Andrea Falcon: Aristotelianism in the First Century BCE. Xenarchus of Seleucia, Cambridge: Cambridge University Press 2012, XII + 228 S., ISBN 978-0-521-87650-6, EUR 55,00
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Andrea Falcon est connu pour ses études sur le De caelo d'Aristote et sa réception dans l'Antiquité (Corpi e movimenti. Il 'De caelo' di Aristotele e la sua fortuna nel mondo antico, Napoli 2001) et sur la science de la nature du Stagirite (Aristotle and the Science of Nature. Unity without Uniformity, Cambridge 2005). Son dernier livre Aristotelianism in the First Century BCE. Xenarchus of Seleucia s'inscrit dans cette lignée de recherches et se concentre sur le péripatéticien Xenarque de Séleucie (1er siècle av.J.-C.), l'un des premiers exégètes d'Aristote, dont on ne conserve que des maigres fragments. Xenarque avait attaqué, après Straton de Lampsaque, la doctrine du 'cinquième élément', ('quinta essentia') qu'Aristote avait introduit afin d'expliquer la circularité du mouvement céleste. Xenarque avait présenté ses objections dans un livre intitulé probablement Contre la cinquième substance, critiqué par Alexandre d'Aphrodise (IIe siècle apr.J.-C.) dans son Commentaire sur le 'De caelo' en prenant la défense d'Aristote. Le commentaire d'Alexandre est perdu, mais on en lit plusieurs passages, parmi lesquels ceux relatifs à Xenarque, dans le Commentaire sur le 'De caelo' de Simplicius (VIe siècle apr.J.-C.). Falcon se propose aussi de montrer que Plotin visait à la même doctrine dans son traité intitulé par Porphyre Sur le mouvement circulaire. Xenarque soutient que le mouvement naturel authentique d'un élément est celui qu'il possède quand il a atteint son lieu naturel et non le mouvement qu'il a en se dirigeant vers ce lieu. Xenarque ne voit donc pas la nécessité du 'cinquième élément' introduit par Aristote car, affirme-t-il, le mouvement naturel authentique du feu est le mouvement circulaire: le feu en se dirigeant vers son lieu naturel procède vers le haut et une fois qu'il a atteint l'extrémité de l'univers il se meut de manière circulaire.
Falcon voit en Xenarque un philosophe créatif qui ne cherche pas à s'opposer à Aristote, mais qui se propose plutôt de réviser et de mettre à jour certains aspects de sa pensée concernant non seulement la physique, mais aussi l'éthique (relativement à la doctrine du 'prôton oikeion').
Le livre de Falcon contient bien plus que cette reconstruction historique et philosophique innovante de Xenarque et, en particulier, le premier recueil de ses témoignages.
Après une brève introduction (1-8), dans laquelle Falcon présente les axes de sa recherche et prend ses distances vis à vis de l'interprétation dominante de Paul Moraux, qui voyait en Xenarque une voix "that stand out from the chorus, or even a rebel challenging Aristotle's authority" (5), le livre se décline en trois sections, suivies d'une rapide conclusion.
La première partie (11-47) est consacrée à la personne, à l'œuvre et à la pensée de Xenarque. Falcon commence par discuter le peu de données qu'on détient sur la vie du philosophe; confirme son affiliation au Péripatos (à partir des T 1, 13-14) en tenant compte du renouvellement d'intérêt pour Platon et Aristote au 1er siècle av.J.-C., qui se manifeste par une intense activité exégétique sur le Timée et les Catégories. Il cherche ensuite à reconstruire les critiques de Xenarque contre la doctrine de la 'quinta essentia' d'Aristote et le contenu de son livre Contre la cinquième substance en se fondant sur les témoignages d'Alexandre d'Aphrodise transmis par Simplicius qui se proposait de prendre la défense d'Aristote non seulement contre Xenarque, mais aussi contre le De aeternitate mundi de son contemporain Jean Philopon. Falcon montre que les critiques à Aristote de Xenarque et de Philopon, en dépit de ce qu'on pourrait en tirer du texte de Simplicius, n'avaient pas le même but ni la même portée. La lecture de ces pages donne une idée satisfaisante et bien argumentée des arguments philosophiques déployés et des résultats atteints par Xenarque, qui resta toujours attaché à la tradition péripatéticienne et ne fut influencé par les philosophies hellénistiques (en particulier, le Stoïcisme) que très modérément. L'actualisation de certains aspects de la pensée d'Aristote opérée par Xenarque ne s'arrêta pas seulement à la physique, mais s'élargit au moins à un aspect de l'éthique en proposant de développer la doctrine du 'prôton oikeion' à partir de la pensée aristotélicienne sur l'amour.
La deuxième partie (51-163) est la plus vaste et à mon avis la plus riche en nouveautés. Falcon publie le premier recueil des dix-sept témoignages ('Testimonia') sur Xenarque en prenant la bonne décision de ne pas opérer une distinction entre témoignages et fragments. Le recueil est précédé d'un extrait du De caelo (268 b 17-269 b 17) qui contient les arguments d'Aristote en faveur de l'existence d'un corps simple spécial. Les témoignages sur Xenarque suivent organisés en cinq groupes thématiques: Vie, physique, psychologie, éthique et Sur le 'Timée'. Pour la vie de Xenarque, Falcon retient seulement le témoignage de Strabon (T 1) et renonce à un passage de Philodème dans lequel le nom du philosophe avait été arbitrairement restauré (voir le nouveau texte édité par D. Blank dans D. Sedley (éd.), The philosophy of Antiochus, Cambridge 2012, T 1). Tous les témoignages sur la physique (T 2-13) dérivent de Simplicius à l'exception du T 13 tiré d'un discours de l'empereur Julien. Les deux témoignages sur la psychologie sont transmis par Aëtius (T 14) dans la tradition de Stobée, et par Philopon (T 15), celui sur l'éthique par la Mantissa d'Alexandre d'Aphrodise, et celui sur le Timée par le commentaire de Proclus au même dialogue. Tous les textes sont édités dans la langue originale, traduits en anglais et accompagnés de notes ponctuelles. Dans certains cas, Falcon a signalé quelques 'variantes' par rapport aux éditions de référence (voir 55-57). Dans ces cas-là, il utilise un système qui me laisse perplexe en faisant précéder les 'variantes' des sigles des manuscrits (ou du nom du savant qui a proposé une conjecture). Dans au moins deux cas (127 notes 164 et 171) il y a en outre un problème entre la leçon accueillie dans le texte et celle enregistrée dans l'apparat.
La troisième section (167-198) est consacrée à la réception des thèses de Xenarque dans l'Antiquité (je signale les pages sur le Papyrus de Genève inv. 203 dont Falcon confirme avec de bons arguments qu'il ne contient pas des restes d'un livre de Xenarque) et au Moyen Âge. Falcon analyse ensuite la tradition arabe et latine du 'De caelo' et la présence d'arguments dérivés de Xenarque (à travers la traduction latine de Moerbeke du commentaire de Simplicius) chez Saint Thomas et dans les Quaestiones de Jean Buridan et Nicole Oresme. Il revient enfin brièvement sur l'Apologia de quinta essentia caeli adversus Xenarcum, Ioannem Grammaticum et alios' de Cesare Cremonini (Venise 1616). Dans les pages de conclusion (199-204), F. résume opportunément les arguments et les résultats de sa recherche.
Le volume est agrémenté d'une bibliographie et d'indices (205-227).
Falcon propose une lecture intéressante et personnelle de Xenarque en tenant compte des sources anciennes et de la littérature moderne qui mérite beaucoup d'attention. Il faut donc se montrer reconnaissants envers Falcon pour avoir eu le courage de faire revivre sous une nouvelle lumière la mystérieuse figure de Xenarque.
Tiziano Dorandi