Diego Deleville: Les Italiens en Dauphiné à la fin du Moyen Âge. Crédit, finance, pouvoir (= La Pierre et l'Écrit), Grenoble: Presses universitaires de Grenoble 2012, 472 S., 15 farbige Karten, ISBN 978-2-7061-1720-6, EUR 40,00
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"De la fin du XIIIe siècle au début du XVe siècle, le Dauphiné a accueilli l'arrivée de nombreux marchands, financiers et juristes provenant d'Italie. Actifs sur le marché du crédit, les banquiers marchands italiens établissent des rapports ambigus tant avec leurs hôtes qu'avec leur clientèle, dont ils partagent le quotidien". La première phrase du quatrième de couverture indique d'emblée les enjeux de l'étude de Diego Deleville et les problématiques abordées. Dans cet ouvrage, publication de la thèse de l'auteur, sont mises en exergue trois thématiques: tout d'abord celle de l'usure étudiée d'un point de vue religieux, économique et social, ensuite, le rôle des financiers dans les pratiques de gouvernement du Dauphiné, et enfin l'intégration et l'évolution des Italiens dans les réseaux professionnels et familiers observées par l'intermédiaire d'une étude prosopographique.
L'enquête, ainsi présentée, suscite des interrogations. Qui sont ces Italiens? Comment et pourquoi sont-ils venus en Dauphiné? Comment le pouvoir civil a-t-il utilisé leurs compétences? Comment vivaient-ils et ont-été-t-ils intégrés? Comment était perçue, voire combattue, leur principale occupation, à savoir l'usure? À ces questions, l'auteur apporte des réponses selon un plan organisé en trois parties: "Les Italiens en Dauphiné, un groupe aux origines et aux compétences disparates" (17-145), "Prospérité des hommes d'affaires italiens en Dauphiné" (149-280), et "Vie et identité des Italiens en Dauphiné" (285-436). Le plan, thématique, répond à la volonté de Diego Deleville d'apporter une "pierre à l'édifice de l'histoire dauphinoise, mais aussi à celle des diasporas italiennes du bas Moyen Âge" (9). Chaque chapitre est construit de manière indépendante. De ce fait, on a souvent du mal à suivre la logique propre de l'ouvrage. Par exemple, la partie sur l'usure est insérée entre deux parties traitées selon des codes propres à la prosopographie. La construction de l'ouvrage aurait gagné à bien différencier l'étude sociale d'un groupe d'hommes d'une part et leurs activités, d'autre part. Les propos s'appuient alors sur de nombreux dépouillements, qu'on n'imagine avoir été effectués aux archives départementales de l'Isère (12), ainsi que dans diverses archives communales, bien que la précision soit manquante (451).
Dans le premier chapitre qui relève plus d'une introduction, l'auteur précise l'objet de son étude. La venue des banquiers-marchands italiens en Dauphiné de la fin du XIIIe siècle au début du XVe siècle répond alors à des besoins précis d'une part, et à des facteurs qui ont favorisé la migration, d'autre part. Ainsi l'ouverture aux phénomènes économiques de la société nobiliaire débouchant sur une expansion géographique de ses fils, la création et le développement des foires de Champagne, l'utilisation des compagnies italiennes par la papauté pour le transfert des sommes d'argent perçues de la fiscalité naissante, à savoir les décimes et non les dîmes qui relèvent de la fiscalité épiscopale, ont-ils été des éléments de migration. L'auteur observe alors l'occurrence du terme "lumbardus" ou florentin dans l'anthroponymie delphinoise, relevant ainsi la diffusion du vocable et l'émergence d'une nouvelle représentation sociale et économique. En outre, l'implantation des Italiens, notamment d'origine toscane, est directement liée à des intérêts financiers entre les dauphins, la haute-noblesse et les financiers ultramontains. Il apparaît alors que la pratique du crédit est liée à l'activité marchande, ne laissant pas la possibilité de s'en dégager. Les marchands ne furent pas les seuls Italiens à venir s'installer dans le Dauphiné. L'auteur montre que le Dauphin a recruté de nombreux civilistes, tel Pierre de Raconisio, originaire de Pignerol, actif entre 1232 et 1237. La recherche de compétences spécifiques n'est pas propre à l'administration delphinoise, mais s'insère bien, comme le montre l'auteur, dans un courant de professionnalisation des agents des communes, des princes, ou des serviteurs de l'Église. Enfin, les dauphins ont aussi recours au service d'Italiens pour la gestion de certaines châtellenies, la plupart d'entre eux étant déjà des prêteurs.
Dans une deuxième partie, Diego Deleville présente le statut juridique et les privilèges judiciaires des banquiers-marchands italiens. Ainsi, avaient-ils le droit de transmettre leur patrimoine à leur descendance ou à des collatéraux. En outre, afin d'éviter la multiplication des procédures vexatoires et différents procès, les marchands italiens bénéficiaient de privilèges de juridiction favorables. L'auteur montre la construction progressive de liens d'interdépendance entre les sociétés du Dauphiné et les créanciers italiens. Par exemple de nombreuses communautés eurent recours au crédit pour financer l'aménagement et l'entretien de ponts, de remparts ou de la voierie, mais ces mêmes libertés ont souvent été concédées pour rembourser les marchands italiens!
Enfin, une dernière partie présente la vie et la carrière des marchands italiens. "Les relations financières au sein des institutions politiques sont révélatrices de relations humaines particulières, impliquant un rapport de réciprocité et de dépendance mutuelle. Les acteurs italiens de la vie politique, juridique et économique dauphinoise, qui ont approché les dauphins et se sont retrouvés à leur "service", ont-ils été de véritables serviteurs de l'État dauphinois?" (133). L'auteur s'interroge alors sur le profil et la carrière des Italiens qui ont entouré les dauphins, et surtout si "forts de leurs diversités, y ont-ils véritablement formé une communauté distincte?" (354). La communauté marchande a disposé d'une ossature institutionnelle et juridique, l'universitas mercatorum lombardorum et toscanorum. Ce sont toutefois les immunités et les franchises qui ont contribué à leur stabilisation et leur intégration dans la communauté à laquelle ils étaient associés. Ensuite, vient le temps des stratégies matrimoniales...
L'ouvrage de Diego Deleville s'insère dans de nombreux questionnements actuels, notamment ceux portant sur les serviteurs des différentes administrations. Il présente l'originalité de montrer comment les besoins financiers d'un État et de ses habitants ont pu favoriser l'usure et l'implantation d'un groupe de population. En outre, l'insertion étroite des Italiens dans le Dauphiné se situe à plusieurs niveaux, que cela soit territorial, social ou administratif. Enfin, l'étude précise des ramifications sociales, économiques, voire culturelles de l'usure et témoigne de la place de l'emprunt et de sa force dans les relations économiques. En ce sens, l'auteur apporte bien "sa pierre à l'édifice scientifique".
Amandine Le Roux