Manuela Beer / Iris Metje / Karen Straub et al. (eds.): The Magi. Legend, Art and Cult, München: Hirmer 2014, 335 S., 230 Farbabb., ISBN 978-3-7774-2267-1, EUR 49,90
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À l'occasion du 850e anniversaire de l'arrivée (supposée) des reliques des Rois mages à Cologne [1], la ville s'est animée, à la fin 2014, de nombreuses manifestations [2] dont la plus notable fut l'exposition du Museum Schnütgen, tenue du 25 octobre 2014 au 25 janvier 2015 et marquée par l'édition du présent catalogue.
Deux expositions similaires avaient été présentées à Cologne déjà en 1982, et à Palerme en 1992, avec des thèmes spécifiques, les Trois Rois de Cologne en Germanie pour la première, et les Trois Rois en Sicile pour la seconde. [3] Le Museum Schnütgen a opté pour une transversalité inédite, l'Occident du IIIe au XXe siècle, prenant le risque de se heurter à deux écueils: l'un, pratique, brillamment surmonté, implique un partenariat muséal solide; le second, théorique, demande une pensée transversale du sujet, ce qui semble moins habilement réalisé.
Le matériau réuni impressionne: 62 collections publiques mobilisées dans 55 villes et dans 10 pays. Les Staatliche Museen de Berlin, le Victoria and Albert Museum de Londres, le Metropolitan Museum of Art de New York, le Louvre et les musées du Vatican, entre autres, ont enrichi l'exposition d'objets incontournables, sans compter une fructueuse coopération avec le Musée national du Moyen Âge de Paris, le Museo Nazionale del Bargello de Florence et le Museu Episcopal de Vic en Catalogne pour l'exposition "Voyager au Moyen Âge". [4] Les institutions colonaises ont cependant fourni la contribution la plus importante, réunissant 26 œuvres du Museum Schnütgen, du trésor de la cathédrale, du Kölnisches Stadtmuseum, des archives de la ville et du Wallraf-Richartz-Museum.
Devant une telle profusion (127 objets dont trois œuvres exposées dans la cathédrale ainsi que les portes sculptées de Sainte-Marie du Capitole restées in situ), saluons la place accordée à l'Antiquité tardive et au Moyen Âge. Le lecteur informé y reconnaîtra des "icônes": l'épitaphe de Severa, le chapiteau du Songe des Mages de Saint-Lazare d'Autun, l'Adoration des Mages de Bartolo di Fredi ou celle de l'atelier de Bruegel le Jeune. Il se réjouira également de découvrir des œuvres moins diffusées, mais tout aussi remarquables. Se côtoient ainsi les plus beaux exemples de l'art funéraire et liturgique antique, des arts précieux du Haut Moyen Âge, de l'émaillerie et des chapiteaux romans, de l'ivoirerie gothique, de la peinture prémoderne toscane et nordique jusqu'aux crèches napolitaines du XIXe siècle, servis par des reproductions abondantes et de qualité. Relevons de même le souci de concilier image et écrit: l'incipit de l'Évangile de Matthieu d'une Bible de Ratisbonne ouvre un catalogue qui opère un retour constant aux témoignages liturgiques et légendaires.
Deux textes de Jürgen Roters, maire de la ville, et de Norbert Feldhoff, doyen de la cathédrale Saint-Pierre, inscrivent l'événement dans une véritable célébration colonaise. Une introduction de Manuela Beer et Moritz Woelk, concepteurs de l'exposition et éditeurs scientifiques du catalogue, expose quant à elle les thèmes abordés: des mages aux Rois mages; la Vierge Trône de Dieu; l'Histoire du Salut; les Trois Rois de Cologne; l'âge des cathédrales gothiques; le bas Moyen Âge et la prémodernité; les donateurs et mécènes; l'attrait pour l'exotisme. Ceci organise les 127 notices du catalogue, chacune étant indexée, en en-tête, par un ou plusieurs de ces axes, procédé qui devient rapidement abscons et peine à concilier l'hétérogénéité des contextes de production, les thèmes proposés et la chronologie, lacune imputable à une envergure mal contenue.
Chaque notice propose une analyse de l'œuvre, une bibliographie exhaustive et une illustration, mais leur agencement témoigne à nouveau d'un problème inhérent à l'ampleur du projet: de la multiplication des lieux d'emprunt résulte un grand nombre de rédacteurs forcés à la concision (présentation sommaire et description) et donc à la répétition. La qualité des textes est par ailleurs inégale, et une majorité d'entre eux, rédigée avec sérieux, en côtoie d'autres aux interprétations hâtives. Plus généralement, ces textes n'étaient aucune réflexion ciblée sur un type de production, une tradition ou une région spécifique. Que dire de la distinction entre Mages antiques et Rois mages médiévaux, hormis leurs couronnes? Comment analyser le rôle de la Vierge dans l'image, lorsqu'elle évolue du type "Trône de Sagesse" vers celui des grandes vierges gothiques ou des "Vierges ouvrantes"? Quelles distinctions opérer entre les traditions picturales toscane et des Flandres, lorsque celles-ci adaptent différemment un même sujet? Ces interrogations, stimulées par un riche ensemble d'images, ne trouvent ici aucun relai analytique.
Malgré cela, le catalogue intéressera particulièrement lorsqu'il illustre le lien durable établi entre la ville et ses "Trois Rois" dès 1164, alors que leur présence physique, merveilleusement mise en image sur leur châsse par Nicolas Verdun au tournant du XIIIe siècle, favorise une dévotion à l'origine d'une production artistique foisonnante: l'autel sculpté de la cathédrale (ca. 1310-1320); son jubé peint (1332-1349); le groupe sculpté du portail du cimetière de l'abbaye Sainte-Marie du Capitole (Dreikönigenpförtchen, XIVe siècle); le retable de Stefan Lochner (ca. 1442); jusqu'à la présence protectrice des Rois au-dessus d'un panorama de la cité sur une gravure d'Anton Woensam de Worms (1531). L'iconographie ne suffisant pas, seule, à prendre la mesure de l'installation définitive des Rois mages à Cologne, le rituel et sa dimension politico-religieuse sont judicieusement rappelés par des manuscrits tels que le registre des possessions de la fraternité des Trois Rois (ca. 1250) ou l'antiphonaire de Cologne accompagné d'une édition traduite de la célébration de la translatio. Enfin, l'hagiographie contenue dans un manuscrit de l'abbaye de Cambron en Belgique (XIIIe siècle) rappelle la construction progressive de la légende des reliques. La thématique du pèlerinage est pourtant cruellement absente: cet aspect aurait pu être représenté par des objets produits dans la ville elle-même, tels que les enseignes de pèlerinage, les médaillons et autres amulettes apotropaïques, auxquels fut ici préféré un art d'élite.
La mise en scène des "Trois rois" est en revanche mise à l'honneur. Les aquarelles de Tony Avenarius rappellent la procession organisée à l'occasion de l'achèvement de la cathédrale, le 16 octobre 1880, mais on retiendra surtout celle du 15 août 1948 (pour l'anniversaire de la cathédrale), fixée par l'objectif de Karl Hugo Schmölz dans de saisissantes photographies montrant le retour de la châsse dans sa cathédrale, à travers une ville en ruine, portée par une foule envoyant un message de renaissance, forte d'une communion inaltérable avec ses Rois jusque dans le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale.
Ce catalogue, d'un point de vue scientifique, n'égale pas celui de l'exposition de 1982 qui apportait, en plus du matériau documentaire, un recueil d'articles d'une incontestable qualité. Sur ce point, le lecteur se contentera ici des riches reproductions et d'une bibliographie finale très dense, pour une publication qui vise finalement à la vulgarisation, offrant un voyage illustré à travers l'histoire, le culte et la légende des Rois mages, fondé sur des acquis historiographiques anciens, mais avec une édition de qualité. Un second dessein, sensible dès les textes introductifs, est celui d'une promotion de Cologne elle-même par une nouvelle célébration de son patrimoine à la renommée internationale. Le Museum Schnütgen propose donc un regard colonais sur un thème évangélique que la ville a fait sien, depuis 1164, dans ce catalogue conçu comme un document supplémentaire à apporter à l'histoire des noces entre Cologne et ses Rois, qui dure maintenant depuis plus de 850 ans.
Notes:
[1] Pour une étude critique de la "légende" du transfert des reliques de Milan à Cologne: Patrick Joseph Geary: I Magi e Milano, in: Carlo Bertelli (dir.): Il millennio ambrosiano. La città del vescovo dai Carolingi al Barbarossa, Milan 1988, 274-287, article repris et corrigé en anglais, The Magi and Milan, in: Living with the Dead in the Middle Ages, Londres 1994, 243-256.
[2] Cf. http://www.dreikoenigsjahr.de [05/07/2015]. Citons en premier lieu l'exposition tenue dans la cathédrale et son catalogue: Leonie Becks / Matthias Deml / Klaus Hardering: Caspar, Melchior, Balthasar. 850 Jahre Verehrung der Heiligen Drei Könige im Kölner Dom, cat. exp. Cologne, Hubertuskapelle und Schatzkammer des Kölner Domes, Cologne 2014; celle de la bibliothèque diocésaine: Die Dreikönigstranslation, mais aussi celles organisées simultanément par le Kolumba Kunstmuseum des Erzbistums Köln et les archives de la ville. Plusieurs colloques ont également été organisés, notamment celui accompagnant l'exposition au Museum Schnütgen dont on espère une édition prochaine des actes.
[3] Rainer Budde (dir.): Die Heiligen Drei Könige. Darstellung und Verehrung, cat. exp. Cologne, Wallraf-Richartz-Museum in der Josef-Haubrich-Kunsthalle, Cologne 1982; Maria Concetta Di Natale (dir.): In Epiphania Domini. L'Adorazione dei Magi nell'arte siciliana, cat. exp. Palerme, cathédrale, Palerme 1992.
[4] Benedetta Chiesi / Michel Huynh / Marc Sureda i Jubany: Voyager au Moyen Âge, cat. exp. Paris, Musée de Cluny-Musée National du Moyen Âge, Paris 2015; Benedetta Chiesi / Ilaria Ciresi / Beatrice Paolozzi Strozzi (dir.): Il Medievo in viaggio, cat. exp. Florence, Museo Nazionale del Bargello, Florence 2015.
Mathieu Beaud