Murielle Gaude-Ferragu / Bruno Laurioux / Jacques Paviot: La Cour du Prince. Cour de France, cours d'Europe, XIIe - XVe siècle (= Études d'Histoire Médiévale; 13), Paris: Editions Honoré Champion 2011, 658 S., ISBN 978-2-7453-2244-9, EUR 100,00
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L'ouvrage offre un jeu d'approche pluridisciplinaire de « la Cour du prince » entre XIIe et XVe siècle, la volonté des éditeurs étant de proposer une définition du phénomène curial en Europe et d'analyser le rôle de modèle de la cour de France. Le livre regroupe ainsi vingt-neuf communications d'inégale valeur qui sont réparties en 658 pages, dont 87 sont dédiées à une liste de sources et de références et 19 aux indispensables index. Trois grandes thématiques structurent l'ensemble: en premier lieu « organisme curial, régulation, circulation des modèles, localisation », en deuxième « la société de cour: vie, ordre et critique », enfin, la « cour, modèle culturel, piété, arts et littérature ». Si le phénomène curial, défini comme entourage du roi au sens large et système politique, artistique, culturel et social n'est pas méconnu de l'historiographie moderne, il n'avait été que peu étudié à l'époque médiévale. Le renouveau est porté par les problématiques issues de la « Genèse de l'État moderne » et une lecture attentive des sources afin de présenter la cour comme un espace de souveraineté.
Tout d'abord, la cour de France telle qu'elle s'est développée sous les Capétiens se caractérise par la construction d'un organisme dont le roi était la personne centrale. Le cas du règne de Philippe III (1270-1285) montre que si la cour n'était pas encore une réalité institutionnelle définie, elle existait à travers des milieux de cour. Puis, les services qui avaient la charge de la vie quotidienne du roi sont réglementés par des ordonnances et une différenciation s'est progressivement amorcée sous Philippe Le Bel (1282-1314). Cette évolution a été source d'inspiration pour les autres cours. Par exemple, la fonction de maître de l'hôtel du pape a été mise en place par Clément VI (1342-1352). L'office devient alors de plus en plus technique, par exemple, Urbain V (1362-1370) a refusé un modèle trop laïque et a privilégié une tradition romano-curiale, empreinte de rigueur monacale. Dans le Piémont et en Savoie, l'influence de la cour française est tout aussi prégnante, mais plus tardive. Dans le premier cas, la fonction de maître de l'hôtel ne se met en place qu'au XVe siècle et dans le second, le développement des ambassades par le duc Amédée est lié à son activité diplomatique entre la France et la Bourgogne. En revanche, des différences notables s'observent à la cour des ducs de Milan entre 1395 et 1494: la cour était moins structurée que celle du roi de France et servait d'objet de contrôle des princes sur leur dominio. Cette volonté de maîtrise et de propagande se retrouve dans la construction d'un palais neuf en 1408 à partir de l'hôtel d'Artois à Paris par Jean sans Peur ou dans celle du château de Vincennes par Charles V entre 1361 et 1380 ou par la multiplication des édifications d'hôtels par les princes à Paris. Le palais de Jean sans Peur était le symbole de ses ambitions politiques et réformatrices pour le royaume, tandis que le château de Vincennes exprimait tout autant le souci de sécurité et la militarisation de la vie de Charles V que son ambition d'en faire une résidence princière de premier ordre.
Au sein de ces cours royales et princières, des règles et usages sont progressivement codifiés: ce sont les cérémonials de cour. Ceux-ci deviennent les principaux vecteurs de la représentation du pouvoir et de la souveraineté. Par exemple, l'ornementation de la chambre de gésine à la cour de Bourgogne et dans celle de Savoie au XVe siècle, souvent de couleur verte, atteste une forte influence du modèle français, pour démontrer la souveraineté dans les cérémonies liées à la naissance. De même, l'éducation du prince et de l'élite nobiliaire faisait l'objet de toutes les attentions. Elle se faisait dans le cadre de l'hôtel où il fallait se distinguer pour s'assurer une réussite complète. Les mariages avaient aussi cette fonction de mise en scène. À la cour de France, ils étaient fastueux du règne de Saint Louis à celui de Philippe le Bel, puis de nouveau sous les Valois à partir de 1345. La représentation des souverains passait principalement par les offices de bouche. Au XIVe siècle, le cérémonial du repas exalte ainsi la puissance et la prospérité du roi, procédé que le duc de Bourgogne a calqué au milieu du XIVe siècle. La création d'une nouvelle forme de sociabilité chevaleresque vers 1400 atteste également l'existence de jeux emblématiques et imaginaires, qui sont repris dans le choix des vêtements. Ceux-ci deviennent des modes de représentation dans les cours européennes au XIVe siècle. Tel est le cas des livrées emblématiques d'un prince qui permettent aux courtisans de partager l'apparence du prince et à celui-ci d'accroître son prestige par la démultiplication de sa présence. Dès la fin du XIIe siècle, s'amorce cependant une critique de la vie curiale, en particulier dans les milieux des évêques et des ecclésiastiques de cour en Angleterre: elle est inspirée par l'œuvre de Jean de Salisbury. Pour ce dernier, les clercs curiaux doivent faire œuvre de fonction utile auprès des princes comme confesseurs, conseillers ou éducateurs. La lecture de cet auteur permettait de dénoncer la contradiction vécue par les gens de clergie obligés de se soumettre au tourbillon de la vie curiale. L'égoïsme et le manque de charité sont décriés comme les principaux désordres à la cour de Charles VI (1380-1422). C'est à cette époque que le vocabulaire de l'envie et de la haine entre les princes, sentiments entretenus par les courtisans, est apparu. Aussi, le poète Eustache Deschamps dénonce-t-il les fanfaronnades de trompettes à l'intérieur de la cour qui ne sont à son avis que du vent. Dans ce cadre, l'emploi de procédés magiques a longtemps visé à se venger de disgrâces, à renforcer une position ou à retrouver un rang perdu. L'utilité de la magie a surtout été d'obtenir des honneurs et des dignités dans la hiérarchie politique et ecclésiastique.
La cour sert de modèle culturel dans divers domaines: les reliques à l'exemple des frères de Charles V qui les ont collectionnées; la musique, avec le développement de la chapelle du palais, puis de la chapelle de l'hôtel comme véritable chapelle musicale dans les années 1346-1350; les arts comme l'attestent les relations artistiques entre la cour de René d'Anjou et la cour de France ou le raffinement et le luxe dans les cercles de pouvoir, notamment à Paris ou à la cour de Hainaut; la littérature à l'exemple de la belle bibliothèque de Clémence de Hongrie, de l'écriture d'une histoire propre au milieu curial entre XIIe et XVe siècle, inspirée des Chroniques de Froissart, comme en témoignent les chroniques savoyardes du XVe siècle et des premiers romans « de style gothique » tel le Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil qui permettent une réflexion sur la culture de cour et les valeurs qui la soutiennent. Enfin, seule la cour des Angevins de Naples (1268-1382) échapperait à la prédominance du modèle français.
Pour conclure, les attentes suscitées par cet ouvrage ne sont pas toutes réalisées, mais en dépit de cette déception et réserve on ne peut que recommander la lecture de ce livre foisonnant qui a le mérite de proposer un déchiffrement varié et riche du phénomène curial en Europe.
Amandine Le Roux