Graham Williams / Charlotte Steenbrugge (eds.): Cultures of Compunction in the Medieval World, London: Bloomsbury 2020, IX + 261 S., 16 s/w-Abb., 2 Tbl., ISBN 978-1-7883-1344-5, EUR 85,00
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Iris Geyer (Bearb.): Jakob von Vitry - Das Leben der Maria von Oignies. Thomas von Cantimpré - Supplementum, Turnhout: Brepols 2014
Susan Broomhall (ed.): Authority, Gender and Emotions in Late Medieval and Early Modern England, Basingstoke: Palgrave Macmillan 2015
Jean-Louis Biget (Hg.): Inquisition et société en pays d'oc (XIIIe et XIVe siècles), Toulouse: Editions Privat 2014
Fruit d'un travail collectif mené par plusieurs médiévistes réunis lors du congrès international de Leeds en 2016 (liste des contributeurs et des contributrices VIII-IX), l'ouvrage Cultures of Compunction in the Medieval World a pour objectif de combler un vide historiographique - curieusement toujours présent malgré l'intérêt croissant de l'histoire médiévale pour l'histoire des émotions - autour de la question de la componction et de la contrition au Moyen Âge. En effet, bien que ces deux émotions aient déjà été amplement analysées à l'aune de l'histoire religieuse et des pratiques dévotionnelles, elles l'ont finalement été assez peu dans leur dimension séculière. C'est donc l'ambition expresse de ce volume que d'explorer l'influence de l'émotion de la componction dans la vie quotidienne médiévale au travers des questions de la culpabilité, de la honte et du remords comme l'expliquent Graham Williams et Charlotte Steenbrugge en introduction (1-13).
Ce recueil de sept contributions balaye une large période allant du Ve au XVe siècle et couvre globalement l'Occident chrétien avec des incursions dans le monde byzantin, mais aussi dans les sociétés islandaises et anglo-saxonnes en cours de christianisation. L'essentiel des travaux se concentre sur des sources écrites aussi bien religieuses (hymnes, homélies, traités théologiques) que laïques (littérature vernaculaire), mais propose également une étude originale des fresques du sanctuaire de pèlerinage de Notre-Dame des Fontaines à la Brigue en France. Naturellement la démarche lexicographique domine, mais cela n'exclut pas une réflexion sur l'utilisation du corps et plus particulièrement du visage dans l'expression des émotions médiévales.
L'apport majeur de ces différentes contributions est de dépasser le constat désormais classique que la culpabilité, la honte et le remords ont été des émotions centrales de la culture chrétienne médiévale pour bien plutôt mettre en lumière l'acuité avec laquelle elles ont pénétré plus globalement les mentalités des territoires chrétiens (Occident chrétien et empire byzantin) médiévaux. Les deux chapitres consacrés aux espaces-frontières marqués par un syncrétisme culturel que furent les mondes anglo-saxon et islandais mettent nettement en évidence cet aspect en soulignant combien les sociétés païennes se focalisaient en priorité sur l'honneur et le remords, la componction chrétienne ne se greffant que dans un second temps au fur et à mesure du processus de christianisation. Dans le cas du monde anglo-saxon du Ve siècle observé par Daria Izdebska (27-59), l'introduction du christianisme conduit à un changement important des pratiques socio-culturelles. Celles-ci reposent de moins en moins sur une expression du remords axée autour de la compensation monétaire selon des modalités héritées de la culture germanique, mais bien davantage sur des performances émotionnelles, complexifiant ainsi peu à peu le champ affectif de ces sociétés.
Pour le monde islandais, ainsi que le démontre Roland Scheel (61-85) au travers de la littérature islandaise vernaculaire (XIIe -XIVe siècles), la componction n'est qu'une notion secondaire s'emboîtant aux questions plus traditionnelles de l'honneur, principe central de la sphère séculière islandaise. En définitive, dans les sociétés christianisées, l'expression du remords séculier emprunte largement aux normes comportementales prévues dans le cadre de la honte religieuse. Elle est ainsi modelée à partir des modèles de la componction spirituelle et du sacrement de pénitence, comme en rend compte Corinne Denoyelle au travers de la littérature en ancien et moyen français (120-142).
En dernier ressort, l'affectivité de la componction, comme d'autres affects au Moyen Âge, apparaît donc comme une émotion subtile aux multiples facettes dont la dimension psychologique n'est pas ignorée au Moyen Âge, comme en témoignent les œuvres de Guillaume d'Auvergne (1190-1249) étudiées par Béatrice Delaurenti (87-101). En effet, le célèbre théologien, par un jeu savant de métaphores, cherche à réduire le fossé entre savoir théologique et repères quotidiens de ses contemporains de manière à ce que les étapes de la pénitence soient de fait plus compréhensibles et mieux acceptées émotionnellement dans le cadre pastoral. Ses œuvres peuvent donc être lues, selon Béatrice Delaurenti, comme un signe tangible des efforts réalisés par le clergé du XIIIe siècle pour saisir la densité psychologique des émotions des fidèles dans le cadre de la pénitence.
Toutefois, c'est surtout la performativité des émotions via le corps - en totalité ou en partie grâce au visage - qui permet aux médiévistes de prendre toute la mesure de la sophistication de l'expression des émotions au Moyen Âge. Ainsi que le précise Ayoush Lazikani, à partir d'un corpus d'homélies (103117), la componction est conçue comme une dynamique incluant plusieurs étapes émotives obligatoires. En son sein, le corps joue un rôle majeur, essentiellement par la production de larmes, pensée comme un véritable second baptême dans le cadre d'une pénitence sincère comme le montre Véronique Plesch (143-165) grâce à son analyse des fresques de Notre-Dame des Fontaines centrées précisément sur l'expression du remords chez des personnages bibliques, en particulier Judas et saint Pierre. À terme, l'incarnation de la componction dans le corps est proprement un cheminement vers le divin. Autrement dit, l'efficacité de la componction exige un engagement total du croyant qui doit réaliser une véritable performance émotionnelle grâce tout à la fois à son corps et à son esprit, comme le met en lumière Andrew Mellas à travers la liturgie byzantine (15-26).
In fine, les recherches de ce volume complètent finement ce que les historiens et les historiennes savent déjà de la honte au Moyen Âge, en attirant davantage l'attention sur la profondeur de l'imprégnation culturelle des sociétés médiévales par la honte chrétienne. Cependant, on notera que ce livre s'adresse plutôt à un lectorat de spécialistes de l'histoire des émotions car, hormis le chapitre 2, aucune contribution ne reprend les fondements méthodologiques et les définitions des notions spécifiques à ce champ de recherche historique. L'introduction aurait pu davantage préciser ces éléments pour une lecture plus accessible à tous. Par ailleurs, on pourra regretter le choix éditorial de reproduire en noir et blanc les photographies des fresques de Notre-Dame des Fontaines (157-165) - à l'exception de la reproduction couleur de la première de couverture. De fait, la richesse des couleurs et vraisemblablement la délicatesse de la représentation iconographique de la componction échappent aux lecteurs et aux lectrices, alors même que l'exploration des productions artistiques, en parallèle des traces écrites héritées du Moyen Âge, constitue incontestablement une ouverture méthodologique fructueuse pour la recherche historique soucieuse de saisir toute la complexité des émotions médiévales.
Dernier regret : la très riche bibliographie, reportée en fin de volume (219-252), condense toutes les références mentionnées sans classement par contribution, ce qui rend leur repérage malaisé.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle