Sophie Vallery-Radot: Les Français au concile de Constance (1414-1418). Entre résolution du schisme et construction d'une identité nationale, Turnhout: Brepols 2016, 629 S., 10 s/w-Abb., ISBN 978-2-503-56464-7, EUR 95,00
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Le présent volume est l'édition d'une thèse soutenue à Lyon II en 2011 sous la direction de Nicole Bériou. L'objet du travail est de comprendre ce qu'est une « nation conciliaire » au moment du concile de Constance entre 1414 et 1418 : quels sont les liens entre la « nation conciliaire » et la nation ou encore entre la nation conciliaire et l'identité nationale française. Ayant assimilé la lourde historiographie sur le concept de nation (au XIXe et au XXe siècles) et l'historiographie sur les conciles, l'auteur choisit de lier « nation conciliaire » et identité nationale, lien qui n'aurait pas été établi jusqu'à présent. Au terme d'un minutieux développement, à coups de définition précise et d'une narration serrée, elle conclut que le concile de Constance aura été un terreau très fertile pour faire émerger une conscience nationale française plus vive.
Pour mener son enquête, elle s'appuie sur des sources essentiellement narratives : les journaux (ceux de Guillaume Fillastre, de Jacobus Cerretanus, de Guillaume de la Tour), les chroniques (celle de Richental, de Michel Pintoin, d'Enguerrand de Monstrelet), les correspondances, les sermons et discours, les actes des grands procès. D'où essentiellement, une progression chronologique de la démonstration. L'auteur suit de très près le déroulé événementiel, un déroulé commandé par son corpus et par le choix d'une étude de son thème en fonction des évolutions et des ruptures au concile de Constance. Un plan en trois parties suit la chronologie. La première partie (novembre 1414-mars 1415) est celle de « l'ébauche de construction d'une identité nationale » : c'est la mise en place des nations, des premières décisions conciliaires importantes, des premiers conflits entre les nations et au sein de la nation française. S. Vallery-Radot y décrit la formation de la nation française, les nominations des représentants, leurs arrivées plus ou moins échelonnées, le vote per nationes, très controversé. Ici, l'étude prosopographique prend toute son ampleur, à la suite des travaux d'Hélène Millet sur les participants au concile de Pise. Les listes des participants sont établies et la prosopographie permet de situer leurs origines géographiques, sociologiques et religieuses. Elle permet surtout de cartographier des réseaux - curiaux, familiaux, religieux, universitaires, politiques, des amitiés et des inimitiés, durables, tenaces. Tableaux, schémas, courbes et cartes sont les bienvenus ici pour mieux situer les acteurs de cette nation française au sein du concile et par rapport au Royaume de France et à ses frontières. Car la « nation conciliaire » française interroge la notion de frontière : ses membres viennent du Royaume de France et de ses marges telles la Lorraine, la Franche-Comté, la Savoie. Autrement dit, il y a les Français du royaume et ceux relevant de l'Empire. Il convient alors de dissocier la communauté linguistique du sentiment d'appartenance nationale. D'emblée, ce qui émerge de cette première séquence, c'est le refus d'une ingérence de Sigismond, roi des Romains dans les affaires nationales et le refus de sa main-mise sur le Concile. Si la nation française au début du concile reste composite et divisée, elle prouve néanmoins sa potentielle aptitude à s'unifier pour défendre ses intérêts. À peine perceptible, le rapprochement entre la nation conciliaire française et la nation France tend à s'opérer du fait de la défense de l'honneur du roi et du royaume.
Arrive alors la césure majeure du concile de Constance : le 21 mars 1415, Jean XXIII, pape pisan, prend la fuite de Constance à Schaffhouse. La deuxième partie de l'ouvrage peint « La nation française dans la tourmente » (21 mars 1415-27 janvier 1417). C'est une rupture forte. Tous les autres débats deviennent secondaires et les circonstances exigent des mesures d'urgence malgré les dissensions. Les universitaires imposent l'idée que le concile doit continuer en dépit de l'absence du pape. Le parti bourguignon intrigue contre les Armagnacs au pouvoir, par le biais de l'affaire Jean Petit. Avec le revirement de Sigismond qui scelle une alliance avec Henry V d'Angleterre (traité de Cantorbery, 15 août 1416) et qui se rapproche de Jean Sans Peur, on assiste à une poussée du nationalisme français : la nation française fait acte de résistance au pouvoir impérial et manifeste son esprit d'indépendance. L'esprit de contestation est vif contre Sigismond et son thuriféraire, Jean Mauroux, patriarche d'Antioche. L'humiliation est douloureuse. La trahison dénoncée. L'indignation passionnelle. Autour du roi de France et du loyalisme monarchique, les Français font corps. D'autant plus, que le concile de Constance est également le théâtre de l'affrontement franco-anglais. Pierre d'Ailly, chef de file du proto-nationalisme français attaque les Anglais, cherchant la victoire morale qui permettrait de contrebalancer les défaites militaires du moment.
Ce combat porte ses fruits durant l'année 1417. La troisième partie (de janvier 1417 à la fin du concile) est le temps du « sursaut national des Français dans un climat de crise ». Lorsque le 27 janvier 1417, Sigismond revient à Constance, une nouvelle étape du concile commence : l'empereur, fort du soutien des Anglais et des Bourguignons, multiplie les provocations et les agressions à l'encontre de la nation française, déclarée ennemi inconditionnel. L'arrivée des Castillans à Constance aux côtés des Français et le rapprochement avec les Italiens permet une union des trois nations romanes. Quoi qu'il en soit, c'est dans l'humiliation commune qu'une sorte de solidarité semble s'être créée à Constance. Les revendications gallicanes et l'affirmation des libertés de l'Eglise gallicane se multiplient. Théâtre des rivalités entre nations, « le microcosme conciliaire devient durant plus de trois ans un acteur et un miroir de la politique européenne » (483). Le cœur de l'identité française reste incarné par la monarchie et la loyauté à la couronne. Cette expérience de solidarité nationale ressurgit dans les années 1430-1450, lorsque Charles VII, reprenant certaines des revendications gallicanes faites par la nation conciliaire à Constance, se fait le défenseur vigilant des intérêts du royaume et de l'Eglise de France.
Comment mieux dire que la démonstration est convaincante, les sources maîtrisées, l'analyse minutieuse et progressive, le volume d'annexes fait de notices biographiques et des matériaux scientifiques donnés en pièces justificatives d'une grande virtuosité technique ? Sophie Vallery-Radot aura apporté à l'étude du Grand Schisme sa touche personnelle, celle de la prosopographie et de la narratologie, pour saisir un enjeu politique et culturel fort, la construction d'une identité nationale à travers les réseaux, les événements, les rapports de force politiques ainsi que les audaces des personnalités éminentes ou le carriérisme des plus intriguants. Grâce à ce livre, l'on pénètre mieux l'ambiance du concile de Constance, son quotidien, son organisation, ses jeux de pressions, ses enjeux pour la Chrétienté du temps, la caisse de résonnances qu'il représente. Tous les yeux sont fixés sur lui et dans l'opposition, la résistance et l'humiliation, le frémissement du sentiment national français sourd. Dans cette recherche généalogique du sentiment identitaire français, il y a certes quelque chose de louable et de touchant. Reste que parler aujourd'hui d' « identité nationale » interroge quant à l'écriture de l'histoire à l'heure des débats sur le roman national. Le terme n'est pas (plus) neutre et il se doit d'être lui-même mis en question. Six cent ans après le concile de Constance, le « nationalisme » français a d'autres couleurs, d'autres tonalités et d'autres accents. Il aurait simplement fallu les débusquer pour prévenir le lecteur et le mettre en garde face aux pièges d'autres constructions « nationales », celles de ce début de XXIe siècle.
Bénédicte Sère