Susan Broomhall (ed.): Authority, Gender and Emotions in Late Medieval and Early Modern England (= Genders and Sexualities in History), Basingstoke: Palgrave Macmillan 2015, XVI + 229 S., ISBN 978-1-137-53115-5, USD 90,00
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Nouveau volume de la remarquable série Genders and Sexualities in History de la maison d'édition Palgrave Macmillan, cet ouvrage est un recueil de dix contributions dont les auteurs (présentation des auteurs XIV-XVI) sont tous redevables aux travaux pionniers de Philippa Maddern, spécialiste australienne des femmes et de la famille dans l'Angleterre médiévale et fondatrice-directrice du Centre de recherche australien sur l'histoire des émotions (XII-XIII).
Ils entendent ici lui rendre un hommage en explorant, à travers de sources anglaises médiévales et modernes, les liens étroits entre les pratiques du pouvoir, l'expression des émotions et les "idéologies du genre" (ideologies gender) selon l'expression proposée par Susan Broomhall dans sa magistrale introduction (1-17). Elle y expose finement la dimension sociale de l'autorité qui, selon elle, est par essence relationnelle, en tant que forme de puissance constamment élaborée et négociée. Par conséquent, celle-ci est modelée par des marqueurs d'identité sociale tels que le genre, mais aussi par l'exhibition de toute une palette d'émotions.
Les analyses, classées à la fois chronologiquement et thématiquement, proposent non seulement de montrer comment les femmes ont pu accéder à - ou rejeter - des formes d'autorité en adoptant des codes sociaux spécifiques, y compris dans l'expression de leurs émotions, mais elles exposent également comment les émotions et leurs manifestations sont profondément marquées par le genre.
Les trois premiers chapitres reposent sur un examen détaillé de textes médiévaux qui manipulent les émotions et leurs expressions pour définir ce qu'est l'autorité et ses pratiques. Ainsi, Kathleen Neal (18-33), s'appuyant sur une lettre de l'aristocrate noble Aline la Despenser, montre comment les femmes de l'élite sociale dans la deuxième moitié du XIIIe siècle anglais, maîtrisaient les normes propres au genre épistolaire pour mieux en user et ainsi obtenir des privilèges de l'autorité royale. Pour sa part, Anne M. Scott (34-50) explore l'usage qui est fait des émotions dans les exempla tirés du poème Handlyng Sinne (13031317) de Robert Mannying. Elle met en évidence l'empathie inhabituelle de l'auteur vis-à-vis des femmes, pourtant particulièrement surveillées et contrôlées dans le cadre de la pastorale mise en œuvre avec le concile de Latran IV (1215). Enfin, Stephanie Downes (51-65), en étudiant des ballades de John Gower et de Charles d'Orléans (XIVe et XVe siècles), cherche à savoir comment le choix de la langue de rédaction - anglais ou français - a pu influencer non seulement la représentation des sentiments qui y était faite, mais aussi le public visé, constitué alors pour l'essentiel d'hommes et de femmes de l'aristocratie anglaise.
Les deux chapitres suivants s'intéressent au rôle des émotions dans l'expression et le maintien du pouvoir pour les autorités urbaines de l'Angleterre médiévale. P. J. P. Goldberg (66-83) se penche sur le cas de la cité d'York du début du XVe siècle, à l'époque de sa rébellion menée par son archevêque Richard le Scrope contre le roi Henri IV. Selon lui, la dévotion des habitants, notamment lors de la Fête-Dieu, est le reflet fidèle de leurs émotions ressenties lors de ces événements tragiques. La pratique particulière d'une spiritualité féminisée fondée sur la chasteté et la dévotion eucharistique est, pour P. J. P. Goldberg, le signe de l'attente d'une récompense dans l'au-delà. De son côté, Merridee L. Bailey (84-105) fouille en détail les ouvrages du premier imprimeur anglais William Caxton. Ces derniers mettent en avant la nécessaire quête d'un bien moral à diffuser à l'ensemble de la noblesse et de la bourgeoisie, à travers la mise en œuvre de bonnes manières, qui n'ont pour autre objectif que de réguler les émotions telles que la fierté, la haine ou la colère, sources de désordre social et soumises à une désapprobation unanime, notamment si elles sont le fait de femmes.
Les deux contributions suivantes changent d'échelle d'analyse en se focalisant sur le foyer familial et la paroisse comme espaces de pouvoir et lieux d'expression des émotions. Stephanie Tarbin (106-130) s'interroge sur la peur chez les enfants et les adolescents dans le cadre domestique. À partir de sources juridiques, elle expose les conditions de manifestations de cette émotion: les enfants, en particulier les filles, craignent les adultes ayant autorité sur eux. Ils redoutent leur réaction et notamment leur brutalité physique, admise alors comme outil d'éducation, à condition de ne pas être excessive. Pour sa part, Susan Broomhall (131-149) se focalise sur l'Église protestante francophone de Threadneedle Street à Londres pour éclaircir le complexe jeu des émotions qui se joue autour de cette structure de pouvoir religieux: si cette Église cherche à contrôler le comportement et les émotions de ses paroissiens, elle doit aussi faire face à l'hostilité de certains membres de la communauté qui refusent de se plier à ses pratiques austères, tout comme elle doit se tenir prête à essuyer les critiques des autorités anglaises qui leur offrent alors refuge.
Les derniers chapitres sont consacrés à la période moderne et à ses modalités d'expression des émotions. D'une part, Sarah Randles (150-167) discute du rôle de la broderie au XVIe siècle pour les femmes issues de l'aristocratie et de familles princières. Les broderies qu'elles réalisent personnellement sont de véritables instruments de pouvoir par lesquels elles peuvent manifester leur vertu et exprimer leurs émotions, mais également susciter celles des individus qui les reçoivent en cadeau. D'autre part, Diana G. Barnes (168-186) s'attaque à l'inventeur de la modernité anglaise, Shakespeare, à travers son œuvre Les joyeuses commères de Windsor et confirme les hypothèses de Kathleen Neal pour la période médiévale. Les femmes étaient effectivement de fines connaisseuses des règles épistolaires, tout en s'en démarquant volontairement des hommes en ce qui concerne l'expression des sentiments. Rejetant les modèles rhétoriques dénués de sensibilité, les personnages féminins de la pièce de théâtre se concentrent, en effet, à la fois sur l'émotion même, mais aussi sur la qualité de son expression à travers les lettres échangées. La dernière partie de Amanda L. Capern (187209) réfléchit au monde chargé d'émotions que fut la Cour de la Chancellerie, qu'il s'agisse des émotions entre les différentes parties opposées par un litige, mais également de celles manifestées pour influencer les décisions de la cour de justice.
Abordant des sujets variés et des époques différentes, chacune de ces contributions est une véritable leçon méthodologique quant à la manière dont l'historien doit prendre en compte les émotions pour mieux saisir la vie des sociétés du passé. Démêlant l'écheveau complexe de leur imbrication avec les formes et les pratiques de pouvoir au prisme du genre, ces analyses stimulantes invitent à combiner plusieurs concepts afin de cerner au plus près les sociétés médiévales et modernes. Bien que l'examen des sources ne soit pas toujours aisé, cette démarche ouvre la voie à une nouvelle écriture de l'histoire particulièrement exaltante.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle