Heike Bottler: Pseudo-Plutarch und Stobaios: Eine synoptische Untersuchung (= Hypomnemata. Untersuchungen zur Antike und zu ihrem Nachleben; Bd. 198), Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht 2014, 352 S., ISBN 978-3-525-25305-2, EUR 99,99
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A partir des années Quatre-vingt-dix du siècle dernier, Jaap Mansfeld et David Runia ont consacré une large partie de leur activité de recherche à la personne d'un auteur appelé Aëtius et à la reconstruction de son œuvre perdue (voir les trois volumes en quatre tomes intitulés Aëtiana, Leiden 1997-2010). Aëtius vécût au premier siècle de notre ère et fut l'auteur d'un recueil d'opinions (areskonta ou placita) des philosophes grecs. Cette œuvre n'était pas, à vrai dire, originale. Elle présentait, dans une rédaction nouvelle, un texte plus ancien qui remontait, à travers l'intermédiaire probable d'un recueil anonyme de Vetusta Placita, à Théophraste (auteur de Physikôn doxai) et, pour certains aspects, à Aristote.
Tous ces livres sont perdus. On peut cependant essayer de restituer au moins le texte de la rédaction d'Aëtius en tenant compte de plusieurs œuvres plus récentes dont les auteurs semblent avoir utilisé d'une manière directe ou indirecte les Placita: l'épitomé d'Aëtius du pseudo-Plutarque intitulée Opinions des philosophes (IIe siècle); les Eklogai de Stobée (Ve siècle); le Thérapeutique de Théodoret de Cyr (Ve siècle); Némésius (IVe-Ve siècles) et d'autres encore. Il est aussi possible restaurer et éventuellement améliorer le texte de l'épitomé du pseudo-Plutarque à l'aide de témoins plus tardifs grecs (pseudo-Galien, Psellos) ou arabes (la traduction de Qosṭā Ibn Lūqā, qui date du IXe siècle).
On se trouve donc devant la tradition extrêmement complexe et compliquée d'un texte qui a été transmis sous forme de rédactions multiples et qui comme tel demande aux philologues qui se proposent d'en reconstruire les différents états textuels jusqu' à l'original (qu'il soit celui d'Aëtius, des Vetusta Placita ou de Théophraste) des efforts considérables qui ne sont pas toujours gratifiants.
Le jeu vaut pourtant la chandelle, car tous ces auteurs sont une source unique, inépuisable et irremplaçable, pour avoir une idée de la pensée 'physique' de plusieurs philosophes grecs et en particulier des présocratiques.
Mansfeld et Runia prennent comme point de départ le livre magistral du jeune Hermann Diels (Doxographi Graeci, Berlin 1879). Les deux auteurs ont remis en discussion une partie des conclusions de Diels et, grâce à une analyse approfondie et exigeante des sources anciennes et de leur contenu ainsi que de la littérature moderne, ont brossé un profil de la personne d'Aëtius et ils ont aussi proposé une lecture différente et fort innovante de son œuvre.
Si l'hypothèse de Diels n'avait pas convaincu Mansfeld et Runia, celle des deux chercheurs n'a pas elle-même fait l'unanimité, et des voix discordantes se sont levées en donnant vie à un débat animé et instructif. Voir dernièrement Jean-Baptiste Gourinat: Aëtius et Arius Didyme sources de Stobée, in: Gretchen Reydams-Schils (ed.): Thinking Through Excerpts. Studies on Stobaeus, Turnhout 2011, 143-201.
Le livre récent de Heike Bottler, issu de la réélaboration de sa thèse de doctorat (2012), s'insère dans cette lignée et rouvre la discussion sur ce sujet difficile avec des arguments qui méritent une attention particulière.
Le livre se décline en trois parties. L'introduction (15-55) précédée d'un bref 'Vorwort' (11) et d'une liste des abréviations (13-14) et la conclusion (493-518) suivie d'une 'Appendix' (519-528), d'une bibliographie (529-539) et un double index (540-552), font de cadre à la partie plus substantielle du volume qui s'intitule simplement 'Untersuchung' (56-492). Bottler présente ici une étude détaillée et essentiellement analytique de la structure et du contenu des deux premiers livres (sur quatre) des Placita d'Aëtius.
Les pages de l'introduction et surtout celles des remarques conclusives rendent compte des critères que Bottler a suivis dans la rédaction de son volume et que l'on peut résumer dans un caveat concernant les principes sur lesquels toute reconstruction du texte d'Aëtius doit se fonder. Bottler pense qu'il est possible récupérer le texte original d'Aëtius seulement quand nous disposons des témoignages parallèles du Pseudo-Plutarque et de Stobée; même dans ces cas néanmoins l'opération est souvent assez difficile et complexe, parfois à cause d'une forme de contamination. La position de Mansfeld et Runia est plus optimiste et les deux chercheurs admettent qu'il est possible accéder au texte d'Aëtius non uniquement à partir du témoignage conforme de ceux deux sources, mais aussi de celui du seul Pseudo-Plutarque ou du seul Stobée.
Afin de montrer la validité de son hypothèse et de justifier ses critères plutôt restrictifs et contraignants, Bottler procède à l'étude synoptique de l'ensemble des titres des chapitres et des paragraphes des livres 1 et 2 d'Aëtius en imprimant sur deux colonnes parallèles le texte du psudo-Plutarque (sur la gauche) et celui de Stobée (sur la droite). Elle ne néglige pas non plus les autres témoignages de la tradition: Eusèbe, Théodoret, Achille, le pseudo-Galien, Psellos, la traduction arabe de Qosṭā Ibn Lūqā etc. Ces textes sont accompagnés si nécessaire d'une traduction allemande et commentés de manière souvent trop ponctuelle, ce qui empêche Bottler d'avoir une opportune vision d'ensemble du problème.
La structure du volume que je viens de résumer d'une manière bien insuffisante, ne permet pas d'avoir une idée immédiate des nouveautés qu'il contient et qu'il serait impossible de détailler ici dans tous les aspects.
Bottler n'est pas non plus convaincue de l'influence d'Aristote sur la formation du recueil des Placita, mais elle ne prend pas en considération (probablement parce qu'elle limite sa recherche aux livres 1-2) l'utilisation des Météorologiques et du traité sur le Ciel du Stagirite qu'Aëtius fait dans certains chapitres du livre 3 (voir l'article de Mansfeld 1992, maintenant accessible dans le tome 3 des Aëtiana, 33-97).
Bottler a bien fait de revenir sur les questions relatives aux problèmes que l'édition du texte d'Aëtius pose. Sa suggestion d'adopter une attitude plus prudente est elle aussi bienvenue, car, comme Bottler le souligne à juste titre, le texte des deux témoins principaux (pseudo-Plutarque, Stobée) sur lesquels on fonde essentiellement la reconstruction des Placita n'est pas édité d'une manière convenable et il nécessite encore beaucoup de soins.
Devant cette réalité, je me demande donc s'il n'aurait pas été plus profitable de consacrer son temps et ses études au texte du pseudo-Plutarque ou mieux encore à celui de Stobée au lieu de remettre en discussion les hypothèses de Mansfeld et Runia en en proposant d'autres qui elles aussi pourront ou non convaincre. L'édition moderne, après celle méritoire, mais vieillie de Wachsmuth et Hense des cinq livre de l'Anthologie de Stobée demeure un desideratum de la philologie classique qui est destiné malheureusement à rester tel encore longtemps.
Le lecteur corrigera lui-même les quelques coquilles et erreurs du livre. Je signale ici que dans les Abréviations (12) 'Sy' n'est pas 'Synesius', mais 'Syméon Seth' (il faudra corriger aussi l'index, 547); dans la bibliographie (533) on écrira 'D. Gutas' et non 'Dimitri G.' et on supprimera (535) la première entrée de l'article de Mansfeld Deconstructing Doxography (cité deux fois avec deux années différentes).
Tiziano Dorandi