme catégorie motrice du développement de la pensée politique archaïque? Restent l'intérêt des questions explicitement ou implicitement soulevées par le livre et l'étendue du matériau considéré, qui devra cependant être contrôlé par l'utilisateur: une notice parlant d'Anaximène est attribuée p. 63 à Parménide; et le texte grec imprimé en face de la traduction du fr. B2 DK de Parménide, p. 299, ressemble à de l'Aristote. Une erreur de copié-collé, sans doute.

André Laks