Thomas Galoppin / Elodie Guillon / Max Luaces et al. (eds.): Naming and Mapping the Gods in the Ancient Mediterranean. Spaces, Mobilities, Imaginaries, Berlin: De Gruyter 2022, XX + 1069 S., 86 Farb, 34 s/w-Abb., ISBN 978-3-11-079649-0, EUR 189,95
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Jan-Mathieu Carbon / Saskia Peels-Matthey (eds.): Purity and Purification in the Ancient Greek World. Texts, Rituals, and Norms, Liège: Presses Universitaires de Liège 2018
Georgia Petridou: Divine Epiphany in Greek Literature and Culture, Oxford: Oxford University Press 2015
Christopher A. Faraone / F. S. Naiden (eds.): Greek and Roman Animal Sacrifice. Ancient Victims, Modern Observers, Cambridge: Cambridge University Press 2012
Cet ouvrage paru en deux volumes, également en accès ouvert, est le fruit d'une conférence tenue en février 2021 dans le cadre du projet ERC MAP (Mapping Ancient Polytheisms). Il est organisé en trois parties thématiques : en premier lieu l'espace comme attribut onomastique divin, qui nomme et localise les dieux, en deuxième lieu une présentation des dieux dans l'espace, en somme une cartographie du divin et, enfin, la religion urbaine, à savoir les sanctuaires et leur relation à l'émergence des cités. À l'intérieur de chaque thématique, l'ordre géographique est suivi avec de légères variantes, commençant par l'Égypte et le Proche Orient, la Grèce, Rome et l'Occident. Seuls la Phénicie et le monde punique apparaissent uniquement dans la deuxième partie. L'ouvrage couvre ainsi une vaste étendue géographique et culturelle scandée en une cinquantaine d'articles.
Le but de cette recherche est de fournir un cadre de compréhension de la façon dont les noms divins, dans les systèmes religieux des anciens, fournissent des indications sur la conception des dieux, leur nature et leur organisation. Le premier terme de la recherche, les noms, contribuent à définir les dieux, mais aussi à les différencier et à les associer entre eux. Pour en venir au deuxième terme de la recherche, celui de la cartographie, les noms divins se réfèrent souvent à des espaces, des cités, des paysages et des éléments cosmiques. Ils apparaissent dans ce travail collectif comme des cartes mentales formées par des éléments qui renseignent sur ce que l'on a pris l'habitude d'appeler les "structures" des panthéons. Ils renseignent par la même occasion sur l'agentivité humaine et ses effets sur les cultes, avec la formation d'un espace pour la communication avec les dieux, créé par des individus ou des communautés, au moyen des noms et de la cartographie. L'ouvrage offre ainsi une image des religions en train de se faire, en appliquant un choix précis de critères à des aires géographiques et des périodes chronologiques qui dépassent de loin nos catégories trop strictes, avec des études allant du troisième millénaire av. n.è. à 400 de n.è., qui s'attachent à des religions aussi bien polythéistes que monothéistes, et mettent en œuvre un matériel aussi riche que diversifié qui montre les dieux dans l'espace, qu'il soit humain ou imaginaire. Les auteurs offrent en effet une approche interdisciplinaire, qui comprend des textes, des images, enfin du matériel archéologique provenant de lieux et cultures très variés.
Dans une introduction éclairante, les éditeurs (C. Bonnet, T. Galoppin, E. Guillon, S. Lebreton, M. Luaces, F. Porzia, J. Rüpke), posent la question de savoir où se trouvent les dieux. L'entité divine est d'emblée définie comme étant culturellement déterminée. Les deux outils, les noms et les lieux, utilisés ici afin de cerner la conception des dieux, leur représentation et leur établissement dans des lieux précis, sont souvent examinés dans le cadre de disciplines qui se recoupent mais qui s'ignorent. L'ambition, largement remplie, de cet ouvrage est de promouvoir un dialogue entre les approches historique et archéologique autour d'une question commune, à savoir comment des humains ont établi des moyens de communication avec le divin. L'espace et le temps donnent un aperçu dynamique des pratiques religieuses.
La première section consacrée à l'espace comme attribut onomastique couvre les noms d'Osiris dans une litanie du Livre des Morts, les épithètes divines en usage à Ugarit dès l'âge du Bronze récent et dans la Bible hébraïque, le dieu Elyon, le "très haut" et son espace ainsi que ses identifications à un dieu araméen ou hittite jusqu'aux sources hellénistiques, et les noms des dieux à Chypre. Dans ce dernier cas étudié par C. Bonnet, nous rencontrons la dimension d'interaction entre les dieux locaux et régionaux, grecs et phéniciens. Dans le domaine de la littérature grecque, nous rencontrons des interactions entre plusieurs dieux, comme Zeus, Apollon et Athéna dans l'Iliade, ou encore des dieux examinés dans leur paysage spécifique, comme Artémis Agrotera. Un sujet particulier est celui des lieux habités par plusieurs dieux qui donne l'occasion de discuter les relations spatio-cultuelles. Des études consacrées aux œuvres d'Hérodote, Apollodore d'Athènes, Pausanias, sont complétées par d'autres qui s'attachent à des approches locales et régionales et qui concernent les épithètes toponymiques et topographiques d'Artémis, les occurrences du nom Archêgetês pour les divinités fondatrices, ou encore Zeus de Dodone. Pour le monde romain, la mobilité cultuelle et l'agentivité sociale sont examinées dans le cadre de l'extension du culte des Quadruviae dans des provinces du Nord de l'Empire. Le cas du sanctuaire d'Enguium fait ressortir l'apport romain dans la culture mixte de la Sicile républicaine.
La deuxième partie consacrée à la cartographie du divin reprend les disputes entre divinités à propos de la possession de lieux précis, comme la première cataracte du Nil. La nomination et la cartographie prennent en compte la mobilité dans une approche qui s'attache aussi bien à la présence qu'à l'absence des dieux. Une incursion des structures polythéistes dans la Bible hébraïque fournit l'occasion de considérer la persistance du polythéisme. Les études de terrain archéologique sur les dieux des autres à Kharayeb, près de Tyr, à l'époque hellénistique, sont suivies de celles sur les espaces naturels qui accueillent les dieux, comme les grottes, ou que les dieux traversent comme Iris dans la poésie archaïque, sur le paysage multisensoriel de la performance dans les odes de Pindare et de Bacchylide, ou encore sur l'espace destiné au culte des Nymphes dans le théâtre d'Euripide. Du côté romain, un examen de la hiérarchie spatiale des dieux par F. Prescendi, montre en bas de l'échelle la plebs des dieux d'après Ovide, ceux dont les lieux de culte sont dispersés dans des espaces naturels variés, et les autres, saisissant un imaginaire de la hiérarchie divine comparable à celle de la société romaine et de ses classes. L'espace de la performance est revisité avec les dieux dans les amphithéâtres en Espagne, et l'espace imaginaire avec les traditions religieuses des divinités pré-romaines réinventées, tout comme leurs lieux sacrés et leur organisation dans les provinces du Danube.
La troisième partie sur la religion urbaine commence avec le culte d'Aton dans les sites provinciaux d'Abydos et d'Akhmim ; suivent les études sur l'implantation des dieux Enlil et Ninurta à Nippur, et la religion urbaine au Ier millénaire à Babylone. Le cas d'Hatra fournit l'occasion de présenter une cité qui s'est développée autour du complexe sacré de Shamash. Les études sur le monde grec s'attachent à des cités et leurs dieux, comme Sparte, à l'implantation des dieux nouveaux-venus à Athènes, celle de Zeus à la fois Agoraios et Thasios sur l'agora de Thasos, inscrivant l'espace sacré dans l'espace public, et le rêve que fit Alexandre qui a mené à la fondation de la Nouvelle Smyrne. La partie romaine s'ouvre par une étude de J. Rüpke ; la cité et son espace religieux y sont examinés en tant qu'éléments fondamentaux pour saisir le développement des identités religieuses en tant que formes d'urbanité, dans laquelle apparaissent aussi les dieux que nous aurions tendance à confiner à la nature. Les dieux nouveaux répondent à de nouveaux espaces urbains. Dans le temps, l'appropriation des lieux de cultes anciens apparaît à l'époque chrétienne. Le livre se clôt avec l'épilogue de Philippe Boissinot, "Que faut-il pour faire un sanctuaire?", et un index qui se révèle utile.
Dans cet ouvrage, outre la richesse de traitement des noms divins, de leur cartographie, des espaces et des mobilités des dieux avec l'imaginaire qu'ils véhiculent, sont évoquées une série de questions méthodologiques d'importance pour ceux qui étudient la religion antique : divers processus d'évolution, de remplacement ou d'assimilations divines sont présentés, ainsi que la question de la liminalité - dans le cas des rites phéniciens - qui mène du monde terrestre au divin, et celle de la matérialité rituelle. En fournissant une méthode d'approche aussi novatrice qu'inspirante, ce bel ouvrage ne peut qu'inspirer une longue série de travaux.
Ioanna Patera