Rezension über:

Sébastien Hamel: La justice dans une ville du Nord du Royaume de France au Moyen Âge. Étude sur la pratique judiciaire à Saint-Quentin (fin XIe -début XVe siècle) (= SEUH. Studies in European Urban History (1100-1800); 24), Turnhout: Brepols 2011, XV + 411 S., 8 Kt., ISBN 978-2-503-52924-0, EUR 74,00
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Rezension von:
Bruno Lemesle
Département d'histoire, Université de Dijon
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Bruno Lemesle: Rezension von: Sébastien Hamel: La justice dans une ville du Nord du Royaume de France au Moyen Âge. Étude sur la pratique judiciaire à Saint-Quentin (fin XIe -début XVe siècle), Turnhout: Brepols 2011, in: sehepunkte 12 (2012), Nr. 10 [15.10.2012], URL: https://www.sehepunkte.de
/2012/10/21612.html


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Sébastien Hamel: La justice dans une ville du Nord du Royaume de France au Moyen Âge

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Cet ouvrage préfacé par Claude Gauvard est issu d'une thèse de doctorat soutenue en 2005 à l'université de Paris 1 (Sorbonne); il s'inscrit dans le courant renouvelé et à présent vigoureux des études menées par des historiens sur la justice au Moyen Âge. Sébastien Hamel se donne pour but d'en décrire le fonctionnement dans une ville du nord du royaume de France dominée socialement par la bourgeoisie drapière; la ville est entrée dans le domaine royal en 1213 sous Philippe Auguste et elle fit partie des possessions bourguignonnes à partir de 1435 à la suite du traité d'Arras. La justice municipale concentre l'intérêt, les autres juridictions étant considérées dans leurs relations avec elle. L'auteur a pris le parti d'en évoquer tous les aspects, un parti pris parfaitement justifié, qui le mène à mettre en premier lieu l'accent sur le versant institutionnel présenté en suivant ses étapes chronologiques. Cela le conduit donc à évoquer la formation précoce de la commune de Saint-Quentin vers 1070-1080, qui est d'abord une paix, puis l'affirmation de sa juridiction à partir du milieu du XIIe siècle qui coïncide avec la manifestation de la puissance sociale des bourgeois. Grâce à la charte de commune confirmée, et réécrite, en 1195, elle est une entité reconnue par Philippe Auguste.

A partir de son entrée dans le domaine royal, la ville inaugure une phase complexe de luttes d'influence et d'autorité avec le pouvoir royal qui passe par des conflits de juridiction, preuve s'il en est que la justice est bien au cœur de l'affirmation politique dans ces siècles de construction de l'État monarchique. Ces conflits, par leurs enjeux, transcendent ceux issus des rivalités avec les justices seigneuriales, rapidement réduites à presque rien, et avec les cours ecclésiastiques, que l'auteur décrit minutieusement; là aussi les conflits portent sur les compétences juridictionnelles. Hamel présente en détail les différents épisodes de ces conflits d'influence, l'appui sur les juristes, mais aussi les phases d'accord intéressées de la part du roi dont la complaisance est due à son besoin du soutien financier de la ville dans ses campagnes militaires. La commune sous Philippe le Bel sut aussi en profiter pour s'imposer par des actions parfois violentes face aux autres autorités locales et pour étendre sa juridiction à leur détriment.

Deux chapitres sont consacrés respectivement aux officiers de la justice municipale et à ses auxiliaires: ces derniers approchent peut-être le nombre de quatre-vingt-dix au XIVe siècle, lorsque la ville dépasse les 12 000 habitants, avant qu'il ne décline ensuite. C'est un des intérêts du livre que d'exposer à la fois la diversité des fonctions, une certaine complexité des carrières, et de livrer des aperçus de la sociologie urbaine.

Après l'étude de l'origine et du développement de la justice dans la ville (première partie) et de la justice municipale face aux autres justices (deuxième partie), la troisième partie de l'ouvrage est consacrée tout entière à celle de la pratique judiciaire municipale. Un chapitre est dévolu à la justice civile, justice gracieuse et procès civils essentiellement, où la procédure fait l'objet d'un développement. Deux chapitres enfin traitent de la justice criminelle et des voies de recours contre la justice de la ville. Celui sur la justice criminelle permet de mesurer l'influence et le poids grandissant de la justice municipale qui parvient, dans la seconde moitié du XIVe siècle, à s'attribuer des causes spirituelles relevant normalement de l'Église, quitte à maquiller des causes d'adultère en cas de prostitution par exemple. De la même façon, le fait que les querelles de juridiction qui opposent la justice municipale et le Parlement portent presque toutes sur des cas criminels est un indicateur de l'enjeu qu'ils constituent, que S. Hamel identifie comme un enjeu de prévention.

Les chapitres sur les acteurs de la justice et sur leurs fonctions constituent un des apports les plus intéressants du livre. En revanche, en focalisant la plus grande partie de l'étude sur les rapports institutionnels, les ressorts et les conflits juridictionnels, même si cela devait être fait, l'auteur offre une vue assez classique de la justice; si ses études sont précises et nourries, si les étapes de l'histoire complexe et agitée de la justice municipale née de la commune sont parfaitement dégagées, il est dommage que l'étude des conflits proprement dits, et celle des procès, ne reçoive que la portion congrue dans un livre qui se donne pour objet l'étude de la justice, et c'est même surprenant de la part d'un auteur qui se réfère au modèle du règlement des conflits; même la description des procédures dans les procès n'est faite que de façon synthétique et à la manière d'un catalogue. On regrette par ailleurs que la période bourguignonne soit traitée seulement en dix-huit lignes (151).

Il est également dommage de relever des lacunes bibliographiques importantes: l'ouvrage collectif dirigé par Chiffoleau, Gauvard et Zorzi, « Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes d'Occident à la fin du Moyen Âge», paru en 2007, manque, et l'on pourrait en citer bien d'autres (les travaux de Mario Sbriccoli, par exemple). C'est une bibliographie qui ignore des pans entiers de l'histoire de la justice des derniers siècles du Moyen Âge et en outre certains ouvrages cités à la fin du livre n'apparaissent pas dans les notes quand on les y attend (ceux de Corinne Leveleux ou de Valérie Toureille, par exemple). 

La tentative de définition du crime ignore son histoire, à commencer par l'évolution et la précision de son sens dans le droit canonique à partir de la seconde moitié du XIIe siècle; or il aurait été intéressant d'analyser ce passage du droit canonique au droit civil et de mettre en valeur le retard, et une probable réticence, de la juridiction municipale à l'employer et à se l'approprier.

A propos des trois procédures, accusatoire, par dénonciation et inquisitoire (par la fama), aucune référence n'est faite au précédent ecclésiastique de la décrétale Qualiter et quando, pas plus qu'on ne trouve à ce sujet de références aux travaux de Richard Fraher, de Lotte Kéry ou de Julien Théry. L'auteur ne voit pas que les trois procédures qu'il décrit sont conformes, au moins en ce qui touche l'introduction de l'instance, à la procédure canonique. La justice criminelle fut un enjeu disputé entre la juridiction royale et celle de la ville: mais ce fait patent est peu mis en valeur par l'auteur qui y voit un simple exercice de prévention, sans considérer en quoi elle relève d'un enjeu de pouvoir au sens large.

Il reste malgré tout un ouvrage clairement écrit, une étude originale qui méritait d'être faite et qui apporte des éclairages très utiles sur la justice des derniers siècles du Moyen Âge dans le royaume de France.

Bruno Lemesle