John W. Baldwin: Knights, Lords, and Ladies. In Search of Aristocrats in the Paris Region, 1180-1220 (= The Middle Ages Series), Philadelphia, PA: University of Pennsylvania Press 2019, XVI + 346 S., 1 Kt., 16 Farb., 15 s/w-Abb, 12 Tbl., ISBN 978-0-8122-5128-9, GBP 50,00
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Susan Broomhall (ed.): Authority, Gender and Emotions in Late Medieval and Early Modern England, Basingstoke: Palgrave Macmillan 2015
Marie-Céline Isaïa / Thomas Granier: Normes et hagiographie dans l'Occident latin (Ve - XVIe siècle). Actes du colloque international de Lyon, 4-6 octobre 2010, Turnhout: Brepols 2014
Fiona J. Griffiths / Julie Hotchin (eds.): Partners in Spirit. Women, Men, and Religious Life in Germany, 1100-1500, Turnhout: Brepols 2014
Décédé en 2015, le grand historien américain John W. Baldwin transmet ici son ultime legs aux médiévistes du monde entier. L'ouvrage Knights, Lords, and Ladies, reprenant ses thèmes de prédilection, s'appuie sur le manuscrit laissé par l'auteur auquel quelques corrections mineures ont été apportées pour en permettre l'édition.
Composé de dix chapitres thématiques, le volume s'ouvre sur l'avant-propos (XI-XVI) d'un autre médiéviste américain de renom, William Chester Jordan. Ce bref préambule vient combler l'absence d'introduction et de conclusion du texte de J. Baldwin et explique les fondements de l'enquête historique que le défunt médiéviste entendait mener. Il s'agissait pour lui d'offrir une étude globale du monde aristocratique vivant autour de la ville royale de Paris sous le règne de Philippe Auguste (1179-1223) en analysant finement ses pratiques sociales et culturelles.
Le premier chapitre (1-23) précise les intentions de l'auteur et fixe les limites historiques, géographiques et sociales de son propos - le monde paysan est volontairement exclus du dossier. Expert en paléographie, J. Baldwin détaille les sources écrites exploitées, soit 1729 chartes laïques et ecclésiastiques, rédigées en latin ou en français vernaculaire, auxquelles il a adjoint des données matérielles archéologiques (monuments, productions artistiques, sceaux) et des textes historiques et littéraires en langue vernaculaire.
Le second chapitre (24-62) délimite avec précision le milieu aristocratique qu'il entend cerner. Ainsi, sur les 3329 noms surgis au fur et à mesure du dépouillement des sources, l'auteur axe son analyse autour de trente-trois familles de rang aristocratique. Pour mieux se repérer dans ce fourmillement d'individus, J. Baldwin propose non seulement de courtes notices biographiques des éléments les mieux documentés, mais également un index des noms (337-346), ainsi qu'un tableau synthétique de leur rang aristocratique (248-249) et des arbres généalogiques (261-275) en annexe. Avec raison, il insiste sur le vocabulaire qualifiant les aristocrates. Eux-mêmes se désignent sous le vocable de chevaliers, de seigneurs, de dames - le terme aristocrate étant utilisé uniquement dans les sources ecclésiastiques -, mettant ainsi en exergue leur fonction militaire et leur rôle social, image de soi qui s'applique également aux sceaux (chevalier à cheval), mais aussi, de plus en plus fréquemment au tournant des XIIe et XIIIe siècles, aux blasons (vingt-et-un blasons connus pour trente-trois familles) qui mettent en valeur le lignage et l'importance des liens familiaux constitutifs du milieu aristocratique (chapitre 3 « Family » 63-77).
L'aristocratie de la région parisienne étant ainsi clairement circonscrite, John Baldwin peut désormais s'attaquer au cœur de son dossier, en abordant ses pratiques sociales et culturelles. Les chapitres 4, 5, 6 et 7 portent sur les questions économiques propres à cette catégorie sociale, tandis que les trois derniers chapitres traitent de sa culture, y compris religieuse. Dans un premier temps, le chapitre 4 (78-100), axé autour des châteaux et des résidences aristocratiques, introduit d'importantes données archéologiques inventoriées en annexe (251) qui soulignent les évolutions progressives en matière d'architecture et de fonctions de l'espace, mais aussi de matériau (du bois à la pierre). Naturellement, cela conduit à s'interroger sur le lien central entre l'aristocratie et la terre (chapitre 5, 103-121) à travers la question des fiefs, mais aussi des relations sociales qui lui sont afférentes (hommage, host, chevauchée). À cette occasion, J. Baldwin souligne combien Philippe Auguste a su habilement jouer du système féodal pour garantir sa puissance royale.
L'analyse des biens fonciers est plus largement développée dans le chapitre 6 (122-129) et le chapitre 7 (130-145), notamment les échanges effectués de l'aristocratie vers l'Église. Sur ce point, l'auteur note que les familles aristocratiques ne se défaisaient pas si facilement de leurs terres mais cédaient plus volontiers les revenus ou les droits qui leur étaient associés, bien qu'elles aient été particulièrement soucieuses d'entretenir de bons rapports avec les ecclésiastiques, notamment dans une relation de contre-don pour obtenir le bénéfice des prières des religieux, comme l'explique le chapitre 8 (146-191) consacré à la spiritualité des aristocrates et à leurs relations à l'Église. Par ailleurs, J. Baldwin s'intéresse, bien que rapidement, au rôle des femmes qui participaient activement à cette économie de la terre, tantôt en tant que donatrices, tantôt en tant que garantes d'une transaction, tantôt en tant que gestionnaires de dots ou de douaires.
Le chapitre 9 (192-228) explore plus en détail la littérature en français vernaculaire composée pour les aristocrates. Selon J. Baldwin, cette dernière reflète mieux que les sources ecclésiastiques les centres d'intérêt des aristocrates (de la chasse à l'amour courtois) et modèle un idéal de vie aristocratique marqué par deux valeurs essentielles : la largesse et la prouesse.
L'ouvrage se clôt sur le chapitre 10, sans doute le plus intéressant. Celui-ci s'attarde sur la présence originale de représentations figurées des familles aristocratiques au sein de la cathédrale de Chartres, en particulier à travers un ensemble de vitraux remarquables placés dans le chœur de l'église, véritable garde d'honneur spirituelle de la Vierge. Plusieurs chevaliers, proches du Prince Louis, futur Louis VIII (1223-1226), y sont représentés tels qu'ils apparaissent également sur leur sceau, c'est-à-dire en armes et à cheval, portant leur blason et les couleurs de leur lignée. Ces œuvres d'art exceptionnelles mettent littéralement en lumière la rapide ascension de la classe chevaleresque, fière de son lignage et de sa capacité à former une catégorie sociale homogène et solidaire. Elles synthétisent ainsi sous une forme esthétique tout ce que l'aristocratie veut dire d'elle-même.
Outre la grande clarté du propos renforcée par l'emboîtement pédagogique des thèmes abordés et la très riche bibliographie (319-335), l'ouvrage offre de nombreux supports iconographiques notamment des reproductions en couleur particulièrement belles des sceaux et des vitraux analysés.
Cependant, on regrettera l'absence de plans des données archéologiques des châteaux étudiés, tels que celui de Roissy, car ils auraient permis de suivre plus aisément les descriptions menées par l'auteur. Néanmoins, cet oubli n'enlève rien à cette brillante analyse historique. Celle-ci constitue tout à la fois le magistral aboutissement d'une vie de recherche dédiée à l'histoire de la région de Paris au XIIIe siècle - le style rapide et précis plonge le lecteur ou la lectrice dans une véritable quête historique comme l'indique le sous-titre Search of Aristocrats in the Paris Region 1180-1220 -, mais aussi un outil pédagogique d'une rare efficacité, montrant intelligemment aux futurs historiens et historiennes non seulement l'importance de la maîtrise des sources écrites, mais aussi l'intérêt de leur croisement avec d'autres données historiques pour restituer de manière la plus rigoureuse et la plus précise possible la vie d'hommes et de femme du passé.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle